En Suisse, l’art aborigène mis à l’honneur

En Suisse, l’art aborigène mis à l’honneur

Depuis plusieurs années, en Europe, les institutions muséales se plaisent à confronter les artistes contemporains à leurs aînés éloignés, en leur ouvrant les portes de leurs fonds permanents. Les créateurs d’aujourd’hui en dialogue avec deux d’hier, le filon est souvent payant. C’est dire combien la proposition de la Fondation Opale, à Lens, en Suisse, se démarque par la mise en regard d’œuvres exclusivement contemporaines. Exit le passé, même s’il s’agit d’art aborigène, d’un côté, et de création, toutes disciplines confondues, de l’autre.

A quelques encablures du domaine skiable de Crans-Montana, en bordure du lac Louché, au cœur des Alpes suisses, l’antre de Bérangère Primat, perchée à 1200 mètres d’altitude, recèle la plus grande collection d’art contemporain des Aborigènes d’Australie sur le Vieux Continent. Depuis sa création en 2018, sa fondation privée a fait des petits, en s’adjoignant, pour ses 5 ans, une aile supplémentaire, où l’on trouve une réserve d’œuvres, une bibliothèque et un auditorium flambant neufs, le tout ciselé dans les plus beaux matériaux, qui sont destinés, explique Gautier Chiarini, le directeur du lieu, à “développer des passerelles avec la population locale”.

Dans l’espace d’exposition temporaire, les confrontations se déploient sous l’intitulé High Five ! – terme marquant une salutation par paumes interposées (“Tape m’en cinq !”). Pour ce projet participatif audacieux, le musée a sollicité 26 personnalités du monde de la culture helvète. Des artistes, des curateurs, des collectionneurs, des auteurs, mais aussi un neuroscientifique et un horloger, ont joué le jeu, à savoir choisir une pièce aborigène parmi les 1 500 qu’en compte la collection Primat, et y répondre avec une création réalisée spécialement pour l’occasion ou déjà existante. Ici, pas de commissaire d’exposition, mais une scénographie confiée à l’agence Pavillon Trois, qui offre un parcours épuré, ménageant lignes de fuite et ombres projetées, que l’on appréhende en un seul coup d’œil. Comme sur les façades extérieures du bâtiment où des panneaux solaires reflètent les eaux du lac et les cimes enneigées alentour, la notion de reflet est au cœur du dispositif qui voit les mises en regard s’apparenter à des “œuvres-miroirs”. L’exploration d’une autre culture ne conduit-elle pas à une réflexion sur soi-même ? C’est le fil directeur de High Five ! que l’on pourra approfondir dans la publication du même nom, qui relate les entretiens entre les participants et Daniel Browning, journaliste et créateur originaire des communautés Bundjalung et Kullilli.

Mick Jawalji Jangala, “Dunggunbilngi”, 2007. A dr. : Sasha Huber, “Monarque migrateur“, 2018.

Dès la première salle, le mannequin argenté à la tenue composée de milliers de perles Swarovski, bois et plastique, de plumes et de strass fait son effet face à la composition Mamungari’nya (2017) de l’artiste anangu Manyitjanu Lennon d’Australie-Méridionale. Kevin Germanier, le jeune styliste natif du Valais, qui a choisi de dialoguer avec ce mandala coloré d’acrylique sur toile de lin, se distingue par sa démarche à la fois glamour et écoresponsable axée sur l’upcycling, soit la revalorisation de matériaux hors d’usage. Plus loin, un autre binôme orchestré par l’écrivain Metin Arditi met en résonance une icône miniature de la Vierge qu’il a acquise sur l’île grecque de Spetses avec le serpent Ngalyod de Wally Mandarrk, reliant ces deux œuvres visuellement dissonantes par la spiritualité qui les habite. D’origine suisse et haïtienne, l’artiste Sasha Huber, qui travaille sur la question des relations coloniales et post-coloniales et leur négociation dans les diasporas africaines et caribéennes, a choisi, quant à elle, de dialoguer avec une peinture de pigments et d’ocres naturels signée Mick Jawalji Jangala (1920-2013). Elle y a retrouvé des similitudes de couleurs et de formes avec sa propre création, ici une composition picturale où elle introduit des agrafes porteuses du symbole de l’arme [l’agrafeuse se dit staple-gun en anglais].

Au fil des confrontations, c’est un monde mystérieux qui se dessine. Avec le mérite, avant tout, de mettre en lumière cette expression artistique continue la plus ancienne au monde qu’est l’art aborigène.

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