Franchises médicales : une incohérence politique profonde et persistante

Franchises médicales : une incohérence politique profonde et persistante

La mesure phare en matière de santé du candidat Macron en 2017 était le zéro reste à charge. Les Français ne devaient plus payer leurs lunettes, leurs prothèses dentaires et leur aide auditive. Le gouvernement vient de publier le 17 février 2024 un décret qui prévoit de doubler le montant des franchises des médicaments, des transports sanitaires et la participation financière aux consultations médicales, justifiant cette mesure par un principe de responsabilisation des citoyens.

Le Français ne doit plus rien payer pour ses lunettes mais doit participer au financement de ses soins médicaux, pour prendre conscience que la santé à un coût ! La coupe est donc pleine en matière d’incohérence politique et de complexification technique du système de financement.

Dommage, car la lisibilité pour l’assuré est une condition essentielle de l’efficacité du système et de son équité. Sachant aussi que c’est l’assuré qui finance 100 % des soins.

Une usine à gaz bureaucratique

Comme toute mesure dénuée de sens, le recouvrement des franchises médicales est une usine à gaz bureaucratique. Chaque citoyen peut constater que ses dépenses de santé se font surtout via le tiers payant, c’est-à-dire sans financement direct. Pour récupérer les franchises médicales, l’Assurance maladie n’a que deux options : soit les déduire du remboursement d’un acte pour lequel l’assuré paie en direct – un acte de kinésithérapie par exemple -, soit demander à l’assuré de lui payer par virement les sommes dues, autrement dit le trop remboursé.

Le financement de la santé en France comporte aujourd’hui un remboursement par la sécu, un par les mutuelles, une participation financière et une franchise non remboursables, un ticket modérateur remboursable, un reste à charge sur certains actes… En vingt ans, les responsables politiques n’ont eu de cesse de bricoler la machine, au point de la rendre illisible et coûteuse administrativement, donc inefficace dans son « effet responsabilisant ».

Le diktat de Bercy face à l’impuissance de Ségur

Cette mesure s’inscrit dans un contexte de dérive inédite – hors crise majeure – de la trajectoire financière de la sécurité sociale d’ici à 2027. Après un déficit de 9 milliards d’euros en 2023, entièrement porté par la santé, le déficit cumulé de 2024 à 2027 devrait atteindre 60 milliards d’euros, dont les deux tiers sont dus à la santé.

Face à l’incapacité du ministère de la Santé à proposer des réformes structurelles, Bercy prend la main et utilise les outils en place, peu importe leur cohérence pour le système, ce n’est pas son sujet.

Rappelons que les participations financières – 1 euro sur la consultation – et les franchises médicales – 50 centimes sur le médicament et 2 euros sur le transport sanitaire – ont été instaurées en 2005 et 2008 respectivement. Le décret du 17 février 2024 prévoit le doublement de ces sommes, pour un gain annuel attendu de 800 millions d’euros.

Les Français ont bien compris que le cocktail de finances publiques dégradées et d’incapacité politique à réformer la santé les condamnait à voir augmenter ces montants à une récurrence accrue dans les prochaines années. Jusqu’à quand vont-ils accepter de subir ?

Vingt ans d’incohérence politique

Cette incohérence politique est profonde puisqu’elle revient à imposer un reste à charge sur des soins lourds et pas sur des soins courants : un vrai contre-modèle économique.

Cette incohérence politique est persistante puisqu’elle remonte aux années 2000, avec l’instauration du tiers payant, du contrat des mutuelles devenu la référence – obligeant au remboursement des tickets modérateurs -, puis de l’obligation des contrats collectifs pour les actifs.

Cette incohérence politique, profonde et persistante, se paie au prix fort pour les assurés, comme pour les soignants.

Pour les premiers, elle a augmenté le coût d’accès aux soins, du fait des frais de gestion exorbitants des assureurs privés, tout en diminuant la qualité de ces derniers, comme le montre la multiplication des centres dentaires ayant émergé à la suite du zéro reste à charge.

Pour les seconds, en incitant à la surconsommation de soins, elle a incité les pouvoirs publics à contenir au maximum les tarifs à un niveau inférieur à l’inflation, et conduit à la paupérisation des soignants.

Un fardeau pour les retraités de la classe moyenne

Un point non négligeable est de savoir si ces franchises médicales sont équitables, en clair si elles représentent une ponction budgétaire douloureuse, ou non, pour les assurés.

L’effort repose sur la classe moyenne – les plus modestes en sont exonérés – et en particulier les retraités de cette catégorie, qui consomment le plus de soins. Même avec un plafond annuel de franchise à 50 euros, la hausse les concerne au premier chef.

Cette somme s’ajoute aux 4 milliards d’euros d’augmentation des tarifs des complémentaires santé en 2024 (+ 10 %), dont les principales victimes sont aussi… les retraités de la classe moyenne.

Une addition salée

Toute chose étant égale par ailleurs, l’addition du coût supplémentaire d’accès aux soins va donc être salée en 2024, de l’ordre de 5 milliards d’euros, soit 100 euros par adulte en moyenne, mais avec une répartition très inégalitaire de ce surcoût. Pour les retraités, la note se chiffrera en plusieurs centaines d’euros.

Cette mesure est le signe de l’abandon, pour ce quinquennat, de toute velléité de réformes structurelles en matière de santé, qui sont les seules à même de retrouver une perspective financière saine et vertueuse.

Une réforme structurelle du financement de la santé qui ferait évoluer le système de deux financeurs – sécu et mutuelles – à un seul financeur – sécu ou mutuelles, selon les prestations – ferait économiser 20 milliards d’euros, dont 50 % pour les finances publiques, chaque année.

Bercy obtiendrait les 10 milliards d’euros d’économies recherchées, tout en améliorant la lisibilité, l’équité, et l’efficacité du financement de la santé en France.

« Dans un monde qui bouge, il vaut mieux penser le changement que changer le pansement » disait Francis Blanche, à juste titre.

*Frédéric Bizard est professeur d’économie à l’ESCP.

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