“Rien ne va dans cette histoire” : en coulisses, EELV se déchire après “l’affaire Bayou”

“Rien ne va dans cette histoire” : en coulisses, EELV se déchire après “l’affaire Bayou”

Une minute pour conclure. Marie Toussaint profite du temps additionnel de ce deuxième débat européen du mercredi 10 avril pour rappeler quelques faits d’armes des écolos. “Au cours de ces dernières années, Les Écologistes se sont battus pour vous”, assène la tête de liste, face caméra. La formule prête à sourire… Car au même moment, loin des projecteurs, les cadres et militants de la famille verte se déchirent à coup de mails interposés et d’invectives dans les boucles internes. Dix jours après la démission de Julien Bayou, les conditions dans lesquelles le député de Paris a rendu sa carte suscitent une levée de bouclier en coulisses. Un désordre, un de plus, en pleine campagne des européennes, qui n’aide pas la tête de liste Marie Toussaint, déjà à la peine dans les sondages.

Visé par une plainte de son ex-compagne pour “violences psychologiques”, l’ancien secrétaire national a quitté sa formation politique le 2 avril, après avoir appris l’externalisation par la direction des Verts d’une enquête le visant auprès d’un cabinet d’avocat. “EELV s’apprête à envoyer un courriel à plusieurs dizaines de milliers d’adhérent-es pour inviter ‘toute personne concernée’ par de prétendus comportements ou propos inadaptés de ma part à témoigner contre moi”, s’est-il indigné dans son courrier de démission.

Son départ rendu public, la secrétaire nationale écologiste, Marine Tondelier, s’est fendue d’un communiqué à destination des militants, invitant “les personnes qui n’auraient pas parlé jusqu’à présent” à s’exprimer. Et d’esquisser quelques précautions : “Précisons : il ne s’agit en aucun cas de se substituer à la justice, mais bien d’objectiver ou non d’éventuels faits contrevenants aux valeurs et principes de notre mouvement.”

“Je n’ai plus envie d’être cadre de ce parti”

Rien n’y fait : anciens députés EELV, conseillers régionaux, cadres départementaux expriment leur mécontentement dans des échanges de mails révélés par Marianne, que L’Express a également consulté. “Au lieu de combattre les autres listes électorales et militer activement, on déploie une énergie pour détruire politiquement et moralement une personne, déjà impliquée par la justice”, déplore une militante dans un de ces textes, qui affirme que “rien ne va dans cette histoire” et dénonce “un appel à la délation complètement à charge” de la secrétaire nationale. “Je n’ai plus envie d’être cadre de ce parti. Je ne veux pas être solidaire des décisions qui me choquent. Mais si je pars, je me dis que toute une partie des militants qui, comme moi, n’approuve pas tout ça ne sera plus représentée”, écrit une autre participante de la boucle. Une ancienne huile verte plussoie : “Il semble que l’on soit nombreux à se poser la question de rester ou pas. Alors je nous invite à rester et dire ce que nous pensons.” Une dernière a, elle, pris sa décision : “Je m’éloigne définitivement de ce parti. Je me demande qui a encore envie de voter pour lui.”

Seule à parler du principal intéressé, la section locale de Clichy a dénoncé le modus operandi du parti, “contradictoire avec le respect d’un Etat de droit et pourrait s’apparenter à la mise en place d’un ‘tribunal populaire’ et d’une justice parallèle.” Le cas Bayou n’est, sinon, jamais mentionné ouvertement, mais tous savent qu’il s’agit bel et bien de lui. Ici, un texte émis par la section franc-comtoise des Verts et diffusé largement aux adhérents de toute la France, s’inquiétant de “certains groupes constitués [qui] espionnent, ruminent, manipulent, ostracisent, font courir des rumeurs à partir de faits minuscules” – sans ne jamais nommer le catalyseur de cette indignation. Là, un autre aux allures de dissertation sur les relations entre “l’écologie politique et l’Etat de droit”, passé sous le manteau avant large diffusion mais dont l’auteur, conseiller de Paris, assure être très à l’aise l’idée d’en être perçu comme l’instigateur car sa “carrière politique, dit-il, est très loin derrière.”

Le seul sujet Bayou cristallise un malaise : s’exprimer ouvertement ou rester anonyme, voire ne rien dire ? Une hésitation, beaucoup de scrupules, puis la discrétion est souvent préférée par les militants et autres cadres du parti interrogés, pourtant nombreux. “Personne n’arrive à poser des mots, de peur d’être qualifié d’anti-féministe“, résume une élue francilienne.

Fronde

“C’est normal qu’un parti débatte sur un sujet comme ça, explique Marine Tondelier. On passe beaucoup de temps au téléphone pour répondre aux questions légitimes et expliquer ce qu’on ne peut pas écrire par mail, la plupart des militants raccrochent en ayant compris notre décision et en sachant que nous n’avions pas le choix”, assure la secrétaire nationale. “Il faut raison garder”, affirme avec la foi du charbonnier son entourage qui décrit une protestation “picrocholine”. Une situation pas si grotesque, puisque Marine Tondelier s’est fendue d’un mail pour calmer la fronde à deux jours du Conseil fédéral qui doit se tenir samedi 13 avril, a appris Politico. La secrétaire nationale appelle les siens à “mesurer la difficulté de la séquence” et les enjoint à “la responsabilité” et à la “bienveillance”. Et Tondelier d’ajouter une précision de taille : “Ne pas en rajouter en externe.” Bref, laver son linge sale en famille.

La réunion du Conseil fédéral s’annonce quoiqu’il en soit houleuse, puisque l’assemblée des Ecologistes devra, au même moment, valider la liste définitive aux élections européennes. On entérinera l’arrivée de Flora Ghebali, ex-macroniste, dans la liste de la candidate Marie Toussaint, un débauchage qui a, lui aussi, créé de l’émoi au sein du parti vert. Il s’agira aussi d’acter l’exclusion de Bénedicte Monville, comme le révélait Libération, suspendue du parti pour avoir, entre autres, multiplié les saillies contre la campagne européenne écolo. “Avec ces échéances européennes, la responsabilité des cadres et militants à mettre une pièce de plus dans la machine à baffes n’est pas à négliger”, souffle Nadine Herrati, présidente du Conseil fédéral. Il y a deux ans, Marine Tondelier reprenait les rênes d’EELV, devenu aujourd’hui Les Ecologistes. Elle promettait alors de “rénover le parti du sol au plafond”, et d’abandonner les éternelles querelles intestines. Impossible n’est pas écolo.

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