Compost humain : l’écologie nous poursuivra jusque dans la tombe, par Antoine Buéno

Compost humain : l’écologie nous poursuivra jusque dans la tombe, par Antoine Buéno

Dans l’ombre du débat sur la fin de vie se profile une réforme tendant à verdir la mort… En effet, la mort n’est pas écolo. Cela a de quoi surprendre. Car, à première vue, les défunts sont des parangons de vertu écologique : ils ne prennent plus l’avion, ne conduisent plus de SUV et ne mangent plus de viande. Sur le plan environnemental, un bon humain semble donc un humain mort. Au point que les plus fervents écologistes pourraient être tentés par le suicide collectif. Las ! Même cette solution radicale ne soulagerait pas mère Nature à la hauteur de leurs espérances. Songez un peu aux véhicules thermiques de secours qui devraient être mobilisés pour collecter les corps. Puis au bilan carbone des funérailles pour peu que les invités ne s’y rendent ni à vélo, ni en train. Et les obsèques elles-mêmes sont polluantes. C’est là qu’intervient l’idée de réforme.

Aujourd’hui, pour déterminer ce qu’il adviendra de son corps après sa mort, un Français n’a le choix qu’entre l’inhumation et la crémation. Même lorsque l’on donne son corps à la science, après les travaux de formation médicale ou de recherche, la dépouille est soit inhumée soit incinérée. Cette alternative entre inhumation et crémation découle d’une interprétation de l’article 16-1-1 du Code civil en vertu duquel “les restes des personnes décédées […] doivent être traités avec respect, dignité et décence”. Seules l’inhumation et la crémation sont aujourd’hui supposées garantir ce principe. Oui mais voilà, l’une et l’autre sont polluantes.

Une crémation équivaut à plus de 1000 km en voiture

L’impact environnemental des différentes formules d’obsèques a été évalué par la Fondation Services Funéraires de la Ville de Paris. Une crémation émettrait l’équivalent en carbone de plus de 1000 km parcourus en voiture et un enterrement quatre fois plus. Un résultat qui s’explique par la prise en compte des matériaux utilisés pour un enterrement (bois, béton pour les chappes, caveaux ou monuments, granit ou marbre importés) et l’activité d’entretien des cimetières. De plus, l’enterrement pose un problème de pollution (les cercueils sont vernis de produits chimiques et les corps imprégnés de produits toxiques pour leur embaumement) et les cimetières participent du phénomène d’artificialisation des sols. Voilà pour la pollution. Mais, par ailleurs, ni la crémation ni l’inhumation ne permettent à la mort humaine d’avoir un impact environnemental positif. En effet, même l’inhumation aboutit à une perte de matière organique car les corps se décomposent souvent mal dans les cercueils.

C’est pour tout cela que le “compost humain” a le vent en poupe. Il s’agit de proposer une troisième voie, écologique, d’obsèques. Mais s’intéresser au sujet plonge d’emblée dans un maquis sémantique et technique. Les mots d’abord : “compostage humain”, mais aussi “réduction organique naturelle”, “humusation”, “terramation”, “aquamation”, “cryomation”, “recomposition”, on ne sait comment nommer la chose. Faire l’inventaire des techniques disponibles aide à clarifier. Le terme le plus générique est celui de compost humain. Il recouvre trois possibilités : l’aquamation, la cryomation et la terramation. La première dissout le corps dans une solution aqueuse pouvant ensuite être utilisée comme fertilisant. La deuxième est réduction en poudre du corps après congélation. Enfin, la terramation recouvre elle-même trois pratiques : l’enterrement dans un linceul biodégradable ou la transformation du corps en humus soit dans une butte de broyat soit dans un appareil.

Groupe de travail pour faire évoluer la réglementation

L’idée a fait son chemin à l’étranger. Ainsi, l’aquamation est possible en Australie et au Canada. Certains États américains ont légalisé la terramation. Cette dernière a été expérimentée en Belgique et devrait l’être dans plusieurs Länder allemands. En France aussi, l’idée avance à grands pas. Des députés MoDem en ont fait une proposition de loi, à ce jour non débattue. Mais le gouvernement a indiqué, en réponse à une question sénatoriale, qu’un groupe de travail serait réuni sous l’égide du Conseil d’Etat avant la fin du premier semestre 2024 pour faire évoluer la réglementation sur le sujet.

Difficile d’imaginer que cela ne débouche sur rien, surtout dans le contexte politique actuel. L’exécutif ne pouvant plus faire passer de réformes structurelles, il se concentre sur les débats sociétaux. En voici un beau, avec un enjeu éthique à double détente à la clef. Il faut d’abord se demander en quoi le compost humain serait moins respectueux de la personne que l’inhumation ou l’incinération. Et d’ailleurs, pendant qu’on y est, en quoi ces dernières le sont aussi. Et il faut également déterminer ce qu’il sera permis de faire du compost humain produit… Sachant que toute exploitation commerciale semble d’emblée écartée.

Un joli bonus au débat sur la fin de vie donc. Si la transition environnementale doit transformer chaque parcelle de nos vies, il faut aussi se faire à l’idée que l’écologie nous poursuivra jusque dans la tombe. Ou ce qui en tiendra lieu.

*Antoine Buéno est conseiller développement durable au Sénat et essayiste. Dernier ouvrage paru : Faut-il une dictature verte ? La démocratie au secours de la planète (Flammarion).

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