Comment les entreprises minières veulent nous faire oublier Germinal

Comment les entreprises minières veulent nous faire oublier Germinal

L’image leur colle à la peau. Les puits de charbon, la suie, Germinal. A chaque réunion publique, les entreprises minières luttent contre la réalité dépeinte dans le classique d’Émile Zola : non, les mines n’ont plus rien à voir avec celles du siècle dernier, ni celui d’avant, débarrassez-vous de cette idée car elles ne servent plus les mêmes objectifs. La fermeture, il y a deux décennies, des dernières houillères en France n’a pas aidé à conserver, si ce n’est une “tradition”, plutôt une accoutumance de la population à l’exploitation du sous-sol.

Imerys s’en rend compte dans l’Allier. La multinationale française veut ouvrir à Echassières, à horizon 2028, l’une des plus grandes mines de lithium d’Europe. L’exécutif et les élus locaux défendent le “projet Emili”. Habitants et écologistes s’inquiètent, eux, des impacts environnementaux – car il y en aura toujours – et n’hésitent pas à le faire savoir lors du débat public ouvert début mars pour une durée de quatre mois.

Au niveau européen, le géant minier mondial Rio Tinto a connu une opposition autrement bruyante et massive contre son projet de mine de lithium en Serbie, encore plus grand que celui d’Imerys. Au point de pousser le gouvernement à annuler, début 2022, les permis d’exploitation et à enterrer le programme. Pas assez profondément, à l’évidence, pour que l’entreprise anglo-australienne n’abandonne son “projet Jadar” et les centaines de millions d’euros déjà investis. Le temps semble jouer en sa faveur : le président serbe Aleksandar Vučić a rencontré le patron de Rio Tinto en janvier dernier pour rouvrir les discussions…

Avant, c’était “Vivons heureux, vivons cachés”

Il faut dire qu’en deux ans, pour diverses raisons géopolitiques, les enjeux autour des métaux critiques ont pris un poids immense dans la course à la transition énergétique. “Avant, c’était “Vivons heureux, vivons cachés”. Mais aujourd’hui, ces industries sont mises sur le devant de la scène parce qu’elles ont un intérêt stratégique. Elles surfent sur cette vague pour mettre en exploitation des gisements écartés pendant des années car ce n’était plus au goût du jour”, décrypte Sébastien Bourdin, professeur de géographie économique à l’EM Normandie.

La crise des terres rares entre la Chine et le Japon, au tournant des années 2010, a été le premier révélateur de l’importance de l’approvisionnement en matières premières. “Il y a eu un effet de bascule, une prise de conscience de l’importance de la matérialité de la transition”, note Brice Laurent, chercheur au centre de sociologie de l’innovation de Mines Paris. Certes, les entreprises minières ne sont pas les seules à profiter de l’aspiration, “mais elles sont devenues des acteurs assez incontournables des politiques de transition”, convient le sociologue. Le directeur général du projet Jadar de Rio Tinto, Chad Blewitt, l’explique auprès de L’Express : “Pour atteindre nos objectifs en matière de changement climatique, nous devons extraire des matières premières essentielles car il n’y a pas de transition sans matériaux critiques. Cela nécessite un approvisionnement européen consacré à la terre, davantage d’importations et plus de recyclage. Les trois sont nécessaires.” En résumé : nous sommes indispensables.

“Durables”, “vertes” ou “responsables”

Dans leur communication, les miniers jouent ainsi sur “deux arguments qui font mouche”, relève Sébastien Bourdin. Le premier : le nécessaire besoin de métaux pour la transition énergétique et numérique – du lithium ou du cobalt pour les batteries, des terres rares pour les éoliennes. Le second : il est de l’intérêt des pays de sécuriser leurs ressources. “L’Europe et la France doivent maximiser ce qu’elles peuvent réaliser à partir des gisements sous leur sol”, illustre Chad Blewitt. “En clair, si on ne veut pas être de nouveau frappé par une crise mondiale ou par l’inflation, il faut jouer stratégique, donc produire sur le territoire plutôt qu’importer”, analyse Sébastien Bourdin. C’est le pari de la loi sur les matières premières critiques (Critical Raw Materials Act), définitivement adoptée à la mi-mars par l’Union européenne. “Un excellent début pour le continent, apprécie le dirigeant de Rio Tinto, même s’il manque encore des incitations économiques pour les industries minières.”

Ces dernières sont de plus en plus courtisées par les gouvernements – et elles le savent. Rio Tinto a confirmé à L’Express mener des discussions avec l’exécutif “pour une opportunité en France”. Mais convaincre les populations locales est loin d’être aussi aisé, surtout avec un historique de scandales environnementaux dans les bagages. Le secteur a donc fait évoluer son message et son lexique. Il est désormais question de mines “durables”, “vertes” ou “responsables”. C’est ainsi qu’Imerys défend son projet dans l’Allier. “Il est impératif que la chaîne d’approvisionnement en métaux soit responsable de bout en bout, depuis l’extraction du minerai aux métaux contenus dans les batteries”, insiste aussi le minier français Eramet sur son site Internet. “Seules les meilleures mines survivront, celles aux normes les plus élevées. Notre vision doit tendre aujourd’hui vers des mines aux impacts extrêmement marginaux sur l’environnement”, défend Chad Blewitt.

“Climatisation du discours”

Sébastien Chailleux, maître de conférences à Sciences Po Bordeaux, y voit une “climatisation du discours, soit une forme de redéfinition des enjeux du passé au prisme du changement climatique“. Une manière, selon lui, “de justifier d’activités considérées comme polluantes avec un versant “positif””. Dès les années 1990, les compagnies canadiennes ont poussé pour faire émerger cette déclinaison du développement durable dans le cadre des activités minières. La notion a par la suite été largement reprise par différents acteurs, chacun à sa façon. En 2015, la démarche lancée par un certain Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie, s’appelait… “mine responsable”. Elle a échoué aussi vite que le “renouveau minier” de son prédécesseur, Arnaud Montebourg. “On ne sait toujours pas vraiment ce que pourrait donner cette mine responsable en France. Les nouvelles modalités du code minier demandent à être mises à l’épreuve”, soutient Sébastien Chailleux.

Pour prouver qu’ils peuvent être des “gardiens responsables des terres”, dixit le responsable de Rio Tinto, les miniers avancent la carte technologique. Le temps de “l’exploitation minière moderne” est venu. “Nous disposons d’une technologie moderne, qui a fait ses preuves, capable de contrôler instantanément la qualité de l’eau, de l’air, du bruit et les impacts sur la biodiversité”, détaille Chad Blewitt. Il évoque aussi un programme à base de “technologie blockchain” développé par l’entreprise pour surveiller les émissions de ses divisions aluminium et cuivre, l’utilisation de drones et de l’intelligence artificielle. Bref, à des années-lumière de la vie de Maheu et Lantier au fond des mines de Montsou.

“La pédagogie est souvent mal faite”

Le secteur progresse et s’échine à le montrer : plus d’études en amont, plus de transparence, plus de dialogue. En Serbie, Rio Tinto a rencontré, ces sept derniers mois, plus de 2 800 personnes – opposants, citoyens, ONG – lors d’une centaine de sessions pour échanger sur son projet. Le débat autour de la mine d’Imerys, en France, est un autre exemple du besoin de faire adhérer la population locale, la fameuse “acceptabilité sociale”. Mais pour quel résultat ? “Les réunions publiques, c’est comme le bal des pompiers : ce sont toujours les mêmes qui dansent, assure Sébastien Bourdin. Elles ne font que mettre au jour les positions de chacun, sans les faire évoluer.” L’information est généralement descendante, ou perçue comme telle par les habitants. Quand ils n’ont pas le sentiment que la partie est jouée d’avance. “La pédagogie est souvent mal faite : on n’explique pas les enjeux supérieurs des projets”, ajoute le professeur de l’EM Normandie.

“On échoue à se poser les questions fondamentales, confirme le sociologue Brice Laurent. Quelle transition veut-on ? Pour développer quelle technologie ? Au service de quel objectif collectif, de quelle transformation de la société ?” Impossible de traiter ces vastes réflexions dans le seul périmètre d’un projet minier. Et il n’est pas dans l’intérêt des entreprises qui les portent de s’en emparer, devant elles-mêmes rassurer à la fois les populations… et leurs investisseurs. Une position délicate et des promesses parfois contraires, que la nouvelle communication des miniers peine toujours à masquer.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *