Dominique Costagliola perquisitionnée par le PNF : le récit d’une folle affaire

Dominique Costagliola perquisitionnée par le PNF : le récit d’une folle affaire

Incompréhensible, inquiétant, consternant ? Les adjectifs manquent lorsqu’on prend connaissance de cette affaire. Grande spécialiste du virus du sida, épidémiologiste et biostatisticienne reconnue, Dominique Costagliola est une figure respectée du monde scientifique. Elle a aussi été l’une des personnalités en première ligne durant la pandémie de Covid-19, notamment en participant à la coordination des efforts de recherche contre le virus, ce qui lui a valu le grand prix de l’Inserm 2020.

Elle se distingue aussi par son discours “cash”, son indépendance et sa rigueur scientifique dans les médias et sur Internet. Raison pour laquelle elle a été une cible privilégiée des sphères complotistes et a reçu des milliers d’e-mails et de messages sur les réseaux sociaux contenant insultes, menaces de mort, voire promesse d’un “Nuremberg 2.0” [NDLR : un projet de procès défendu par les milieux complotistes qui comparent les responsables des politiques sanitaires à des dignitaires de l’Allemagne nazie].

“J’ai commencé à être attaquée quand j’ai obtenu le grand prix de l’Inserm. Certains ont pris ça comme une réponse de l’institut à l’attitude de Didier Raoult et ont commencé à me diffamer, se souvient Dominique Costagliola. Cela s’est accentué quand j’ai écrit, en mars 2021, un article dans The Conversation, dans lequel j’expliquais qu’il n’y avait aucune donnée montrant l’efficacité de l’ivermectine contre le Covid.” Quelques jours plus tard, le site FranceSoir, connu pour ses positions antivax et pro-Raoult, ainsi que pour diffuser de fausses informations, publie deux articles affirmant que Dominique Costagliola a forcé le Pr Andrew Hill, auteur d’une méta-analyse sur l’ivermectine, à changer les conclusions de son étude.

Faute de preuve, le site avance des conjectures : l’organisation internationale Unitaid, qui a financé la méta-analyse, serait passée par Dominique Costagliola pour faire changer les conclusions. Le tout illustré par une photo de la chercheuse remettant un dossier à Marisol Touraine, directrice d’Unitaid depuis 2019. Et tant pis si le cliché date de 2013, alors que cette dernière était encore ministre de la Santé. FranceSoir cite aussi Tess Lawrie, une médecin britannique persuadée de l’efficacité de l’ivermectine et qui assure que Dominique Costagliola a forcé la main d’Andrew Hill. “La boucle est bouclée”, conclut FranceSoir.

Enquête pour trafic d’influence, perquisition à 6 heures du matin

Au plus fort de la tempête, Dominique Costagliola aurait apprécié le soutien des institutions sanitaires, voire de la justice. Au lieu de quoi elle a été gratifiée d’une perquisition à son domicile, jeudi 2 décembre 2021, à 6 heures du matin, lors de laquelle les gendarmes lui ont expliqué que le prestigieux Parquet national financier (PNF) avait ouvert une enquête à son encontre pour “trafic d’influence”. L’éminente scientifique n’en croit ni ses oreilles ni ses yeux, d’autant qu’elle souffre ce jour-là d’une cataracte secondaire. “Je ne pouvais pas bien lire le document détaillant l’objet de la perquisition, se souvient-elle. Et les gendarmes ne m’ont pas laissé le temps de le consulter, alors qu’ils en ont normalement l’obligation.”

La situation commence à s’éclaircir quelques minutes plus tard, quand les inspecteurs téléchargent depuis son ordinateur les documents contenant les mots-clefs “Marisol Touraine”, “Unitaid” et “Inserm”. La chercheuse ayant travaillé quarante ans pour l’institut national, la masse de dossiers est colossale. “En plus, ils ne connaissaient rien aux Macintosh, j’ai dû leur expliquer comment faire”, se remémore-t-elle. A 13 h 30, les téléchargements sont toujours en cours. Les gendarmes partent déjeuner, non sans avoir demandé une bonne adresse à leur hôte, et laissent tout leur matériel sur place. “Je ne crois pas qu’ils me pensaient coupable de grand-chose”, analyse Dominique Costagliola. Alors pourquoi une perquisition ? Les mots-clefs suggèrent évidemment un lien avec les “articles” de FranceSoir. Ces derniers, dépourvus de preuve, ont-ils pu justifier une enquête du PNF ?

Classement sans suite

La biostatisticienne a appris le fin mot de l’histoire le 7 février dernier seulement, alors que son avocate avait sollicité le PNF à de multiples reprises. “J’ai enfin reçu une copie de mon dossier. Il y est indiqué que l’enquête a été déclenchée à la suite d’une plainte de l’association BonSens, reçue le 6 avril 2021”, explique-t-elle. Quel lien entre BonSens et FranceSoir ? Xavier Azalbert. Ce dernier est le directeur de la publication de FranceSoir mais également le président et le responsable de la publication de BonSens, qu’il a cofondée avec d’autres figures de la complosphère française (Alexis Lacout, Christian Perronne, Silvano Trotta, etc.). Les deux structures sont habituées à se renvoyer la balle : si, dans ce cas, un article du site a inspiré la plainte de l’association, les (nombreuses) procédures judiciaires initiées par BonSens sont quasi systématiquement rapportées par FranceSoir, qui a consacré quelque 120 articles à l’association. “La boucle est bouclée”, serait-on également tenté de dire.

La lecture du dossier a également appris à Dominique Costagliola que l’enquête était terminée depuis des mois. “La plainte a été classée sans suite le 22 mai 2023, tout ça sans que je ne sois jamais interrogée par les gendarmes ni même prévenue du classement sans suite”, dénonce-t-elle, encore sidérée. Interrogée par L’Express, une source judiciaire assure que le PNF était conscient de “la non-neutralité des personnes qui portaient plainte”, mais certifie que le parquet n’aurait jamais lancé une procédure reposant uniquement sur des articles de FranceSoir.

Cette même source judiciaire ajoute que la plainte de BonSens contenait une pièce supplémentaire : “Un enregistrement d’une visiophonie entre le Pr Andrew Hill et le Pr Tess Lawrie, qui serait proche de l’association BonSens.” Cette conversation laissait “supposer un possible trafic d’influence concernant les conditions dans lesquelles un laboratoire pharmaceutique aurait fait obstacle à l’approbation en urgence de l’ivermectine”, se justifie la source judiciaire. Lors de cette discussion, Andrew Hill indiquait également que “Mme Costagliola était intervenue pour donner son avis sur l’interprétation des données recueillies et sur le projet de conclusion de son étude”. BonSens accusait encore la chercheuse française d’avoir bénéficié de plusieurs contrats de la part de laboratoires pharmaceutiques pouvant avoir intérêt à ce que l’ivermectine ne bénéficie pas d’une approbation en urgence.

Un dossier à charge apparemment suffisant pour faire douter le PNF, qui a ouvert une enquête préliminaire. Quelques mois plus tard, les enquêteurs constatent la vacuité du dossier et décident d’arrêter les frais. “Le PNF a estimé que les premiers éléments recueillis dans le cadre de l’enquête, notamment à la suite de la perquisition, n’avaient pas permis de confirmer les allégations formulées par les plaignants, il n’a donc pas été nécessaire d’entendre Mme Costagliola, poursuit notre source. Cette absence d’audition explique qu’elle n’ait pas été destinataire d’un avis de classement sans suite en mai 2023”. Une pratique “habituelle en la matière”, précise-t-on. Reste que l’avocate de la chercheuse avait demandé des nouvelles en octobre 2023 et n’a été informée que cinq mois plus tard. Un délai justifié par “des difficultés à retrouver la procédure (sic)”, selon la source judiciaire.

Des insultes en plein procès

Dominique Costagliola, elle, s’étonne d’une forme de deux poids deux mesures. Car la chercheuse a elle aussi porté plainte, en mars 2021, pour cyberharcèlement et menaces de mort contre Eric Chabrière, ex-bras droit de Didier Raoult, et contre d’autres internautes le soutenant. “Depuis, il ne se passe rien. Tout ce que je sais, c’est que ma plainte déposée à Paris a été dépaysée à Marseille et est toujours un cours d’analyse”, indique-t-elle.

Pendant ce temps, alors même que BonSens est au courant du classement de l’affaire depuis mai dernier – ce que la source judiciaire confirme à L’Express –, FranceSoir continue de propager de fausses informations. Le site a en effet repartagé sur son compte X (ex-Twitter), un de ses articles accusant Dominique Costagliola de trafic d’influence, vendredi 1ᵉʳ mars 2024. Ce jour-là, la biostatisticienne se rendait en tant que témoin au procès qui oppose l’ancien directeur de l’IHU de Marseille, Didier Raoult, à Guillaume Limousin, un professeur de mathématiques qui dénonce depuis le début de la pandémie les dérapages du microbiologiste.

Outre le tweet de FranceSoir, la chercheuse aura aussi été la cible de personnes venues soutenir Didier Raoult. En plein procès, certains n’ont pas hésité à proférer insultes et vulgarités à son égard. Depuis les bancs du public, Eric Chabrière a notamment lancé : “Bientôt un tournage avec Marc Dutroux ?” Interpellé par la présidente du tribunal, il a justifié ses propos par le fait que “des gens derrière lui disaient pire encore”, rapporte Christian Peltier, l’avocat de Guillaume Limousin. Pas suffisant pour déstabiliser Dominique Costagliola, qui a tout de même témoigné. De quoi rappeler que la lutte contre la désinformation médicale, éreintante et violente, demande autant de patience que de courage.

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