Européennes : ce scénario surprise qui intrigue les sondeurs

Européennes : ce scénario surprise qui intrigue les sondeurs

Une courbe sondagière qui, au gré des études, stagne longuement, diminue à quelques semaines du scrutin, puis un score qui s’effondre brutalement le jour du décompte des voix. Une autre qui, au fil des semaines, s’élève progressivement jusqu’à s’envoler dans la dernière ligne droite. De quoi donner des sueurs froides, ou nourrir l’espoir – c’est selon –, des différentes têtes de liste et autres stratèges de campagne en vue des élections européennes du 9 juin prochain. C’est l’histoire de François-Xavier Bellamy, dont la liste Les Républicains oscillait entre 14 % et 13 %, jusqu’à la veille du scrutin de 2019, pour finalement n’obtenir que 8,48 % des voix. Ou au contraire, celle de Yannick Jadot cette même année, constamment testé sous la barre des 10 %, qui réalisa un score de 13,48 %. Car telle est la réputation de cette échéance : le sort des aspirants strasbourgeois ne se décanterait qu’en toute fin de campagne.

Cette réputation a des allures de règle d’airain. Il y a vingt ans déjà, la commission des sondages alertait sur ce phénomène dans un rapport : “S’agissant de ces élections pour lesquelles l’offre politique se cristallise plus tard que lors d’élections nationales, la fluidité de l’électorat est en effet considérable”, écrivaient les magistrats en 2004. Ainsi, un sondage de l’Ifop réalisé le jour du vote en mai 2019 indiquait que 39 % des électeurs s’étaient décidés dans la semaine précédant le vote ; 7 points de plus que lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2022 (32 %).

“La dynamique ne concerne pas toutes les candidatures”

“C’est une constante lors de ce type de scrutin : le vote se cristallise tardivement, affirme Jean-Daniel Lévy, directeur délégué de l’institut de sondage Harris Interactive France. D’abord parce que les Français ne connaissent pas aussi bien les enjeux de la campagne que lors des élections nationales. Egalement parce que c’est un type de scrutin où l’on ne perçoit pas toujours les modifications profondes qu’impliquerait le résultat. Enfin, l’élection est beaucoup moins médiatisée que d’autres, les grands débats arrivent en toute fin de campagne.” Le grand nombre de listes, propre au scrutin européen, contribuerait également au choix tardif des électeurs. “Ces élections, sans enjeu direct de pouvoir, ouvrent un accordéon électoral avec une multitude d’offres politiques. Les Français se sentent davantage autorisés à exprimer des ‘votes d’humeur’ : le vote est plus instable, donc décidé plus tardivement”, explique Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos.

Mais la dynamique ne concernerait pas toutes les candidatures. “Des choses se structurent en amont et sont stables, nuance ce dernier. Comme en 2019, où l’on a bien perçu que le match en tête entre Jordan Bardella (RN) et Nathalie Loiseau (LaREM, ex-Renaissance) se jouerait à 1 ou 2 points.” Ainsi, dans le dernier sondage Ifop du 25 mars 2024, 83 % des personnes interrogées ayant pour intention de voter pour la liste de Valérie Hayer (Renaissance) sont sûres de leur choix. Le pourcentage monte à 87 % pour celles qui comptent voter pour le candidat mariniste. Bien au-delà des 75 % d’électeurs en moyenne sûrs de leur choix.

Pourtant, en 2019, c’est moins de deux semaines avant le vote que la liste Rassemblement national prend le pas sur la candidature macroniste, presque systématiquement devant. Jordan Bardella finira par s’imposer avec 23,42 % des voix. Même logique cinq ans plus tôt, pour le scrutin de 2014. Au coude à coude, les listes UMP et FN, respectivement menées par Jean-François Copé et Marine Le Pen, se disputeront la première place dans les sondages jusqu’au début du mois de mai ; moment où le parti à la flamme creusera l’écart avec la droite. Marine Le Pen finira 4 points devant son concurrent. Suspense, quand tu nous tiens…

“Le schéma habituel pourrait être battu en brèche”

Et si cette dixième élection européenne finissait par déroger à la règle ? C’est ce que semblent penser certains sondeurs et autres chercheurs. “D’ordinaire, les campagnes européennes sont extrêmement courtes. Celle du 25 et 26 mai 2019 a réellement débuté le 8 mai de la même année. C’est ce qui explique les très forts mouvements des derniers jours. La prochaine élection a lieu en juin, avec beaucoup de jours fériés en mai ; il y aura donc un gros mois de campagne, explique Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop. C’est la seule élection nationale du quinquennat, le vrai dernier rendez-vous d’Emmanuel Macron : cela peut avoir un effet. Enfin, on parle souvent de ces élections comme d’un scrutin sans incarnation, or on a beaucoup de têtes de listes sortantes. Tous ces facteurs inciteraient à se dire que le schéma habituel pourrait être battu en brèche.”

La campagne sera certes plus longue, mais gare aux éléments exogènes qui pourraient bien renforcer les performances de certaines listes dans les derniers jours. En 2009, la liste Europe Ecologie – Les Verts emmenés par José Bové et Daniel Cohn-Bendit lutte pendant plusieurs mois pour dépasser le seuil des 10 %, et atteint, le 4 juin, entre 12 % et 15,5 % des intentions d’après plusieurs instituts de sondage. Le vendredi soir précédant l’élection, France 2 diffuse le documentaire Home – une ode à la planète – de Yann Arthus-Bertrand, qui réunit 8,3 millions de téléspectateurs. Les Verts obtiendront finalement un score de 16,28 % des voix. “Qu’on ait favorisé la donne, certainement. Maintenant, c’est une date choisie il y a deux ans, le 5 juin”, avait alors estimé le réalisateur, alors que plusieurs responsables politiques accusaient la chaîne de faire le jeu des écologistes. Les 5, 6 et 7 juin prochains, la France célébrera le 80e anniversaire du Débarquement des troupes alliées, en présence du président américain Joe Biden. Emmanuel Macron devrait probablement s’exprimer sur les plages normandes. Un télescopage idéal, à trois jours du scrutin, pour cibler une dernière fois le Rassemblement national.

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