Finances publiques : la guerre à distance entre Bruno Le Maire et Edouard Philippe

Finances publiques : la guerre à distance entre Bruno Le Maire et Edouard Philippe

“L’homme qui veut la retraite à 67 ans.” La campagne présidentielle de 2027 n’a pas commencé, mais le Rassemblement national a déjà identifié un angle d’attaque contre Edouard Philippe. La formation d’extrême droite dépeint l’ancien Premier ministre en apôtre de la rigueur, après des propos ambigus tenus à l’automne 2022 sur la réforme du gouvernement. Voilà les rôles distribués. A Marine Le Pen, la défense du peuple et des sans-grade. Au maire du Havre, le costume d’expert-comptable prêt à infliger une cure d’austérité aux Français. L’empathie contre la froideur.

Edouard Philippe pourrait hurler au mensonge. Expliquer combien ses propos ont été déformés par le RN. Mais non. Lui se borne à rappeler que d’autres pays européens ont repoussé l’âge légal de départ à 65, 66 ou 67 ans. Cette ambiguïté sied au positionnement du patron d’Horizons. L’homme érige la maîtrise des finances publiques en priorité nationale. Dans un entretien à L’Opinion, il appelle à faire de la dette une “obsession politique”, au nom de la préservation de la “souveraineté française”. Et s’adresse un satisfecit : son passage à Matignon s’est soldé par une “maîtrise historique de la dépense publique”, loin des 50 milliards de déficit accumulés – hors Covid – depuis 2020.

Gravité teintée d’autosatisfaction. Bruno Le Maire adopte la même rhétorique que son rival. Rétablir le déficit à moins de 3 % en 2027 ? “Je l’ai fait entre 2017 et 2019. Je sais comment m’y prendre”, confie le ministre de l’Economie au Parisien. Voilà pour l’orgueil. Lui aussi dresse le désendettement du pays en matrice politique. Le locataire de Bercy a annoncé 10 milliards d’euros d’économies en raison d’une prévision de croissance réduite, avant une quête de 20 milliards supplémentaires en 2025.

Bruno Le Maire n’a pas le tour de vis honteux. Il le revendique même : 23 pages de son livre programme La Voie française (Flammarion) sont consacrées au désendettement. Il y développe “l’intérêt national” d’un rétablissement des comptes et prône une réduction de la dépense publique. Ainsi, le ministre s’interroge sur le coût de notre modèle social et plaide pour un remplacement de l’Etat providence par “l’Etat protecteur”. BLM ministre ou auteur, même combat. “Il veut montrer ce qu’est une bonne gestion des deniers publics et dessiner une figure d’homme d’Etat”, note le député Renaissance Charles Sitzenstuhl, proche du ministre.

“Le Maire fait du judo avec ses propres contraintes”

Un homme d’Etat qui “assume”, comme le veut la formule consacrée. Comme lorsqu’il annonce sur TF1 une hausse des tarifs de l’électricité, anecdote fièrement racontée dans son ouvrage. Dans la majorité, on juge surtout que Bruno Le Maire s’adapte aux circonstances. Quitte à annoncer des mauvaises nouvelles, autant les draper de courage politique. “Le risque pour lui est de passer du ministre du Covid à père la rigueur. Son parachute, c’est cette image de personnage politique qui dit la vérité. Il fait du judo avec ses propres contraintes”, note un ancien ministre.

A chacun sa partition. Le maire du Havre, en surplomb, pose un regard distant sur l’action gouvernementale depuis son départ de Matignon. Bruno Le Maire, les mains dans le cambouis, lutte contre tout procès en inaction. “Si on arrive avec des comptes dégradés en 2026, cela ne sera pas un gage de sérieux pour tout candidat de la majorité”, justifie un proche.

L’autoportrait brossé par Edouard Philippe et Bruno Le Maire est analogue : un homme sérieux, déterminé à tenir un discours de vérité à une France prête à l’entendre. “La popularité d’Edouard ne s’ancre pas en raison de propos que les gens sont heureux d’entendre, glisse un proche du Havrais. Mais car ils savent que quelqu’un doit s’y coller, comme lors du confinement.” Les deux hommes, qui se sont vus le 19 février, veillent enfin à ne pas se laisser enfermer dans le costume gris de technocrate. Aucun ne revendique le concept d'”austérité” ou de “rigueur”, termes à la charge symbolique lourde. On préfère parler de “sérieux”. Cette notion renvoie au “bon sens” et à une conception désidéologisée du débat. Donc consensuelle.

Chacun cherche surtout à donner un sens politique au désendettement. Dans son livre, Bruno Le Maire le dépeint en clé de “notre indépendance” et de notre capacité à “mobiliser des fonds publics” en cas de crise. “Ce n’est pas une fin en soi, ou un programme présidentiel, insiste son entourage. C’est un moyen de dégager des marges de manœuvre pour investir.” Edouard Philippe se défend d’être un “expert-comptable” et se pose en garant de l’indépendance française.

Les finances publiques, un vrai terrain de droite. Cela tombe bien, ce duo n’a jamais renié cette filiation idéologique. La dette est leur vieille obsession commune. Lors de la primaire de 2016, Bruno Le Maire promettait de réaliser 80 à 90 milliards d’économies, via la suppression de 500 000 postes de fonctionnaires. Edouard Philippe dénonçait, lui, “l’addiction française à la dépense publique” lors de sa déclaration de politique générale, en juillet 2017. L’ex-chef de gouvernement n’a guère apprécié de voir Emmanuel Macron sortir le chéquier à l’occasion de la crise des gilets jaunes. “Ordre dans les comptes. Ordre dans la rue” : le mantra du parti Horizons réaffirme cette ambition.

“Philippe n’a pas attendu Le Maire”

Par petites touches, une rivalité s’esquisse sur la paternité de cette offre politique. Bruno Le Maire juge en privé tenir des propos plus forts sur la gestion des comptes publics que son concurrent. Question de caractère. Les amis du Havrais préfèrent rire de cette sensibilité soudaine du patron de Bercy à la dégradation des comptes publics. “La différence entre les deux ? Philippe a toujours été constant sur ce sujet”, raille l’un d’entre eux. Un ministre cingle : “Philippe n’a pas attendu que Le Maire se targue de faire des économies pour pousser le sujet.”

En 2022, prise de bec à distance. A l’Assemblée, les députés Horizons adoptent un amendement à 120 millions d’euros visant à compenser le coût supplémentaire pour les départements de la hausse du RSA. Bruno Le Maire, en colère rentrée : “Je suis stupéfait de voir des parlementaires qui, sur les plateaux de télévision à longueur d’interviews, n’ont que le mot rétablissement des finances publiques à la bouche et qui engagent de telles dépenses publiques.”

La gémellité politique est évidente, la stratégie commune. Mais pour quel gain politique ? Aucun candidat à l’élection présidentielle n’a emporté la mise avec un discours articulé autour de la réduction de la dette. François Bayrou a échoué à la troisième place en 2007, comme François Fillon dix ans plus tard. Edouard Philippe et Bruno Le Maire n’adoptent toutefois pas la rhétorique martiale de l’ex-candidat UMP, faite d’ambitions chiffrées démesurées. Ils connaissent les contraintes du pouvoir, le libéralisme à la sauce Fillon n’a plus bonne presse.

Pour emporter l’adhésion d’un pays, il en faudra plus. S’ils se lancent, les deux compères devront séduire autant que rassurer. Un cadre Renaissance résume : “Faire campagne uniquement sur le thème du sérieux est un peu court. On a besoin politiquement de rêver et d’avoir des perspectives de changement de vie.” Embarquer les Français en tenant cette exigence de sobriété : un défi pour les deux faux jumeaux de la Macronie.

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