Dans le monde de la Tech, le capital-risque n’est plus la solution miracle

Dans le monde de la Tech, le capital-risque n’est plus la solution miracle

Le capital-risque est un catalyseur méconnu de nos vies quotidiennes. Nous n’utiliserions pas les réseaux sociaux de Meta, la néobanque Revolut, ChatGPT d’OpenAI, la plateforme d’hébergement Airbnb ou l’application de VTC Uber – pour ne citer qu’eux – sans les financements décisifs des fonds de capital-risque au début de la vie de ses sociétés. Mais cette industrie est sur le point de connaître une transition brutale. Pour de nombreuses start-up, le capital-risque était un passage obligé pour obtenir rapidement des fonds capables de supporter les pertes pendant la période de création et de commercialisation d’un produit, avec des tours de financement progressifs : amorçage, puis séries A, B, C et au-delà.

Ce modèle développé dans la Silicon Valley s’est répandu à travers le monde comme la meilleure façon de développer rapidement des entreprises en alignant l’intérêt des investisseurs financiers avec ceux des entrepreneurs talentueux. La classe d’actifs a crû de manière exponentielle. Selon Preqin, un fournisseur d’informations financières, le capital-risque s’établit aujourd’hui autour de 2 000 milliards de dollars gérés, contre 200 milliards il y a dix ans. Au cours de la dernière décennie, 1 200 fonds de capital-risque ont vu le jour, marquant l’une des périodes les plus remarquables du secteur technologique.

Cette époque a vu affluer des centaines de milliards de dollars de la part d’investisseurs chevronnés, attirés par des promesses faramineuses de rendement. Les années 2021 et 2022 ont explosé les plafonds avec une collecte de fonds record dépassant les 300 milliards de dollars. Il faut dire que la période a permis de faire coter sur les marchés financiers de nombreuses entreprises, souvent non rentables, à des valorisations extrêmement élevées.

L’environnement de sortie est trop incertain

La correction en 2023 a été d’autant plus sévère. La collecte de fonds est à son plus bas niveau depuis 2015. Les investisseurs, qui s’attendaient initialement à des rendements de capital-risque autour de quatre ou cinq fois, sont désormais prêts à liquider leurs participations pour des rendements de deux fois. Les trois quarts d’entre eux estiment, en outre, que l’environnement de sortie est trop incertain pour se positionner. Leur inquiétude ? Devoir attendre une nouvelle bulle, comme celle que nous avons connue avec les politiques monétaires ultraexpansionnistes déployées après les confinements, pour atteindre les performances attendues.

Il s’avère qu’en réalité beaucoup d’entreprises n’ont pas un modèle compatible avec le capital-risque. Leur secteur est trop réglementé, empêchant un déploiement hors de leur marché domestique. Leur activité requiert trop de main-d’œuvre. Les coûts marginaux ne sont pas décroissants. En tout état de cause, même le leader d’un marché ne créera jamais un avantage compétitif suffisant pour rafler la mise. Il est donc inutile de surinvestir dans le marketing et la force de vente. Un financement initial suffit pour lancer la machine et la société peut ensuite suivre une croissance rentable, trouvant des financements annexes – dette privée ou dette bancaire -, voire tomber dans l’escarcelle d’un fonds de capital-investissement qui se chargera de consolider le secteur par fusions-acquisitions. Les perspectives ne sont pas exceptionnelles et ne peuvent s’accommoder de valorisations délirantes.

L’Europe s’adapte… au monde d’hier

Seules les sociétés qui s’attaquent à un problème majeur ou développent une technologie de rupture entrent encore dans cette catégorie. Mais elles vivent une véritable course à la taille et dans ce cas-là, elles échappent à la traditionnelle progression des tours de financement. Le risque est immense et il faut des investisseurs avec des poches profondes prêts à suivre des entrepreneurs ayant déjà réussi ce type de paris.

Au-delà de la thématique sur la lutte contre le changement climatique (climate tech) qui est poussée par des aspects réglementaires, cette typologie d’investisseurs se retrouve essentiellement dans la Silicon Valley. C’est d’ailleurs là que se concentrent les débouchés potentiels pour une cotation en Bourse, et donc une monétisation de l’investissement. L’Amérique du Nord représente 70 % de la valeur globale des sorties et cette part progresse. Alors que l’Europe pensait rattraper son retard dans la création d’entreprises de croissance en copiant le modèle du capital-risque, celui-ci est peut-être déjà le reflet du monde d’hier.

Robin Rivaton est directeur général de Stonal et membre du conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol)

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