Colère des agriculteurs : six chiffres révélateurs du malaise

Colère des agriculteurs : six chiffres révélateurs du malaise

La protestation des agriculteurs va-t-elle se diriger vers “un mouvement où tout le monde serait impliqué, style les gilets jaunes” ? C’est ce que pense Véronique Le Floc’h, présidente de la Coordination rurale, le deuxième syndicat agricole. Depuis l’automne dernier, la grogne s’amplifie en France : parti du Tarn, un mouvement pacifique de retournement des panneaux signalétiques des communes a essaimé partout dans le pays.

Le ton s’est durci ces derniers jours, avec, depuis jeudi 18 janvier au soir, le blocage de l’autoroute A64, en Occitanie, mais aussi des rassemblements devant des administrations ou sur des ronds-points. Les accès à la centrale nucléaire de Golfech (Tarn-et-Garonne) sont bloqués ce lundi par des agriculteurs, selon la gendarmerie, tandis que l’autoroute A64 est toujours coupée dans la Haute-Garonne.

Le Premier ministre, Gabriel Attal, doit recevoir lundi 22 janvier, à 18 heures, le président du puissant syndicat FNSEA, Arnaud Rousseau, et son homologue des Jeunes Agriculteurs (JA), Arnaud Gaillot. “[Si le gouvernement n’est] pas au rendez-vous, […] on peut être à l’aube d’un gros mouvement agricole”, a déclaré ce dernier lundi matin, sur France 2. La crise des agriculteurs en France, mais aussi en Europe, est en effet profonde, comme l’illustrent ces chiffres.

Une probable baisse des revenus de 9 %

Selon l’Insee, l’indicateur qui se rapproche le plus du revenu agricole, à savoir la valeur ajoutée brute par actif, devrait reculer de 9 % en 2023, après deux années de hausse liée surtout à l’envolée du prix des matières premières, comme les céréales. Cet indicateur avait en effet augmenté de 13,1 % en 2021, puis de 9,6 % en 2022. Dans le même temps, les Français refusent de payer plus cher leur alimentation, après un pic de l’inflation de plus de 20 % sur deux ans.

Le coût de l’énergie a explosé, les coûts des intrants (engrais, produits phytosanitaires…) ont augmenté, tout comme ceux de la main-d’œuvre ou de l’alimentation animale. La guerre en Ukraine perturbe les flux avec des importations énormes en Europe de céréales, de volaille ou de sucre. “Ça perturbe toutes les filières, ça fait baisser les prix”, a expliqué à l’AFP Christiane Lambert, présidente du Comité des organisations professionnelles agricoles de l’Union européenne.

Un recul de la production allant jusqu’à 15 % ?

Si la France est la première bénéficiaire de la politique agricole commune (PAC), avec 9 milliards d’euros d’aides par an, ses exploitants contestent la stratégie de verdissement de l’agriculture européenne contenue dans le pacte vert de l’UE. Ce projet législatif, visant à réduire de moitié d’ici à 2030 l’utilisation des produits phytosanitaires chimiques (par rapport à la période 2015-2017), a été rejeté au Parlement européen fin novembre 2023. Mais les agriculteurs redoutent de voir le retour de ce projet et entendent peser avant les élections européennes de juin prochain.

Le pacte vert européen pourrait aboutir sur un recul de la production allant jusqu’à 15 %. Selon une étude du centre de recherche de la Commission européenne, publiée à l’été 2021, le pacte vert européen entraînerait une baisse de la production de 5 à 15 %. Cela nécessiterait d’importer des pays tiers ne respectant pas les mêmes normes que l’Europe. “On veut du vert, de l’environnemental, du bien-être animal et, en même temps, on ouvre les vannes de l’importation”, s’insurge auprès des Echos Franck Pouillot, secrétaire général de la FDSEA de l’Yonne.

Les agriculteurs français dénoncent par ailleurs le refus de Bruxelles de prolonger en 2024 la dérogation permettant de mettre en culture les terres en jachère (environ 4 % des terres agricoles), alors que “la tension alimentaire provoquée par la guerre en Ukraine se poursuit”.

Une quinzaine de textes… uniquement pour les haies

C’est un exemple brandi par Arnaud Rousseau pour illustrer l’empilement des normes. Il porte sur les haies. “Pourquoi les agriculteurs n’en font pas ? Parce qu’il y a 14 textes réglementaires”, a expliqué le patron de la FNSEA, alors même que chacun reconnaît les vertus de la haie contre l’érosion, pour la biodiversité, etc. “Aujourd’hui, les haies sont soumises à 14 réglementations différentes, européennes et françaises. Le Code de l’urbanisme, le Code du patrimoine, le Code de l’environnement… C’est-à-dire que les agriculteurs n’ont même plus envie de planter”, a abondé, auprès de TF1, Luc Smessaert, éleveur bovin à Roy-Boissy (Oise) et vice-président de la FNSEA.

“La pénibilité physique a laissé peu à peu la place à une pénibilité morale qui est due notamment à l’édiction de règles et de normes de plus en plus lourdes à supporter. […] à un moment donné la coupe déborde”, a lancé samedi Etienne Gangneron, président de la chambre d’agriculture du Cher, au ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau. Les syndicats dénoncent la lenteur du gouvernement à mettre en œuvre la “simplification” administrative promise. “Les agriculteurs qui nous appellent ne savent même plus ce qu’ils ont le droit de faire ou non”, a déclaré à l’AFP Véronique Le Floc’h. Reconnaissant la nécessité d’une “simplification” du mille-feuille de normes et de réglementations imposé aux agriculteurs, Marc Fesneau a estimé qu’il fallait se saisir de l’occasion de cette loi pour “accélérer” sur ce sujet et “crédibiliser la parole publique”.

Plus de 150 000 agriculteurs bientôt à la retraite

Le projet de loi sur l’installation de nouveaux agriculteurs devait être présenté mercredi 24 janvier en Conseil des ministres. Mais ce texte est reporté de “quelques semaines”, pour être complété d’un volet “simplification”, a annoncé dimanche Marc Fesneau lors du Grand Jury RTL/Paris Première/M6/Le Figaro, précisant que l’objectif était de voir le texte débattu au Parlement “au premier semestre 2024”. Déjà plusieurs fois reportée, la loi “en faveur du renouvellement des générations en agriculture” est attendue par les agriculteurs, à l’heure où la population de près de 500 000 chefs d’exploitation vieillit. Le ministère de l’Agriculture estime qu'”un tiers des agriculteurs, soit 166 000 exploitants ou coexploitants agricoles” seront partis à la retraite dans la décennie qui vient.

Les reports successifs du texte, finalement moins ambitieux que la “loi d’orientation agricole” annoncée l’année dernière, avaient agacé les syndicats, suscitant en particulier l’ire de la puissante FNSEA, qui avait menacé, sans avancée rapide, de chahuter la visite du chef de l’Etat, Emmanuel Macron, au Salon de l’agriculture – dont l’édition 2024 se tiendra à partir du 24 février, à Paris.

Plus de 3 700 foyers de maladie hémorragique épizootique

Des agriculteurs du Sud-Ouest ont en outre récemment été confrontés à une flambée du nombre de cas de maladie hémorragique épizootique (MHE), qui affaiblit les animaux et perturbe les échanges commerciaux. Le ministère de l’Agriculture a annoncé le 19 janvier que l’Etat allait rembourser aux éleveurs 80 % des frais de soins vétérinaires liés à la MHE et qu’il les indemniserait à hauteur de 80 % en cas de mort de l’animal. “Les éleveurs pourront déposer leurs dossiers d’indemnisation dès le début du mois de février”, est-il précisé dans le communiqué.

Le ministère rappelle en outre que la MHE découverte fin septembre 2023 sur le territoire français “a connu une expansion rapide, puisque 3 729 foyers sont désormais recensés dans 20 départements”. “En conséquence, les mesures de lutte et de prévention prévues dans un rayon de 150 kilomètres autour des foyers s’appliquent désormais sur près de la moitié du territoire français”, souligne-t-il. Quant au taux de mortalité dans les élevages contaminés, il est estimé à 1 %.

Une baisse de 14 % de la disponibilité de l’eau

Les agriculteurs sont par ailleurs les premières victimes du changement climatique. Le manque d’eau est une des préoccupations majeures de la profession. L’impact du changement climatique sur la ressource en eau nécessite de “renforcer” les politiques publiques de préservation, plaide un rapport parlementaire présenté le 17 janvier à l’Assemblée nationale.

Le changement climatique et l’élévation du niveau moyen des températures affectent déjà la disponibilité de la ressource en France métropolitaine, laquelle a baissé de 14 % entre la période 1990-2001 et la période 2002-2018, “passant de 229 à 197 milliards de mètres cubes”, souligne ce rapport rédigé par les députés Vincent Descœur (LR, Cantal) et Yannick Haury (Renaissance, Loire-Atlantique). Le phénomène va se poursuivre, souligne le rapport, qui cite l’étude Explore 2070, à laquelle est notamment associé le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) : d’ici à 2050, les précipitations devraient baisser de 16 à 23 % et le débit moyen annuel des cours d’eau devrait diminuer de 10 à 40 %.

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