Dans les hypermarchés, le succès fou des “chariots mystères”

Dans les hypermarchés, le succès fou des “chariots mystères”

Sous les néons de l’hypermarché Auchan de Fontenay-sous-Bois, dans le Val-de-Marne, Nathanaël observe scrupuleusement la forme des “chariots mystères” alignés devant lui. Dans les allées du magasin, une vingtaine de ces colis géants, recouverts de plastique noir et dont personne ne sait ce qu’ils contiennent, attendent de trouver preneur. Le petit garçon finit par désigner l’un d’entre eux, dont le prix s’élève à 188 euros, “au lieu de 563,76 euros” – soit une réduction de plus de 60 %. Sa grand-mère, Isabelle, saute le pas. “Le prix d’achat n’est pas anodin, surtout en ce moment… Mais quoi qu’il arrive, je serai gagnante”, justifie-t-elle, convaincue par la promesse de cette bonne affaire. Sans même avoir pris le temps de réaliser le reste de ses courses, elle passe en caisse. En ce samedi matin, cette fidèle cliente confie “ne s’attendre à rien”. La surprise fait partie du jeu, et la découverte de ses gains apportera “une petite touche d’inattendu” à sa corvée hebdomadaire.

Quelques minutes plus tard, un vendeur découpe au cutter le plastique opaque, laissant apparaître une housse de couette à motifs, des petits objets de décoration, un casque sans-fil, une brosse nettoyante ou encore un épilateur électrique d’une grande marque d’électroménager. Pas de jouets pour Nathanaël, ni de smartphone ou de matériel de cuisine dernier cri… Mais qu’importe. “Même si les objets ne me serviront pas tous, j’avais envie de tenter ma chance !”, se rassure Isabelle, confirmant qu’elle pourra toujours offrir ou revendre ce qui ne lui plaît pas. Derrière elle, plusieurs curieux jettent un œil au contenu du chariot, hésitent à reproduire l’expérience. Il faut faire vite : en une demi-heure, la moitié des colis disponibles ont déjà été vendus, pour des sommes allant jusqu’à 190 euros.

“Le côté ludique et la promotion affichée séduisent beaucoup de monde, de tous les âges et de toutes les catégories socioprofessionnelles”, raconte Philippe Lonjon, directeur du magasin. Maryvonne et son époux, habitués aux petits commerces indépendants des quartiers cossus de Vincennes (Val-de-Marne), ont aussi tenté leur chance. “On est joueurs, alors on a pris le chariot numéro 6, date d’anniversaire de mon mari”, lâche Maryvonne. Face à la boîte à bijoux, au diffuseur d’huiles essentielles ou au lot de casseroles découverts après avoir déboursé 145 euros, la retraitée n’est pas tout à fait convaincue. “Je ne garderai que quelques éléments de décoration… Mais ça valait le coup rien que pour le fun”, assure-t-elle.

“Fantasme de la bonne affaire”

Partie en octobre dernier de l’initiative d’un directeur de magasin à Dieppe (Seine-Maritime), l’idée de ces chariots mystères a séduit, en quelques mois, plus de 45 établissements Auchan, partout en France. “A chaque fois, c’est un succès fou. Les clients sont parfois surpris, mais repartent toujours heureux. Et nous, ça nous permet de déstocker”, résume Philippe Lonjon. Les enseignes concurrentes, comme Carrefour ou Intermarché, ont rapidement adopté la tendance, proposant leur propre version des paniers surprises – dont la valeur finale est toujours affichée comme “deux à trois fois supérieure” au prix d’achat en magasin.

“Dès que l’on casse la routine dans les principes de consommation, en inventant par exemple ce type de promotions, ça marche”, analyse Patrice Duchemin, sociologue de la consommation. Malgré des prix d’achat plutôt élevés en cette période d’inflation, “le fantasme de la bonne affaire et de la bonne surprise suffit à conquérir le client et à créer le buzz”, estime le chercheur. Sur les réseaux sociaux, cette quête “du bon plan” n’en finit plus de passionner les internautes. Filmées en accéléré sur fond de musique pop, avec humour ou même commentées en ASMR, ces voix douces supposément relaxantes, certaines vidéos d’ouverture de ces chariots mystères ont été vues par des dizaines de milliers d’abonnés. Au magasin d’Auchan Dieppe, où l’opération a déjà été renouvelée une dizaine de fois, cette visibilité aurait même amené certains clients à devenir des “fidèles de l’opération”, selon le directeur, Jérémie Juan. Quitte à repartir avec les mêmes objets, pour les troquer ensuite dans la galerie de l’hypermarché. Comme jadis.

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