Electricité : l’Espagne et le Portugal sont-il vraiment sortis du marché européen ?

Electricité : l’Espagne et le Portugal sont-il vraiment sortis du marché européen ?

Et s’il suffisait de sortir du marché européen de l’électricité pour alléger la facture des Français ? Ces derniers mois, alors que les prix de l’électricité étaient au plus haut, des voix se sont élevées pour dénoncer le cadre réglementaire européen. Qualifié de “folie” par le président du groupe LR du Sénat Bruno Retailleau, d’”absurde” par Jordan Bardella, le chef du parti Rassemblement national, et rejeté par La France insoumise, le dispositif a été attaqué de tous bords. Au point que de nombreux responsables politiques ont appelé à en sortir. A l’exemple de Jordan Bardella qui évoquait le cas de l’Espagne et du Portugal, et demandait à suivre leur exemple. Pourtant, aussi tenace soit-elle, l’idée que la péninsule ibérique est sortie du marché européen est fausse.

“L’Espagne et le Portugal ne sont pas sortis du marché européen de l’électricité”, réfute d’emblée Jacques Percebois, professeur émérite à l’Université de Montpellier. En réalité, les pays de la péninsule ibérique ont pu bénéficier d’un régime dérogatoire de juin 2022 à décembre 2023, leur permettant de subventionner le gaz entrant dans la production d’électricité, afin de réduire le poids de la note d’électricité pour les entreprises et les ménages.

Pourquoi ces dérogations ?

Cette dérogation a été obtenue par le gouvernement espagnol auprès de la Commission européenne, en raison de l’isolement du réseau électrique ibérique, composé en majorité d’énergies renouvelables et moins connecté au reste de l’Europe. Contrairement à la France, l’Espagne et le Portugal ont peu de liaisons physiques avec leurs voisins pour bénéficier d’échange d’électricité. “Quand il n’y a pas de congestion sur les réseaux électriques, les prix convergent entre les pays européens. Mais si la demande est plus importante que les capacités du réseau, alors les prix divergent”, explique Jacques Percebois.

Le prix de l’électricité est fixé sur les marchés européens par le principe du “coût marginal”, qui implique de prendre comme référence le prix de la dernière capacité de production utilisée pour équilibrer le réseau, c’est-à-dire actuellement celui des centrales à gaz. Un mécanisme qui a fait exploser les prix des électrons lorsque le gaz s’est envolé à la suite de la guerre en Ukraine et des sanctions sur les approvisionnements russes. En subventionnant le gaz entrant dans la production d’électricité, l’Espagne et le Portugal ont ainsi abaissé leur facture de 15 % à 20 % selon le gouvernement espagnol. Ces prix bas ont d’ailleurs aussi profité à la France, “qui a importé de l’électricité produite de l’autre côté des Pyrénées”, note Stefan Ambec, professeur à Toulouse School of Economics.

La France aurait-elle intérêt à sortir du marché européen ?

Du fait de son positionnement géographique très interconnecté au niveau européen, et de son électricité nucléaire bas carbone et peu chère, la France n’a pas tellement intérêt à quitter le marché européen, assurent les spécialistes. D’une part, la présence voisine de pays producteurs d’électricité d’origine renouvelable lui permet d’acheter une énergie peu chère. Et d’autre part, son mix énergétique lui offre la possibilité d’exporter sa production nucléaire. En 2023, avec la disponibilité retrouvée du parc nucléaire et la baisse des prix du gaz, la France est redevenue exportatrice nette d’électricité en Europe. Ces interconnexions lui permettent aussi d’assurer sa sécurité énergétique en cas de chute de la production, comme en 2022 avec la baisse des capacités nucléaires.

Quelle réforme à venir ?

Avec la stabilisation des prix du gaz, la péninsule ibérique ne devrait pas avoir à demander de nouvelles dérogations à l’avenir. Surtout, les Vingt-Sept se sont accordés ces derniers mois sur une réforme du marché européen visant à contrôler la volatilité des prix observée ces dernières années. Grâce à des contrats d’achats d’électricité de long terme à un prix décidé à l’avance, et des contrats à prix garantis par les Etats, les gouvernements entendent réduire l’exposition des fournisseurs d’électricité à la volatilité du marché de gros et des prix du gaz. Le texte législatif, discuté âprement, est actuellement en négociation entre les Etats et les eurodéputés en vue de sa finalisation.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *