Financement, manque de contrôle… Enquête sur la face cachée des formations en management

Financement, manque de contrôle… Enquête sur la face cachée des formations en management

Nouveaux outils, gestion du télétravail des collaborateurs, choc des générations, multiplication des tâches… “On en demande beaucoup aux managers !” constate Alexandra Carlier Cadiou, directrice chez Demos, un poids lourd français de la formation. Or de nombreuses études le prouvent, un management de qualité profite à la performance de l’entreprise. Alors autant les choyer en leur donnant les clés de la réussite. Mais l’idée a encore du mal à se frayer un chemin en France. Dans la plupart des cas, un salarié qui devient manager n’y a pas été préparé. “On peut être un bon cuisinier, médecin ou technicien, mais dès l’instant où l’on a la responsabilité d’une équipe, ce n’est plus le même métier”, prévient Hervé Coudière, formateur depuis plus de vingt ans et dirigeant de l’organisme Hommes et Coopération. “C’est une compétence à part entière, cela s’apprend”, appuie Frédérique Jeske, fondatrice du cabinet Uskoa et ex-directrice générale de la Ligue nationale contre le cancer. Encore faut-il trouver la bonne méthode. “Chief happiness officers, tables de ping-pong et baby-foot ne peuvent pas tout résoudre, il faut un travail de fond sur l’état d’esprit et la culture d’entreprise”, prévient Isabelle Rey-Millet, qui développe depuis 2008 son cabinet de formation Ethikonsulting après une longue carrière en entreprises, du Medef à Lafarge.

Pour répondre à ce besoin, les organismes pullulent, proposant un vaste catalogue : communication, conduite de réunion, gestion de conflit, recrutement, animation de collectif… “Il y a à boire et à manger”, regrette Frédérique Jeske. Les méthodes aussi sont très diverses. “Dès les années 1990, j’ai expérimenté de nombreux tests psychologiques ou de personnalité qui vous disent comment vous fonctionnez. Le problème est que cela colle une étiquette, ce qui peut se révéler contre-productif”, pointe Isabelle Rey-Millet. La sémillante consultante en est arrivée à élaborer son propre programme dédié aux “rebelles du management”, ces collaborateurs poils à gratter et pleins d’idées. Plutôt que de les faire rentrer dans le moule, ils sont invités à développer leur capacité de discernement, leur créativité. Au plus grand bénéfice de leur organisation.

En dehors des formations diplômantes, dispensées par les universités et écoles de commerce en formation continue, s’étend un vaste maquis d’organismes estampillés formateurs en management aux pratiques de qualité variable. “Le problème du management est qu’il s’agit d’une discipline jeune. Elle a cinquante ans en France, un peu plus aux Etats-Unis. Pour autant, il existe une production scientifique, des connaissances qui ne dépendent pas d’écoles de pensée et qui sont étayées par des cas d’entreprises”, souligne Laurent Cappelletti, professeur au Cnam. Il n’y a pas de méthode unique, mais attention aux modes, comme l’entretien 360°, qui a eu son heure de gloire. “Un outil peut fonctionner dans un contexte, mais sa généralisation doit reposer sur une base de connaissances”, précise le chercheur.

La certification Qualiopi, “une usine à gaz”

Le sérieux n’exclut pas une touche de ludique. Pour Isabelle Rey-Millet, qui a même créé sa propre boîte de jeu de société, “on ne peut plus faire de formations purement descendantes. L’interaction, le partage d’expérience, surtout s’agissant du management, sont essentiels. L’entreprise, c’est lourd. Il faut alléger au maximum. Nos stagiaires nous disent d’ailleurs que notre formation est pour eux une bouffée d’oxygène”. Gaël Salomon, fondateur de Bérénice Conseil, abonde : “La seule chose qui marche, c’est l’ultraconcret, transposable dans le quotidien dès le lendemain. Il y a dix ans encore, les formations en management étaient très conceptuelles. Aujourd’hui, les managers veulent des méthodes applicables rapidement.”

Face aux formations standardisées, les demandes de modules très personnalisés se sont multipliées, surtout depuis le Covid. “Cela répond à un besoin d’optimiser le temps : les entreprises cherchent une formation conçue pour elles, qui se focalise sur ce qui les intéresse”, constate Gaël Salomon. Que ce soit pour résoudre une crise ou pour anticiper une transformation. Dans cette optique, “pour vérifier que le contenu à la fois accompagne vraiment les managers et soit pleinement adapté à l’entreprise et à sa culture, mieux vaut travailler en amont avec le consultant de l’organisme”, recommande Frédérique Jeske.

Hormis le bouche-à-oreille, comment faire son choix dans le maquis des organismes de formation en management non diplômantes ? “En France, il n’y a aucune autorité de régulation, contrairement aux Etats-Unis, où existe de longue date, notamment, l’Academy of Management”, déplore Laurent Cappelletti. Seule boussole dans cette jungle : la certification Qualiopi. Une création récente – elle découle de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel – qui vient agréer les organismes de formation. Pour les petites entreprises, ce tampon est même un prérequis si elles escomptent bénéficier de fonds publics ou mutualisés en vue de financer la formation de leurs salariés. Une usine à gaz, disent certains. “C’est extrêmement contraignant. On nous a demandé beaucoup d’informations qui, pour nous, sont une évidence, mais qui ont été complexes à trouver et à prouver. Le processus est bureaucratique et ne porte que sur la forme”, reproche le dirigeant d’un organisme. “Les audits ont lieu tous les dix-huit mois, moyennant plusieurs milliers d’euros, un coût répercuté dans les tarifs des formations. Pour autant, cela ne garantit pas leur qualité”, déplore Sébastien Duizabo, directeur de la formation continue à Paris-Dauphine. De fait, les certificateurs n’assistent à aucune session et ne sondent pas les participants pour juger de la pertinence de l’enseignement. Qualiopi a toutefois eu le mérite de faire un peu le ménage. Son niveau d’exigence en a découragé plus d’un, affirment les professionnels. Parmi les 120 000 organismes de formation en tout genre recensés en France, environ 45 000 ont décroché le sésame.

Des professionnels qui n’ont jamais exercé de fonctions managériales

Cette certification, l’auditrice Alexia de Nombel la connaît par cœur. Elle admet ses limites, notamment la difficulté à mesurer les bénéfices d’une formation en management : un quiz en fin de cycle est une pièce à conviction aisée à apporter au dossier, mais il peine à rendre compte des compétences acquises en la matière. Egalement consultante, pour accompagner les candidats à la certification dans cet exercice fastidieux, elle souligne toutefois que “Qualiopi a permis de professionnaliser les organismes de formation, de les encourager à se structurer, formaliser une culture de l’oral”, au travers de 7 critères passés au crible : information du public, adaptation de la formation, évaluation des acquis, modalités d’accueil, veille des innovations pédagogiques… mais aussi qualification des formateurs. “La certification exige la formalisation des compétences comme des fiches de postes, des CV.” Ainsi, cet ex-vendeur en cosmétique reconverti dans la formation en confiance en soi, qui n’a pas apporté la preuve de sa compétence dans ce domaine, a vu son dossier retoqué.

Qualiopi ne fait pas tout. Sans contrôle, chacun peut se déclarer du jour au lendemain formateur. Il arrive même que des professionnels n’aient jamais exercé de fonctions managériales. Un comble. “Tous nos formateurs ont une expérience en entreprise, c’est fondamental”, soutient Gaël Salomon. Chez Demos, “nous ne cherchons pas des animateurs, mais des intervenants qui sont des experts, qui ont de la bouteille, capables de répondre aux questions des participants sans débiter des réponses toutes faites”, insiste Alexandre Carlier Cadiou.

Afin de juger de la qualité d’une formation, on pourrait s’inspirer “des contrôles effectués par l’Education nationale dans les classes, mais cela nécessite plus de moyens. Il faut se confronter au cours, c’est une autre démarche”, estime Jean-François Foucard, secrétaire général chargé des parcours professionnels, de l’emploi et de la formation à la CFE-CGC. Par ailleurs, mieux vaut s’inscrire dans la durée. Deux jours de bourrage de crâne risquent d’avoir peu d’intérêt pour les apprentis managers. Certes, la recherche d’efficacité a conduit à écraser la durée des formations, mais un suivi est tout indiqué, avec des objectifs à atteindre, afin que les techniques et les méthodes apprises pendant la formation soient bien intégrées.

Chez Berenice Conseil, Gaël Salomon prescrit deux à trois jours de formation, à raison de 5 à 10 ateliers quotidiens dont les apprenants sortent “rincés mais contents”, et préconise ensuite un accompagnement individuel. Pour ses “rebelles”, Isabelle Rey-Millet répartit six sessions d’un jour et demi de formation toutes les six semaines. Entre chacune, une heure d’accompagnement pour favoriser la mise en pratique. Des approches très variées qui n’auront pas le même coût, surtout si des pointures du management sont sollicitées pour intervenir. Sur cet aspect même Qualiopi, qui exigeait une transparence des prix pratiqués, a dû faire machine arrière. Elle ne demande plus que des “conditions tarifaires”, une notion plus vague.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *