Etudes rétractées, saillies médiatiques… La sulfureuse retraite de Didier Raoult

Etudes rétractées, saillies médiatiques… La sulfureuse retraite de Didier Raoult

Tout à coup, La Marche Impériale, signature sonore de Dark Vador dans Star Wars, retentit. Didier Raoult, non pas coiffé du casque du seigneur Sith, mais d’un masque chirurgical, descend la volée de marches de la salle de conférences de la Maison du Barreau (Paris 1er), entouré par douze avocats. Ce soir-là, nulle question d’un procès. Du moins pas tout à fait. Le sulfureux professeur marseillais est simplement l’invité d’honneur de la première Conférence Berryer de l’année 2024, qui se déroulait jeudi 8 février. L’institution bicentenaire, vitrine du barreau de Paris, est un concours d’éloquence pluriannuel qui mêle joutes oratoires féroces et humour plus ou moins potache. Le déroulement est simple : deux orateurs répondent à une question absurde – “Ça roule Raoult ? et “Le médecin est-il imaginaire ?” -, avant de voir leur exposé massacré par les douze secrétaires, jeunes pointures du barreau. L’invité d’honneur peut alors prendre la défense des orateurs, puis un ancien secrétaire conclut la conférence en étrillant les douze avocats.

Des invités de tous horizons y ont été conviés, de Salvador Dali à Serge Gainsbourg, en passant par JoeyStarr, Jean Lassalle ou encore François Hollande. Si le choix du convive – décidé à la discrétion du quatrième secrétaire – fait souvent débat, cette invitation-là a été accueillie particulièrement fraîchement. Sur les réseaux sociaux de la conférence, de nombreux habitués ont exprimé leur désaccord. “Je suis choqué. Il ne peut y avoir d’invitation sans tendresse à la Berryer”, dénonce l’un. “Honteux”, lance un autre. “On parle quand même de morts potentiels, ça n’a plus rien de drôle [NDLR, une récente étude montre que l’hydroxychloroquine a provoqué 16 990 morts lors de la pandémie de Covid-19]”, lâche un avocat qui préfère rester anonyme. Reste que les quelques 400 places se sont arrachées en quelques minutes à peine, un record.

Le discours d’introduction donne le ton : “On nous a reproché d’avoir un invité ciblé par de nombreuses procédures judiciaires, mais nous à la conférence, les procédures, ça nous excite !”, plaisante l’un des secrétaires. Didier Raoult affiche un sourire, bien que crispé. S’il est clair que ce n’est pas le lieu où le débat scientifique sera tranché, quelques saillies incisives rappellent les polémiques. “Tu es à l’éloquence ce que Raoult est la médecine, une escroquerie !”, siffle l’un des secrétaires après l’exposé du premier orateur. Un autre va jusqu’à filer la comparaison avec Josef Mengele, médecin nazi du camp d’Auschwitz. “Oh !” indignés et éclats de rire dans la salle font en écho à la polarisation extrême que génère le professeur marseillais… Dont le regard vire au noir à ce moment. Quelques instants plus tard, sa contre-attaque, bien que mesurée, est dénuée d’humour. “La dernière fois qu’on m’a traité d’andouille, c’était mon ancien client Michel Fourniret [NDLR, célèbre tueur en série français]”, réplique l’avocat visé. Cela n’ira pas plus loin.

Dehors, certains spectateurs regrettent que l’invité d’honneur ait délaissé les joutes pour leur préférer “d’interminables tunnels” de cours magistraux écourtés par des applaudissements moqueurs. D’autres soulignent que, pour quelqu’un qui a la réputation de ne pas souffrir la moindre critique, “Il s’en est bien sorti”. Il aura fallu traîner l’oreille dans les couloirs, après la conférence, pour entendre une autre facette du professeur. “Votre collègue a fait le malin sur scène, mais si je l’attrape dehors, il va la sentir passer !”, assure-t-il auprès d’un secrétaire en lui montrant sa main. N’est-ce pas audacieux de menacer un avocat devant un autre avocat ? Les jeunes pénalistes ne s’en formalisent pas : ils en ont vu d’autres. Didier Raoult se contentera de laisser ce mot dans le livre d’or : “Merci pour cette invitation mouvementée. Faites néanmoins attention à ne pas laisser vos invités se faire traiter de nazis”.

Dérapages en terre conquise

De quoi rappeler les récentes pertes de sang-froid du professeur en direct à la télévision. “Si on ne lit pas, on finit par devenir idiot”, avait-il lancé à la journaliste Eugénie Bastié le 12 janvier, dans l’émission de Pascal Praud sur Cnews, après que celle-ci a avoué ne pas avoir feuilleté son dernier ouvrage – le huitième depuis 2020 ! – dont il venait faire la promotion. “Vous pouvez répondre au lieu d’assommer les gens de votre mépris !”, s’indignait-elle alors. Et douze jours plus tard, dans l’émission de Cyril Hanouna, sur C8, autre chaîne de Bolloré où il possède aussi son rond de serviette : “Vous comparez les gens qui ne sont pas comparables, je suis le microbiologiste le plus cité au monde […] Je ne parle pas avec des gens comme vous d’habitude, je ne parle pas dans les bistrots”, lançait-il à la chroniqueuse Géraldine Maillet qui lui avait demandé pourquoi il avait toujours refusé de débattre avec “des confrères médecins” et estimait qu’il avait “échoué sur le covid” et que cela était “trop dur pour (lui) de l’accepter”. Le 11 février, interrogé par la chaîne Youtube Les Incorrectibles sur les modèles épidémiologiques du britannique Neil Fergusson – qui a milité pour le confinement – Didier Raoult va plus loin : “Lui, dans le bas Moyen Age, on l’aurait brûlé, ça aurait probablement été une assez bonne idée”.

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— Le Doc (@DrFranckClarot) January 12, 2024

Celui qui est devenu mondialement connu le 25 février 2020, lorsqu’il a publié sa fameuse vidéo “Covid-19 : fin de partie”, sait toujours aussi bien faire parler de lui. La séquence où il a remercié le rappeur Booba qui avait relayé une vidéo affirmant que les vaccins Covid-19 provoqueraient des cancers et la maladie de Creutzfeldt-Jakob l’illustre encore. Qu’importe si cette sortie a ulcéré la communauté scientifique au point de provoquer la rédaction de la tribune “Mettons fin à la propagation impunie de fausses informations médicales !”, publiée dans L’Express et signée par les principales sociétés savantes de France. Qu’importe, aussi, s’il a été poussé à la retraite par les Hôpitaux Universitaires de Marseille le 31 août 2021 et officiellement mis à la porte de l’IHU de Marseille depuis le 1er septembre 2022 : il y possède encore un bureau, depuis lequel il a récemment répondu à une interview de Karl Zéro. Sollicité par L’Express, le vice-président de l’IHUm Louis Schweitzer, qui avait promis son départ définitif, n’a pas répondu à nos questions. Didier Raoult non plus.

Sa retraite est au moins aussi sulfureuse sur le plan médiatique que scientifique. Ces derniers mois, de nombreuses revues spécialisées ont décidé de se pencher sur ses travaux. “Si vous entrez son nom dans le site Internet Retractation Database – vigie de l’éthique scientifique -, vous constaterez que neuf de ses études ont été rétractées [NDLR : retirées de la revue dans laquelle elles avaient été publiées, la sanction la plus sévère du monde académique infligée uniquement en cas de faute exceptionnellement grave]”, recense Lonni Besançon, chercheur en visualisation de données à l’université Linköping (Suède). Six rétractations viennent d’ailleurs de l’American Society for Microbiology, l’une des plus prestigieuses revues du domaine qui l’avait déjà interdit de publication pendant un an, en 2006, après la détection de fraudes. Retractation Watch fait également état de 66 expressions de préoccupation, une formulation indiquant qu’une étude est sous enquête.

Pour l’instant, Didier Raoult est encore loin du haut du classement du site, où les trois premiers cumulent entre 124 et 194 retractations. “Mais si les 456 articles dans lesquels des collègues et moi avons identifié de possibles manquements éthiques finissent par être rétractés, il prendra haut la main la tête du classement des pires scientifiques de la planète”, ajoute le chercheur. Sur la plateforme collaborative PubPeer, qui permet à des chercheurs de relever d’éventuels problèmes dans des articles déjà parus dans des revues scientifiques, 458 études de Didier Raoult sont commentées. “La plupart des messages soulèvent des questions, bien que leur gravité soit variable”, constate Boris Barbour, représentant de PubPeer et chercheur CNRS en neurosciences fondamentales à l’Institut de Biologie de l’École Normale Supérieure.

L’éthique et l’intégrité remises sur le devant de la scène

L’histoire de Didier Raoult est-elle vouée à se terminer par une descente aux enfers scientifiques et quelques étincelles médiatiques ? “On a pu croire un temps, avec la création de l’Office français de l’intégrité scientifique ou du Réseau des référents à l’intégrité scientifique, en 2017, que la France avait pris la mesure du problème. Mais la crise sanitaire a fait la démonstration du contraire. Ce qui a poussé par exemple l’Académie des sciences à mettre en place un groupe de travail sur l’intégrité”, remarque Michel Dubois, sociologue des sciences et directeur de recherche au CNRS.

“Didier Raoult a également contribué – en les attaquant en justice ou en les insultant – à mettre en avant des chercheurs qui travaillent sur les bonnes pratiques scientifiques, comme Elisabeth Bik qui a, depuis, reçu le célèbre prix John Maddox qui récompense les scientifiques qui ont fait preuve d’un grand courage et d’intégrité en défendant la science et le raisonnement scientifique face à une opposition farouche et à l’hostilité, ajoute Lonni Besançon. De la même manière que Booba a probablement servi la désinformation en ligne en motivant les députés à approuver, mercredi 14 février, la création d’un nouveau délit de “provocation à l’abandon de soins”, dans le projet de loi de lutte contre les dérives sectaires.

Ce qui n’empêche pas ces chercheurs de déplorer la lenteur des réactions des instances. “Le détournement du système bibliométrique en créant des journaux scientifiques afin de publier des études de piètre qualité en masse et obtenir des points Sigaps – calculés par le ministère de la Santé de calculer, ils permettent de décrocher des financements et des avancements de carrière – est la preuve de l’impunité des puissants et de l’immobilisme des autorités et des institutions. Et aujourd’hui, ces problèmes restent entiers”, dénonce Boris Barbour, qui rappelle que le sujet dépasse Didier Raoult et l’IHUm. “Nous savons que les articles et les citations peuvent être considérablement manipulés, comme l’a révélé l’affaire de la base de données Clarivate qui, dans son dernier classement des chercheurs les plus cités au monde, a été contrainte d’enlever un scientifique sur huit parce qu’elle ne pouvait pas publiquement défendre leur inclusion”, pointe-t-il. Le début, peut-être, d’enquêtes plus larges et d’un grand coup de balai afin d’empêcher que de tels manquements se reproduisent ?

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