DPE et ZAN : Einstein contre Kafka, par Cécile Maisonneuve

DPE et ZAN : Einstein contre Kafka, par Cécile Maisonneuve

“Je ne suis pas persuadé qu’un tel objectif aurait un sens sur le plan européen” : c’est en ces termes que le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, a retoqué, lors du Conseil des ministres de l’Environnement de décembre à Bruxelles, l’idée d’une extension aux 27 Etats membres du désormais célèbre concept de “zéro artificialisation nette”. La France renoncerait-elle donc à façonner l’Europe à son image, alors même qu’en 2021, lors de l’adoption de la loi Climat et résilience qui a introduit ce concept dans le droit français, Barbara Pompili, la ministre de l’époque, annonçait fièrement qu’”avec cette loi c’est un autre monde qui pointe” ? L’heure est grave. Aurait-on changé notre ADN français ? Comment expliquer une telle réserve, suffisamment rare pour être relevée, alors que la Commission européenne est pourtant prête à légiférer sur la surveillance et la résilience des sols ?

La réponse est simple : parvenir à une définition commune de ce concept à Bruxelles est impossible. L’organisme européen Eurostat se contente de définir comme artificialisés les sols bâtis et les sols revêtus et stabilisés, quand la France en a une approche particulièrement extensive, y incluant tous les sols qui ne sont pas des espaces naturels, agricoles ou forestiers, qu’ils soient imperméabilisés – bâtis, revêtus et stabilisés comme les routes, les voies ferrées, les parkings… – ou perméables – comme les parcs et jardins, les friches urbaines, les terrains de sport, les carrières… Cette définition est tellement large et vague qu’à l’issue du vote de la loi nul n’était capable de dire clairement où elle s’arrêtait, renvoyant au décret le soin de préciser les choses.

Outre ce problème sémantique se pose un problème de mesure : la méthodologie jusqu’alors utilisée en France, très lacunaire, conduit, là encore, à une vision large du concept par rapport à la méthode européenne : dans le premier cas, c’est l’équivalent d’un département qui est artificialisé tous les dix ans ; dans le second, tous les vingt-cinq ans… Dit autrement, c’est sur une notion floue, qui emprunte plus à la science bureaucratique qu’à la science tout court, que sont désormais fondés la politique d’aménagement territorial et urbain ou encore le prix du foncier, l’un des déterminants majeurs du prix des logements. Pour compléter le tableau, ajoutons que, dans la directive en préparation à Bruxelles, il n’est surtout pas prévu de fixer des objectifs obligatoires en la matière. A l’inverse, la France en fait un objectif contraignant.

Le DPE est une arme de destruction

Le même constat vaut en matière de performance énergétique des logements : nul besoin de revenir sur les insuffisances du diagnostic de performance énergétique (DPE), magistralement mises en lumière par le Conseil d’analyse économique – organe placé, rappelons-le, auprès du Premier ministre… Là encore, des politiques et des dépenses publiques structurantes sont fondées sur des outils et une méthodologie qui doivent plus à Kafka qu’à Einstein. Il est même légitime de s’interroger sur la constitutionnalité d’un tel outil, notamment sur sa compatibilité avec le principe fondamental de respect de la propriété privée.

Le DPE est une arme de destruction massive de valeur immobilière sans être une arme de réduction massive des gaz à effet de serre. Et, là encore, aucun autre pays n’a adopté une approche aussi radicale et contraignante.

Grâce à son programme nucléaire historique, la France a été pionnière de la décarbonation de son système électrique. A cause de lois idéologiques et bureaucratiques mal nées et mal menées, elle fait figure d’exception, et le restera. Le “zéro artificialisation nette” comme le diagnostic de performance énergétique tel qu’il est conçu aujourd’hui sont à l’écologie ce que les 35 heures ont été au droit du travail : une exception bien française, que personne ne s’est empressé de copier, qui crispe et ralentit notre pays plutôt que de le rendre productif et créatif. Chacun doit trouver son chemin dans la transition ? Peut-être, mais à condition de s’appuyer sur un langage universel, celui de la science, plutôt que sur un sabir bureaucratique déconnecté du réel.

Cécile Maisonneuve est fondatrice de Decysive et conseillère auprès du centre Energie et Climat de l’Ifri

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