Exposition : les “naïfs” au Brésil, un art en marge

Exposition : les “naïfs” au Brésil, un art en marge

Dans notre imaginaire européen, la culture brésilienne renvoie souvent à un univers coloré. Et ce n’est pas l’exposition Brésil, identités, présentée au musée de Lodève (Hérault) jusqu’au 21 avril, qui démentira ce raccourci un peu facile : c’est un véritable feu d’artifice chromatique ! Yvonne Papin-Drastik, la maîtresse des lieux, réunit en effet les œuvres d’une cinquantaine d’artistes brésiliens du XXe siècle estampillés “primitifs”, voire “naïfs”, mais dont le point commun serait plutôt d’être des autodidactes issus de la culture populaire qui se sont constitués en marge d’un art officiel hérité du colonialisme. Les pièces – des tableaux pour la plupart – proviennent d’une seule et même collection dont on ne saura rien, son détenteur souhaitant rester anonyme, si ce n’est qu’elle a été très rarement montrée en Occident. Pour Yvonne Papin-Drastik, elle contribue à “refléter l’identité multiple d’un pays hors normes, à travers la diversité d’un art libre et inventif”.

Les femmes, qui représentent près de la moitié de la sélection, y ont une place de choix, à l’instar de Silvia de Leon Chalreo (1905-1987), un personnage fort en gueule qui cofonde le premier journal féministe de Rio de Janeiro, avant de capter le quotidien de ses compatriotes dans les favelas, à la plage ou à la fête foraine, avec une multitude de petites silhouettes à peine ébauchées. Ou encore la pieuse Isabel de Jesus (née en 1938), infirmière entrée en peinture comme en religion, qui, à l’aide d’un pinceau fin et au gré de son imagination, peuple ses gouaches de figures fantastiques, expressions très personnelles d’un “art spontané”.

Isabel de Jesus, “Bichos que Deus nao criou (Animaux que Dieu n’a pas créés)”, 1973.

Bien que libérés de toute influence académique, nombre de ces artistes, plus ou moins ignorés à leurs débuts, sont présents dans les collections publiques du Brésil et bénéficient aujourd’hui, pour certains, d’un coup de projecteur dans leur pays, comme Chico da Silva (1922-1985), auquel la Pinacothèque de São Paulo a consacré une monographie d’envergure au printemps 2023. D’origine indigène, ce fabricant de sabots atteint de troubles mentaux s’est institué graffeur avant l’heure en recouvrant d’oiseaux et de dragons imaginaires les murs de maisons de pêcheurs. Découvert par hasard par un peintre suisse de passage dans le Nordeste, il se voit exposé à Genève et à Lausanne, avant de recevoir une mention honorable à la Biennale de Venise 1966, qui fait de lui l’artiste le plus recherché de son pays.

Ivonaldo Veloso de Melo, dit Ivonaldo, “Feira de Caruaru (Marché de Caruaru)”, 1969.

Comme l’improbable Chico da Silva avant lui, Ivonaldo Veloso de Melo (1943-2016) s’est largement fait connaître sous nos latitudes. Natif de Caruaru, haut lieu de production céramique, il est tour à tour employé de bureau et vendeur quand il commence à peindre en 1966. A 30 ans, il participe à la Foire internationale de l’art à Düsseldorf, au Salon d’art contemporain de Paris et au Salon mondial de la peinture naïve de Levallois, avant de sillonner l’Europe, d’Amsterdam à Trebinje (Bosnie), de Londres à Cologne, en passant par Bruxelles et Florence. Ses compositions aux tonalités oranger, jaune et brun sont marqués par une brûlante luminosité, des figures et motifs synthétisés qui témoignent de la vie rurale dans le Pernambouc. Après son retour au Brésil, en 1980, la palette d’Ivonaldo deviendra plus sourde, mais gardera la franchise et la fougue de son trait. Ses travaux comptent parmi les plus séduisants de la réunion de Lodève.

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