Fin de vie : “Un pronostic vital à moyen terme, c’est six mois, douze mois ?”

Fin de vie : “Un pronostic vital à moyen terme, c’est six mois, douze mois ?”

Le projet de loi doit être présenté en avril en Conseil des ministres, et être examiné en première lecture le 27 mai à l’Assemblée nationale. Ce dimanche 10 mars, dans un entretien accordé à Libération et La Croix, Emmanuel Macron a annoncé l’arrivée d’une proposition de loi sur l’aide active à mourir. Pour pouvoir la demander, les patients devront cumuler un certain nombre de critères : être majeurs, atteints d’une “maladie incurable” et “capables d’un discernement plein et entier”. Ils devront également subir des souffrances “réfractaires” – qui ne peuvent être soulagées – mais également avoir “un pronostic vital engagé à court ou moyen terme”. Cette notion temporelle de “moyen terme”, qui demande encore à être détaillée, suit un avis publié le 13 septembre 2022 par le Comité consultatif national d’éthique. Martine Lombard, professeure émérite de droit public à l’université Paris II-Panthéon-Assas, favorable à une évolution sur le sujet et auteure de L’Ultime Demande : Fin de vie, la réponse passera par la loi, analyse son inscription dans le projet de loi.

L’Express : Que pensez-vous de l’introduction de la notion de “pronostic vital engagé à court ou moyen terme” dans l’aide active à mourir ? Comment définir ce “moyen terme” ?

Martine Lombard : Je m’étonne que ce projet annoncé par le président de la République ajoute une quatrième condition dans toutes celles que l’on retrouve toujours dans une législation sur l’aide active à mourir. D’abord la demande constante d’un malade lucide. Ensuite les souffrances, que le malade juge intolérables. Enfin, la troisième condition de la maladie grave et incurable. Ce projet de loi ajouterait une quatrième condition qui ne figure dans aucune des législations européennes, qui est empruntée à la législation de certains Etats aux Etats-Unis, qui est une condition de pronostic vital engagé à moyen terme. Je ne comprends pas pourquoi la France se croit obligée d’introduire le modèle américain en Europe.

D’où vient ce concept de “moyen terme” ?

Cette notion vient très clairement du “modèle” de l’Oregon qui avait eu les faveurs du rapport Sicard, du nom du professeur de médecine qui fut président du Comité consultatif national d’éthique. Dans ce cadre, il y avait eu en 2012 une visite dans l’Etat de l’Oregon. Les médecins, alors assez hostiles à une aide à mourir, avaient trouvé qu’il s’agissait de la moins mauvaise des solutions. Que le “modèle” de l’Oregon était le moins embarrassant car il était celui qui posait le plus de conditions et permettait aux médecins de se tenir assez loin en ne faisant que prescrire le produit létal. Ça vient de là, et je ne sais pas si le président de la République en est conscient.

Dans certains cas, la loi française faisait pourtant déjà mention d’un “pronostic vital engagé à court terme”.

Une notion temporelle a en effet été introduite dans la loi Claeys-Léonetti de 2016. La loi dit qu’après le rejet, il est possible pour un malade de demander – pas nécessairement de l’obtenir – une sédation profonde et continue jusqu’au décès si son pronostic vital est engagé à court terme. Cela a été interprété par la Haute autorité de santé comme signifiant que le pronostic vital, donc la mort naturelle, doit s’annoncer dans quelques heures ou dans quelques jours. C’est vraiment très court terme. Le moyen terme serait de quelques jours à quelques semaines. D’autres disent que cela pourrait être éventuellement six mois, d’autres éventuellement douze mois avant la mort. La seule chose que l’on sait vraiment, c’est que des médecins s’opposeront à l’aide active à mourir. Claire Fourcade, la présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, a dit que nous ne pourrons jamais attester que l’espérance de vie d’un malade n’est pas de plus de X mois. Il y a toujours des cas qui échappent à ces prévisions.

Vous êtes donc opposée à cette mention dans la loi ?

Un débat parlementaire devrait s’ouvrir. Le président de la République a dit que ce débat pourrait enrichir la loi. Il le pourrait, effectivement, en supprimant par exemple la condition de pronostic vital engagé à moyen terme. Je pense qu’il faut une loi assez précise. Si cette condition devait subsister, il faudrait préciser ce que l’on entend par moyen terme, par exemple douze mois.

Je compte beaucoup sur les débats parlementaires, avec une très grande confiance sur le fait qu’il y aura une très large majorité à l’Assemblée nationale. Il y aura également sans doute une procédure toute aussi large au Sénat, et donc un cheminement assez long. Mais j’ai confiance dans le fait qu’une loi sur le sujet pourra être adoptée, si le débat parlementaire commence bel et bien.

Introduire ce concept temporel dans le projet de loi le rendrait donc inapplicable ?

Inscrire un délai fixe de douze mois pourrait être utile à des malades cancéreux en phase terminale, ou à des malades atteints de Charcot en phase terminale. En revanche, cela laissera sur le côté beaucoup de malades atteints de maladies dégénératives qui peuvent avoir toute leur conscience et leur discernement, mais dont le corps ne répond plus. Je pense à des maladies qui peuvent être extrêmement douloureuses tant physiquement que psychologiquement, comme la sclérose en plaques.

La Convention citoyenne avait introduit l’idée de pronostic vital engagé à moyen terme, mais comme une alternative. La Convention citoyenne avait indiqué la prise en compte soit des souffrances réfractaires, soit d’un pronostic vital engagé à moyen terme. Là, ça devient ce que le juriste appelle des conditions cumulatives : des souffrances réfractaires et un pronostic vital engagé à moyen terme. C’est aussi très en retrait par rapport à ce que proposait la Convention citoyenne.

Que pensez-vous de l’exclusion des malades souffrant d’Alzheimer de l’aide médicale à mourir ?

J’ai étudié de près l’ensemble des législations adoptées dans le monde sur l’aide à mourir. Je n’ai donc pas été surprise. Pour citer des pays où les Français peuvent se rendre pour mourir, il faut aller très tôt en Belgique et en Suisse si on est atteint de la maladie d’Alzheimer, bien avant que la maladie ait avancé et vous ait fait perdre le discernement. En Belgique, je crois qu’il n’y a que 1 % des cas d’euthanasie qui concernent des malades qui viennent d’être atteints de la maladie d’Alzheimer. Cette idée de directive anticipée consistant à dire : “Si un jour je ne reconnais pas mes enfants, je demande qu’on m’aide à mourir”, je ne l’ai encore vu appliqué nulle part.

Je viens de lire un livre de Véronique Fournier intitulé Sept vieilles dames et la mort. Il me paraît fournir une explication. Il présente le cas d’une dame à un stade très avancé de la maladie d’Alzheimer, qui ne reconnaît même pas son mari. Mais quand on la voit, elle a l’air détendu, et semble apprécier la crème au chocolat qu’on lui donne de temps en temps. Il me paraît difficile, parce qu’elle ne reconnaît plus ni ses enfants ni son mari, de la faire mourir alors qu’elle ne le demande pas. Cette dame qui n’est plus ce qu’elle était, mais qui apprécie encore la crème au chocolat. Je suis donc un peu gênée par cette idée de faire mourir quelqu’un malgré sa volonté.

Le projet de loi introduit la possibilité que cette aide à mourir soit administrée par un proche. Est-elle inédite en Europe ?

C’est un changement notable par rapport aux autres législations. On sent l’influence notable des Etats-Unis, parce que dans les pays européens et au Canada, c’est toujours un soignant – médecin ou infirmier -, qui vient faire ce dernier geste. Ça suppose notamment de poser un cathéter. Si c’est ça, effectivement : un proche peut tourner la molette à la place du malade, mais il faut d’abord qu’un soignant ait posé le cathéter. J’imagine que cette idée d’un proche vient effectivement de ce qu’on a constaté dans certains Etats américains : que les malades qui sont parfois totalement épuisés n’arrivent pas à boire jusqu’au bout le verre. Toute la famille s’y met pour faire en sorte que le malade puisse quand même absorber ce liquide. Dans la législation européenne, je ne connais aucun cas comme ça.

L’Etat et la puissance publique sont absents de la décision – seuls médecins, malades et proches sont concernés. Cela vous surprend-il ?

Il ne faut pas confondre aide à mourir et peine de mort. Ce n’est sûrement pas à une autorité publique de dire “cette personne doit mourir” et “cette personne non”. Cette question relève de la discussion entre le médecin et le patient, ainsi qu’un deuxième médecin spécialiste de la pathologie pour avoir un deuxième avis. C’est une procédure collégiale, qui va donc d’ores et déjà intégrer des tierces personnes : des psychologues, des soignants… La procédure sera déjà lourde. Il est dit que si une première procédure collégiale aboutit à une réponse négative, il peut y avoir une deuxième procédure collégiale différente, et ensuite un recours à la justice. On retrouve là l’affaire Vincent Lambert, et je me dis : non, surtout pas ! Il ne faut pas que la procédure dure des mois, des années, pour qu’enfin le malade obtienne le droit à mourir. A mon sens, ce n’est pas le rôle d’un juge.

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