Européennes : à Reconquête, une liste mais deux clans qui se détestent

Européennes : à Reconquête, une liste mais deux clans qui se détestent

Il faut pousser la lourde porte de la rue de Ponthieu, coincée dans le VIIIe arrondissement de Paris entre un club semi-libertin et une chaîne de boulangerie pour atteindre le QG de campagne de Marion Maréchal. La tête de liste de Reconquête, le parti d’Eric Zemmour, pour les élections européennes a insisté : elle voulait disposer de son propre siège pour organiser sa campagne. Un endroit à elle, loin des locaux du parti. Mais ce n’est pas ici que le rendez-vous est donné, ce mardi, pour présenter la liste portée par le parti d’extrême droite. La réunion a lieu rue Jean-Goujon, fief de la zemmourie originelle. Voilà bien longtemps que tous les cadres de Reconquête n’avaient pas été réunis ; et on s’étonne presque de ne pas voir les locaux traversés par des tranchées tant la campagne a été parasitée, ces dernières semaines, par d’importantes querelles internes.

Jeudi 14 mars, Marion Maréchal réunit, seule, une flopée de journalistes pour évoquer l’”islamo-droitisme”, ces supposées accointances locales entre la droite et le communautarisme, loin des envolées martiales de la direction des Républicains. Voilà plusieurs jours que l’ex-frontiste enfourche ce thème pour attaquer LR, dépeint en “fausse droite”. François-Xavier Bellamy se défend de ces accusations, la tête de liste veut lui répondre dans un cadre solennel. Aux côtés de Marion Maréchal, son équipe rapprochée. D’anciens frontistes surtout : le Niçois Philippe Vardon, le Marseillais Stéphane Ravier, la Lyonnaise Agnès Marion, chargée de la communication, l’identitaire Damien Rieu. Eric Zemmour, lui, s’est fait porter pâle. “Tiens c’est vrai mais où peut-il bien être ?”, fait mine de s’interroger en grimaçant un lieutenant de Marion Maréchal.

L’ex-candidat à la présidentielle a préféré se rendre à Bruxelles. Et aucun de ses proches n’a fait le déplacement. Ah, si ! Stanislas Rigault, président des jeunes se planque un peu au fond de la salle. Voilà des semaines que les relations sont au plus mal entre les deux équipes. Depuis un déjeuner entre les différentes figures du parti, raconté par Le Point, qui a viré au pugilat. En cause, principalement, un désaccord stratégique sur le choix de Marion Maréchal d’attaquer la droite tout en ménageant le Rassemblement national. Eric Zemmour cogne sur le RN pour avoir de l’oxygène politique, quand Marion Maréchal souligne la complémentarité des deux forces. Depuis, la communication est quasi rompue entre zemmouristes et maréchalistes et chacun mène sa campagne en parallèle. On se regarde du coin de l’œil, on s’attaque par médias interposés, on se raconte la dernière vacherie des uns, les récents renoncements des autres.

“On devrait tendre la joue et dire Amen ?”

Début avril, les zemmouristes manquent de s’étouffer lorsque Marion Maréchal, en déplacement de campagne à Carnac, refuse de tracter à La-Trinité-sur-Mer, lieu symbolique du clan Le Pen, pour ne pas froisser son ancienne famille politique. Dans la foulée, dans une vidéo publiée sur ses réseaux sociaux, elle appelle la tête de liste RN Jordan Bardella, particulièrement virulent à son égard ces derniers temps, à ne pas “se tromper d’adversaire.” “C’est complètement ridicule, se lamente un cadre qui découvre l’initiative. On devrait tendre la joue et dire Amen pendant que Bardella dit à ses électeurs que le vote Reconquête est un vote perdu ? C’est une campagne, il faut les taper !”

Côté Zemmour, on regarde avec dédain une Marion Maréchal qui “n’imprime pas”, on moque son équipe “qui ne répond jamais, ni à la presse, ni en interne”, on se raconte en pouffant tous ces rendez-vous médias manqués parce qu’un journaliste est resté sans réponse. “Quel amateurisme, vraiment !”, se régale un proche d’Eric Zemmour. En face, on déplore des cadres désengagés dans la campagne, et on pointe leur responsabilité à venir en cas d’échec de la liste.

C’est acté. Les deux équipes se détestent, et en font régulièrement étalage dans la presse. Un jour dans Le Point, le lendemain dans Le Canard enchaîné. Dans les locaux, on se regarde en chien de faïence en se demandant de quel camp viendra le prochain tir. Pourtant toute cette petite équipe le sait : ils sont embarqués sur le même bateau et les sondages ne sont pas au beau fixe. Ils oscillent entre 5 % et 6 % des intentions de vote, soit aucune certitude d’obtenir des élus au Parlement européen.

Une liste, deux campagnes

Alors, à moins de cinquante jours du scrutin, on s’accorde à peu près sur un constat : Reconquête joue plus ou moins sa survie. On tente une dernière carte. Elle s’appelle Sarah Knafo. La compagne d’Eric Zemmour, tête pensante de la campagne présidentielle en 2022, décide de s’engager dans la bataille, en 3e position pour la liste. De quoi remobiliser le clan zemmouriste, qui avait tendance à partir en week-end quand Marion Maréchal avait besoin d’un coup de main. “C’est sûr que maintenant, on va tout faire pour que Sarah soit élue”, confirme l’un d’entre eux. On déroule donc le tapis rouge pour Sarah Knafo. Le 28 avril, cette dernière a droit à un article dans Le Figaro, une interview sur BFMTV, un accueil présidentiel au siège du parti ensuite, entourée de militants, une communication bien rodée sur les réseaux sociaux, une rencontre avec la presse (dont les équipes de Marion Maréchal n’avaient pas eu vent). On a du mal à se souvenir la dernière fois que Marion Maréchal a eu droit à un tel traitement.

Qu’ils sont doux aux oreilles les rêves d’apaisement, et impossibles dans les faits. La rivalité reprend de plus belle, et touche même les fédérations. Un responsable local se félicite de ce nouvel engagement qui tranche avec “l’armée de pieds nickelés” (selon son expression) qui compose l’entourage de Marion Maréchal. Chaque camp s’approprie la petite dynamique sondagière qui suit l’épisode, et chacun tente de vendre son récit. Pour les marionistes, les quelques voix grapillées dans les intentions de vote sont liées à la ferme opposition de Marion Maréchal à la GPA, pour les autres, à l’engagement de Sarah Knafo. “Elle a fait une très mauvaise audience sur BFMTV, dans la rue, les gens ne connaissent pas Sarah Knafo”, assure un lieutenant marioniste. “Ils ont trop les boules les mecs, c’est des rageux. C’est eux qui l’ont suppliée de venir, et maintenant ils font les fines bouches quand ils voient qu’elle crève l’écran”, rétorque un zemmouriste. L’ambiance est au beau fixe.

La rumeur Maréchal

La composition de la liste continue de créer des tensions. D’autant que deux noms viennent compléter l’équipe : ceux de Stanislas Rigault, en 6e position, zemmouriste de la première heure, et de Jean Messiha, en 8e position, figure médiatique bien connue pour ses propos islamophobes, qui vient prendre la place censée être réservée à Philippe Vardon, le bras droit de Marion Maréchal. A un mois du scrutin, Reconquête tente tout de même d’afficher un front uni, qui prend la forme d’une interview croisée entre Eric Zemmour et Marion Maréchal. Dans les colonnes du journal ami le JDD, ce dimanche, ils reconnaissent des divergences stratégiques et affirment une union totale sur le plan des idées.

Le lendemain, pourtant, nulle trace de Marion Maréchal au premier meeting de Sarah Knafo. Ces derniers temps, une rumeur persistante court les couloirs de Reconquête : la nièce de Marine Le Pen pourrait bien rentrer au bercail frontiste une fois les élections passées. Une hypothèse balayée par ses proches mais pas décrédibilisée par les zemmouristes. “Bien sûr que c’est possible. Elle se rend compte qu’elle n’aura jamais la main ici, et sait que le RN ça reste sa maison”, assure un cadre. “J’ai toujours dit que la cohabitation entre Sarah et Marion serait impossible, depuis le début” commente un cadre de Reconquête de la première heure. Ce n’est pas faute d’avoir prévenu.”

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