Dopage : les JO de Paris 2024 peuvent-ils éviter le scandale ?

Dopage : les JO de Paris 2024 peuvent-ils éviter le scandale ?

Dans les tribunes du Stade de France, les spectateurs retiennent leur souffle. Quoi qu’il arrive, cette soirée du 4 août 2024 restera dans la légende et ils le savent. En contrebas, sur la piste couleur ocre, dix sprinteurs s’apprêtent à conquérir le Graal seulement 100 mètres plus loin. Moins de dix secondes plus tard, le nouveau champion lève les bras. L’image fait la Une des journaux du monde entier. Après une série d’interviews, l’athlète reçoit le lendemain sa médaille d’or et signe par dizaines des contrats de sponsoring. Entre-temps, il a répondu à certaines obligations, dont le fameux contrôle antidopage. Le verdict tombe : négatif. Gloire au nouveau héros ! Il faudra pourtant attendre dix ans, 2034, pour que tout doute soit définitivement levé. Les échantillons des sportifs sont en effet conservés une décennie et testés à nouveau à ce moment-là, au cas où des avancées scientifiques permettraient de révéler une tricherie. Bienvenue dans la nouvelle réalité du sport.

Retour en arrière : Jeux olympiques de Londres, 2012. Neuf athlètes sont contrôlés positifs durant la compétition, un nombre relativement faible. Dix ans plus tard, en 2022, la réalité est tout autre : 73 violations aux règles antidopage ont été constatées après de nouvelles analyses sur 2 727 échantillons ; 31 médailles ont été retirées et 46 réattribuées. Certes, ces Jeux ont été frappés de plein fouet par le scandale du dopage étatique de la Russie, mais le constat est amer.

Les JO de Paris 2024 parviendront-ils à s’éviter une si mauvaise publicité ? Le Comité d’organisation (Cojop) et la communauté antidopage mondiale peaufinent depuis plusieurs années déjà leur arsenal. “La lutte contre le dopage n’a pas lieu une fois tous les quatre ans, c’est une bataille de tous les instants, considère Olivier Niggli, directeur général de l’Agence mondiale antidopage (AMA). L’enjeu, c’est d’attraper tous les tricheurs avant le 26 juillet, pas pendant ou après les Jeux”. Mais comment les reconnaître ? Selon les textes en vigueur, le dopage correspond à la prise d’une ou plusieurs substances inscrites dans la liste des produits interdits. Trois critères sont nécessaires pour y figurer : que ces substances soient dangereuses pour la santé, qu’elles améliorent les performances, et qu’elles soient contraires à l’esprit du sport. Répondre à deux de ces critères est suffisant pour être présent dans cette liste. Au milieu des agents anabolisants ou des hormones peptiques, figurent aussi des médicaments dont l’usage peut être détourné, comme l’Ibuprofène. En septembre dernier, le Comité exécutif de l’AMA y a ajouté le tramadol.

Pour éviter tout scandale, un plan de contrôle des athlètes susceptibles de participer aux JO a été mis en place par le Comité international olympique (CIO), l’Agence de contrôles internationale (ITA, pour International Testing Agency) et l’AMA, avec un pool potentiel de 100 000 sportifs établi un an avant l’événement. Celui-ci s’affine au fil des mois en fonction des sports – la lutte ou l’haltérophilie étant plus à risque que le tir à l’arc ou le tennis de table -, des qualifiés, des blessés ou des nationalités : certains Etats ont un fort historique de dopage, comme la Russie, la Biélorussie ou l’Ukraine. Dans le détail, environ 10 000 athlètes sont, à l’heure actuelle, considérés comme “à risque” et suivis de très près. Tous seront contrôlés trois fois en trois semaines avant les Jeux pour concourir. Pour cela, ils doivent être localisables 24 heures sur 24, sept jours sur sept. “Il s’agit d’un régime très strict, c’est très intrusif. Si on veut se montrer provocateur, on dirait qu’ils sont quasiment plus surveillés que les personnes suspectées de terrorisme !”, met en avant David Pavot, professeur de droit et titulaire de la Chaire de recherche sur l’antidopage dans le sport de l’Université de Sherbrooke, au Canada. Certains parviennent pourtant, encore et toujours, à contourner les obstacles. Lors des JO d’hiver de Pékin, en 2022, la patineuse russe Kamila Valieva a été contrôlée positive à la trimétazidine. Suspendue quatre ans en janvier dernier, elle faisait partie des athlètes suivies régulièrement par l’AMA et l’ITA.

Nombre de cas de dopage recensés par pays aux Jeux olympiques d’hiver et d’été depuis 1968.

“Il est devenu très compliqué de se doper”

Lors des JO de cet été, l’organisation sera la clé. Près de 300 officiels de contrôle sont progressivement formés par l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), qui agira sous l’égide de l’ITA. Condition sine qua non : exercer une profession médicale ou paramédicale ou être officier de police judiciaire, et parler anglais correctement. Ils seront aidés de 600 “chaperons”. Car la tâche est immense : il faudra effectuer à l’été 2024 près de 6 000 tests pour les seuls JO, soit près de la moitié de ce que réalise habituellement la France en une année. Côté matériel, des toilettes adaptées ou des miroirs pour voir les athlètes doivent être installés dans les nombreuses stations de prélèvement. Une fois le sportif à l’intérieur, tout est très réglementé, loin de l’image d’Epinal qui voudrait que la procédure se fasse sur un coin de table : “Ouvrez le flacon, remplissez-le, refermez-le, mettez-le dans la boîte en carton, placez la boîte dans le sachet plastique, scellez le sachet plastique” : ces mots seront prononcés par les agents de contrôle qui ne manipulent aucun objet directement. Charge à eux, par la suite, de vérifier régulièrement le nom de l’athlète contrôlé, le numéro de l’échantillon, noter le volume d’urine recueilli, et remplir scrupuleusement le formulaire.

Il peut cependant arriver que la personne ciblée soit stressée et fasse un blocage. Il faut bien imaginer qu’il n’est pas aisé de faire ses besoins devant une ou plusieurs personnes juste après une course, un match ou un combat. D’autant que près de 80 % des tests réalisés durant la compétition sont urinaires. Dans ce cas, si le volume d’urine requis – 90 millilitres minimum – n’a pas été recueilli, il faut quand même sceller le premier prélèvement, puis le rouvrir afin de le mélanger avec le deuxième et ainsi obtenir les deux échantillons A et B qui seront testés. Les apprentis “préleveurs” doivent aussi se former aux procédures de prélèvements sanguins, ainsi qu’à la nouvelle méthode de prélèvements de gouttes de sang séchées mise en place depuis les JO de Tokyo, en 2021. “Aujourd’hui, les outils à notre disposition sont bien plus larges qu’il y a dix ans, et le ciblage est bien plus efficace, poursuit Olivier Niggli. En d’autres termes, il est devenu très compliqué de se doper”. Compliqué, mais pas impossible.

Le dopage moderne, un air de déjà-vu

Et l’actualité le prouve. “Depuis dix ans, 27 000 athlètes ont été testés positifs, soit 7,5 par jour”, argumente Raphaël Faiss, responsable de recherche à l’Université de Lausanne. Et encore, on ne dénombre que 0,6 à 1 % de prélèvements anormaux sur la totalité de ceux réalisés chaque année selon l’AMA. “C’est très peu, mais c’est peut-être l’arbre qui cache la forêt car bien plus, en réalité, ont recours à des produits dopants. On estime qu’entre 10 et 30 % des sportifs en ont déjà utilisé dans leur carrière, avec des nationalités et des sports plus concernés que d’autres”, poursuit le chercheur. Autant dire que la lutte est loin d’être finie. “Le dopage de masse qu’on a connu au début des années 2000, à l’époque de Lance Armstrong, semble révolu, ce n’est plus le Far West mais il reste beaucoup à faire”, complète David Pavot.

Vestiges du passé, les stéroïdes anabolisants, dont la testostérone, sont encore très utilisés par certains athlètes [NDLR : le footballeur Paul Pogba a été récemment suspendu 4 ans après une contre-expertise]. Cette hormone aide à produire du muscle, mais permet aussi d’accélérer la récupération musculaire et joue le rôle de psychostimulant, en augmentant la motivation et l’envie de réussir. Autre avantage pour les tricheurs : elle est naturellement produite par le corps humain, donc difficilement détectable lors de contrôles. “Le développement des passeports biologiques des athlètes, qui fêtent leur 15e anniversaire cette année, a permis de mieux cibler ceux dont les valeurs varient de manière anormale”, poursuit Raphaël Faiss.

Ce document électronique est basé sur le suivi au fil du temps de variables biologiques sélectionnées, par opposition à la traditionnelle détection directe du dopage au moyen d’analyses. Et le chercheur de poursuivre : “Le dopage moderne a en réalité peu changé, les substances sont sensiblement les mêmes. Seulement, les doses administrées ont été globalement réduites et plus ciblées”. Une substance miracle existe-t-elle ? “On n’a pas de trace actuellement d’un tel produit, mais on ne sait jamais !”, insiste David Pavot. Là encore, les progrès scientifiques permettent de réduire l’ampleur du dopage. “Osons une comparaison : il y a une quinzaine d’années, on arrivait à détecter une baignoire dans une piscine olympique. Aujourd’hui, on peut voir une cuillère à café dans deux bassins olympiques”, poursuit le chercheur.

Un budget en question

Reste une question : l’Agence mondiale antidopage a-t-elle les moyens de lutter efficacement contre ces pratiques et ces évolutions ? Le budget de l’AMA est actuellement de 54 millions de dollars. Une somme très modeste à laquelle il faut ajouter le budget de chaque agence antidopage nationale et des fédérations internationales. “C’est le salaire annuel d’un basketteur quand le marché des compléments alimentaires dans le sport avoisine les 30 milliards de dollars”, raille Raphaël Faiss. Pour comparaison, les agences antidopage “humaines” réalisent chaque année environ 300 000 tests sur des athlètes, contre 650 000 effectués en 2019 sur des chevaux de course par les fédérations d’équitation…” Mais Olivier Niggli se veut rassurant : “Le système sera tout à fait performant aux JO de Paris. Espérons que les athlètes prendront les bonnes décisions”. Raphaël Faiss veut, lui aussi, garder espoir : “Ce système est imparfait mais nécessaire pour offrir une chance de gagner aux athlètes intègres”. Et David Pavot de conclure : “Des dopés, il y en aura toujours ; de même qu’il y aura toujours des voleurs dans la société. Il faut éduquer les sportifs dès le plus jeune âge, or, la communauté antidopage vise principalement les athlètes déjà adultes, et rendre ces pratiques les plus difficiles possibles”

A partir de là, comment mesurer si les JO de Paris seront, ou non, réussis ? Si de nombreux tests revenaient positifs, la nouvelle serait terrible mais signifierait que la lutte antidopage fonctionne, et que les tricheurs seront sanctionnés. A l’inverse, serait-ce un succès de ne pas dénombrer un seul cas de dopage ? Cela pourrait vouloir dire qu’il existe des trous dans la raquette voire, dans le pire des cas, que les athlètes ont trouvé la parade. Insoluble équation. Reste à attendre… 2034.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *