Dérives sectaires : pourquoi l’article sur la “provocation à l’abandon de soins” fait polémique

Dérives sectaires : pourquoi l’article sur la “provocation à l’abandon de soins” fait polémique

“Gourous 2.0”, “sphère complotiste”… Le “fléau” des dérives sectaires est en “constante évolution” et mérite “d’adapter notre droit”, a souligné la secrétaire d’Etat chargée de la Citoyenneté et de la Ville Sabrina Agresti-Roubache (Ville), à l’ouverture des débats sur l’examen d’un projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires, entamé, mardi 13 février par l’Assemblée nationale.

La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) “alerte sur les solutions miracles proposées par certains pseudo-thérapeutes contre des pathologies cancéreuses, comme des injections de gui” ou “des jus de citron”, a-t-elle indiqué dans l’hémicycle.

L’Assemblée nationale a cependant mis en échec le gouvernement en s’opposant à la création d’un nouveau délit de “provocation à l’abandon ou à l’abstention de soins ou à l’adoption de pratiques dont il est manifeste qu’elles exposent la personne à un risque grave ou immédiat pour sa santé”. Dans ce projet de loi, la “provocation à l’abstention ou à l’abandon de soins” serait punie d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende. En toute fin de soirée, les députés ont, comme le Sénat, supprimé cet article le plus controversé du texte. Une coalition des oppositions a en effet rejeté l’article par 116 voix contre 108.

La “provocation à l’abandon de soins”, c’est “quand une personne malade est incitée [NDLR : par un manipulateur] à abandonner ses traitements, de manière répétée et intentionnelle”, a expliqué au Point Brigitte Liso, la rapporteure Renaissance du texte. “C’est une disposition innovante qui constitue une avancée majeure dans la lutte contre les dérives thérapeutiques à caractère sectaire”, a-t-elle indiqué lors de l’examen du texte le 7 février en commission des Lois. L’infraction “répond à la diffusion de techniques propres aux dérives sectaires dans le domaine de la santé, un phénomène qui prend une ampleur particulière sur les réseaux sociaux”, a-t-elle ajouté.

Art 4 perdu. J’ai honte de ces alliances contre la science.
On aurait pu avoir aussi au banc côté gouv, des convictions autrement exprimées que « je ne suis pas là pour me fâcher » « vous me connaissez » cela n’aurait rien changé à l’arithmétique, mais rendu la défaite – pénible pic.twitter.com/BzbE8pCmKp

— eric bothorel (@ebothorel) February 13, 2024

L’intérêt de cet article 4, selon la députée ? “Combler une véritable lacune de notre arsenal en nous dotant de moyens efficaces de lutte contre les dérives thérapeutiques à caractère sectaire”. En commission des Lois, Brigitte Liso a donné deux exemples de ces dérives : la “promotion de la consommation exclusive de jus de légumes pour traiter le cancer” ainsi que “la promotion du jeûne total qui guérirait les maladies tandis que les médicaments tueraient l’organisme”.

La lanceuse d’alerte Irène Frachon invoquée

Des élus de la majorité, le gouvernement et des députés socialistes ont tenté en vain de sauver la mesure, pour protéger les “victimes” de “charlatans”, ces “personnes qui conseillent avec beaucoup d’emphase et de techniques d’arrêter les traitements” médicaux.

A gauche, l’insoumis Jean-François Coulomme a dénoncé ce délit “trop vague”, qui “menace nos libertés”, par exemple pour “critiquer les dérives pharmaceutiques”. Plusieurs parlementaires de gauche comme de droite ont invoqué la lanceuse d’alerte Irène Frachon et son rôle décisif dans l’affaire du Mediator. LR et RN ont aussi insisté sur la défense des “libertés publiques”, face à des élus Macronistes leur reprochant de raviver les débats du passe sanitaire, voire de reprendre des arguments d’opposants aux vaccins contre le Covid-19. Plusieurs députés ont par ailleurs rappelé que le Conseil d’Etat, dans un avis du 17 novembre 2023, a estimé que “ni la nécessité ni la proportionnalité de ces nouvelles incriminations ne sont avérées”. La mesure controversée n’est pas enterrée pour autant, en attendant la suite de la navette parlementaire.

Le début des discussions s’était déroulé sans accroc pour le camp présidentiel. Contrairement au Sénat, l’Assemblée a validé un nouveau délit de placement ou de maintien en état de “sujétion psychologique”, afin de mieux appréhender les “spécificités de l’emprise sectaire”, selon le gouvernement. “Nous souhaitons agir en amont de l’abus de faiblesse en sanctionnant le fait même d’assujettir une personne par des pressions graves, ou réitérées, ou de techniques propres à altérer le jugement”, a expliqué Sabrina Agresti-Roubache.

Un nombre de signalements de dérives sectaires en forte hausse

Ce projet de loi érige aussi en circonstance aggravante l’abus de faiblesse commis au moyen d’un support numérique ou électronique, les peines étant portées de trois ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende aujourd’hui à cinq ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende si la loi proposée entre en vigueur. Ce texte entend par ailleurs protéger les mineurs avec des délais de prescription allongés.

La rapporteure Renaissance Brigitte Liso a souligné que “le nombre de signalements” de dérives sectaires a “presque doublé entre 2015 et 2021”, avec 4 020 enregistrés en 2021. Il reste une trentaine d’amendements à examiner ce mercredi, en première lecture.

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