Entre Emmanuel Macron et Olaf Scholz, la petite guerre parallèle

Entre Emmanuel Macron et Olaf Scholz, la petite guerre parallèle

Fallait-il une gaffe ou une provocation non délibérée pour obtenir le sursaut collectif dont l’Europe a besoin ? Le sommet du Triangle de Weimar (France, Allemagne, Pologne) organisé sans délai à Berlin vendredi 15 mars est en tout cas le signe qu’au moment le plus critique de la guerre d’Ukraine, existentielle pour l’Europe, l’autre urgence était de régler la bataille parallèle entre Emmanuel Macron et Olaf Scholz, dont les désaccords et l’inimitié avaient atteint une intensité préoccupante. Le Premier ministre polonais Donald Tusk a réconcilié les deux dirigeants qui, malgré leurs approches divergentes, partagent absolument le même objectif : celui d’une défaite de la Russie, indispensable à la sécurité de l’Europe.

On n’a pas fini d’évaluer les conséquences, à la fois négatives et positives, des propos d’Emmanuel Macron affirmant ne pas exclure l’envoi de “troupes au sol” en Ukraine. Le tollé provoqué par cette phrase à l’Elysée, le 26 février, y compris par les dirigeants invités qui venaient de se réunir précisément pour envoyer un message d’unité et de fermeté au Kremlin, n’était aucunement volontaire. Si l’éventualité de l’envoi de troupes avait été discutée en haut lieu depuis plusieurs mois, dans les états-majors comme entre chefs d’Etat ou de gouvernement alliés, il avait été convenu entre eux de maintenir le flou et l’ambiguïté stratégique sur cette question non consensuelle et clivante dans les opinions publiques. Dans un premier temps, l’effet a été ravageur. Du secrétaire général de l’Otan au Premier ministre britannique, de Washington à Stockholm, de Varsovie à Prague, chacun a sèchement pris ses distances. La phrase la plus cinglante est venue de Berlin : “Il n’y aura pas de troupes au sol, pas de soldats en Ukraine qui seront envoyés par les pays européens ou d’autres Etats de l’Otan”, a déclaré Olaf Scholz.

Casques et sacs de couchage

Jamais le ton n’était monté aussi haut entre un président français et un chancelier allemand. En plus de lâcher sa fameuse phrase sur les troupes au sol, Emmanuel Macron a vexé délibérément – et inutilement – Olaf Scholz, en se moquant du gouvernement qui, au début de la guerre, se contentait d’envoyer à l’Ukraine des “sacs de couchage et des casques”. Il a même prononcé, sans l’attribuer, le mot de “lâcheté”. S’ajoute une compétition infantile sur leurs soutiens respectifs. Le classement de l’Institut Kiel, qui fait autorité, est impitoyable pour la France, qui n’arrive que 15e parmi les alliés. L’Allemagne la devance – de très loin – par l’ampleur de son aide financière, mais refuse toujours, contrairement à la seconde, d’envoyer ses missiles de longue portée, les Taurus. Les piques explicites d’Emmanuel Macron ont braqué de plus belle le chancelier Scholz, dont le caractère, si froid qu’il en a acquis le surnom de “Scholzomat”, s’additionne à la mentalité sociale-démocrate allemande d’après-guerre configurée par le pacifisme et l’extrême prudence.

La gaffe sur les troupes au sol a d’abord isolé le président Macron. Par sa pusillanimité, c’est le chancelier Scholz qui se retrouve peu à peu en porte-à-faux et commence à donner raison à l’hubris française, une fois passée la désastreuse cacophonie politique et diplomatique. Le Parlement allemand a beau avoir rejeté une nouvelle motion du bloc d’opposition CDU-CSU demandant au gouvernement d’envoyer à l’Ukraine les missiles Taurus, le chancelier a beau bénéficier de la solidarité des ministres de sa coalition tripartite (SPD, Verts, FDP), des voix s’élèvent pour le critiquer, y compris dans ces partis. Friedrich Merz, chef de la CDU et possible futur chancelier, a violemment accusé Scholz pour ses propos tenus à Paris. D’Adenauer à Merkel, a-t-il poursuivi, “aucun chancelier ne se serait comporté de manière aussi lamentable”.

Soutien polonais

Emmanuel Macron est maintenant soutenu par la Pologne, les pays Baltes et la République tchèque, qui saluent la force mobilisatrice de son message. Selon Radek Sikorski, ministre polonais des Affaires étrangères, “Paris a changé le paradigme. C’est maintenant Poutine qui craint nos décisions, et non l’inverse”. Le poids grandissant des pays de l’Est dans le rapport de force européen, conjugué au consensus, rappelé à Berlin par le trio franco-germano-polonais, que “la Russie ne doit pas gagner cette guerre”, devrait finir par obliger Olaf Scholz à céder sur ses Taurus… et Emmanuel Macron à apprendre le tact.

* Marion Van Renterghem est grand reporter, lauréate du prix Albert-Londres et auteure du Piège Nord Stream (Les Arènes)

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *