Grégoire Courtine et Jocelyne Bloch, le duo qui fait remarcher les paralysés

Grégoire Courtine et Jocelyne Bloch, le duo qui fait remarcher les paralysés

Ils arrivent ensemble, épaule contre épaule, absorbés par leurs échanges. Comme s’il n’y avait qu’eux dans cette salle du centre hospitalier universitaire vaudois, à Lausanne, où s’affairent des kinés, des ingénieurs de recherche et un de leurs patients. Voilà douze ans que Grégoire Courtine et Jocelyne Bloch collaborent. A l’intensité du regard qu’ils portent l’un à l’autre, on dirait pourtant que le coup de foudre vient de se produire.

De l’union – professionnelle uniquement – entre ce neuroscientifique français, chef d’équipe à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, et cette neurochirurgienne vaudoise est née l’une des avancées médicales les plus impressionnantes du siècle. Grâce à leurs soins, les personnes paraplégiques se lèvent et marchent à nouveau. Une prouesse, fruit de vingt ans de recherche acharnée, menée en partenariat avec le centre de recherche Clinatec, à Grenoble.

A travers la fenêtre, le temps maussade tranche avec les chaleureuses retrouvailles. Le duo vient s’assurer que Michel, l’un de leurs miraculés, va bien. En 2017, un animal s’est jeté sous les roues de la moto que pilotait cet Italien de 32 ans aux cheveux longs. Sa moelle épinière a explosé. “J’ai dû me traîner dans les débris pour trouver mon téléphone et appeler les secours, avant de m’évanouir”, raconte-t-il, comme s’il parlait d’un bleu. A son réveil, il ne sent plus ses jambes. Les médecins lui annoncent qu’il ne pourra plus jamais se tenir debout.

A l’époque, Grégoire Courtine faisait déjà remarcher les singes. Le deuxième exploit de sa collection, après celui des souris de laboratoire, en 2012. Sa méthode repose sur une puce implantée dans la moelle épinière. A chaque signal électrique, les muscles se contractent. En fonction de la zone, de l’intensité, de la fréquence, le mouvement varie. A force d’éplucher le Web en quête de remèdes, Michel tombe sur les primates et les rongeurs du Dr Courtine, et, malgré le côté prophétique de ces prouesses, décide d’y croire.

Beaucoup le prenaient pour un fou

S’ensuit un premier refus : Michel est trop amoché pour être accepté au sein des essais du neuroscientifique. Qu’importe, le jeune homme continue de s’entraîner. Il prépare comme il le peut ses cuisses, ses mollets et son cerveau : “Je m’imaginais marcher, encore et encore, pour ne pas perdre cette fonction, au cas où l’on puisse un jour me reconnecter à mon corps.” Ses épaules deviennent aussi larges que le siège qu’il utilise pour se déplacer. Grégoire Courtine finit par dire oui. Jocelyne Bloch l’opère.

Au bloc, la spécialiste a pris l’habitude de tester en direct ses électrodes pour savoir si elles sont bien placées. Rares sont les chirurgiennes à s’impliquer dans des projets aussi expérimentaux. Rares sont les chirurgiennes tout court : le métier tolère encore aujourd’hui peu de femmes. Ses proches lui avaient recommandé de suivre des études de littérature. Elle change finalement pour médecine, se passionne pour le cerveau, devient l’une des meilleures neurochirurgiennes de sa génération.

Lorsqu’elle rencontre Grégoire Courtine, beaucoup le prennent pour un fou. Les autres scientifiques sont si prudents. Lui est libre, tempétueux, insolent parfois. Après sa thèse, l’hyperactif est parti aux Etats-Unis, à l’université de Californie (UCLA). “Là-bas, on sait penser par soi-même”, répète cet ancien champion d’escalade. Il apprend à décloisonner, travaille au contact des malades, avec des équipes pluridisciplinaires, du kinésithérapeute au biologiste. Durant ces années d’études, de Staps puis de neurologie, une idée folle lui vient : et s’il était possible de “réveiller” ce qu’il reste de nerfs aux paraplégiques les moins atteints ?

Ce qui devait être une simple piste s’est transformé en un immense espoir. A force de stimuler leurs souris, Grégoire Courtine et Jocelyne Bloch se sont rendu compte qu’elles retrouvaient quelques sensations. Lorsque la blessure est partielle, les nerfs repoussent. De nouvelles connexions se créent, autour d’anciens circuits primaires. Il en va de même chez les humains. Pas assez pour vaincre le handicap, mais suffisamment pour y croire. Pour que cela marche, il ne faut pas seulement faire bouger les membres. Les patients doivent aussi commander le mouvement dans leur tête. Grégoire Courtine l’a compris avant les autres.

Désormais équipé, Michel n’a qu’à se saisir de sa tablette pour que, d’un coup, ses gambettes se démêlent. L’équipe des deux scientifiques – qui compte une soixantaine de personnes désormais – y a chargé une série de programmes. Il suffit d’appuyer sur un bouton du déambulateur pour activer l’un d’entre eux. L’Italien, un N et un R imprimés sur son tee-shirt en référence au centre de Grégoire Courtine et Jocelyne Bloch, NeuroRestore, se redresse. Ses jambes se lèvent, puis se plient. Sans sa tablette, le sportif tombe. Une fois, un journaliste l’a déréglée, en jouant avec.

Des résultats spectaculaires

Peut-être le duo réussira-t-il un jour à “guérir” les paralysés, à leur faire retrouver suffisamment de mobilité pour qu’ils puissent mener une vie normale. En novembre 2023, il réussi à adapter ses travaux à un patient atteint de la maladie de Parkinson, qui a retrouvé une marche fluide. Et, depuis mai dernier, ils couplent aussi certains de leurs dispositifs avec une puce qu’ils insèrent dans la boîte crânienne de leurs patients. Michel n’en veut pas. L’opération lui fait peur. Les résultats sont pourtant spectaculaires : avec de l’entraînement et un peu d’intelligence artificielle, le capteur décrypte l’intention cérébrale. L’action est guidée par la pensée. Quasiment comme si de rien n’était.

Il y a toujours quelques imprévus. A cause de leurs blessures, les patients ne peuvent plus contracter les muscles qui contrôlent la tension dans les artères et ajustent la circulation du sang. Ils se lèvent, oui, mais manquent souvent de s’évanouir. Leur corps demande un long temps de chauffe, comme des diesels que l’on ferait grimper trop vite dans les tours. “Nous avons développé un appareil pour apporter la stimulation électrique nécessaire, ce qui représente un nouveau gain important pour les patients”, précise Grégoire Courtine.

Les Pierre et Marie Curie de la chirurgie

On dit d’eux qu’ils sont les Pierre et Marie Curie de la chirurgie. Les nouveaux Elon Musk même, selon de nombreux médias. La comparaison est fausse, elle les vexe. Le milliardaire s’est intéressé au sujet après eux, et n’a rien d’un scientifique. Ses implants ne permettent pour l’instant que de contrôler un ordinateur, une tâche plus simple. Et ils sont plus invasifs, car positionnés dans le mou de la cervelle, entre les neurones. Plus précise sur le papier, la méthode est aussi plus risquée et instable.

A chaque nouvelle rencontre, le duo s’échine à faire oublier l’Américain, bien mieux coté en Bourse. Quitte à en parler même quand il n’est pas mentionné. Il y a tout de même quelques ressemblances. Pour réussir dans les nouvelles technologies et lever suffisamment de fonds, il faut savoir vendre ses rêves avant qu’ils ne deviennent réalité. “J’ai croisé Elon Musk à une conférence. Il disait qu’il allait concurrencer la Nasa avec des navettes privées. Ça paraissait impossible, mais il l’a fait”, confie Grégoire Courtine. Le Français n’avait-il pas lui aussi promis, dès 2013, qu’il ferait remarcher les paraplégiques ?

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