Grève des contrôleurs aériens : les “clairances”, cette pratique occulte au cœur du conflit

Grève des contrôleurs aériens : les “clairances”, cette pratique occulte au cœur du conflit

La grève des contrôleurs aériens s’annonce massive, ce jeudi 25 avril, avec plus de la moitié des vols annulés dans toute la France. Au catalogue des exigences salariales – augmentations de 15 % sur trois ans, indemnités et primes en tout genre – accompagnant le préavis du SNCTA, le principal syndicat de la profession, une revendication intrigue : l’octroi de dix-huit jours de “récupération” supplémentaires par an.

La raison ? Ces trois semaines et demie de repos seraient censées compenser la suppression des “clairances”, ces petits arrangements entre aiguilleurs qui font que les uns accordent aux autres des absences – non décomptées -, quand l’état du trafic est censé le permettre. Un “système occulte”, dénoncé de longue date par la Cour des comptes. “Ces “clairances” – terme utilisé pour désigner cette pratique irrégulière – permettent de diminuer plus encore le temps de travail effectif des contrôleurs : celui-ci peut probablement descendre à moins de cent jours par an sans qu’il soit possible d’avancer un chiffre plus précis en raison du caractère officieux, mais admis, de cette pratique”, pointait en 2010 le rapport annuel de la Cour, après qu’une enquête du Figaro a levé le lièvre.

Quinze ans d’inertie

A l’époque, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) avait admis l’existence du phénomène. Mais elle avait reconnu sa difficulté à le contrôler, “en l’absence de système de pointage des présences ou de surveillance contradictoire des registres de tenue de position établi par les chefs d’équipe.” Quinze ans (!) plus tard, la DGAC s’est enfin saisie du problème, annonçant la mise en place de nouveaux outils pour vérifier que chacun est bien à son poste. Mais il aura fallu qu’un drame soit évité de justesse pour que les choses bougent enfin.

Le 31 décembre 2022, un Airbus d’easyJet, en phase d’atterrissage sur l’aéroport de Bordeaux-Mérignac, a failli percuter un Robin DR-400 positionné sur sa piste. C’est en voyant l’A320 approchait dangereusement de son appareil que le pilote du petit avion de tourisme avait prévenu de lui-même la tour de contrôle, où personne n’avait rien vu venir. Alerté, l’Airbus avait aussitôt remis les gaz.

Un an après les faits, le Bureau d’enquêtes et analyses (BEA) de l’aviation civile publie un rapport de 63 pages. Plusieurs passages sont édifiants. “Le jour de l’incident grave, peut-on lire, le tableau de service prévoyait la présence de six contrôleurs. Avant la vacation, le chef de tour avait, en accord avec son équipe, modifié à la baisse les effectifs prévus à trois contrôleurs à l’heure de l’incident grave.”

Plus loin : “Il ressort des différents entretiens réalisés par le BEA au cours de l’enquête que les chefs de tour peuvent prendre la liberté de décider, en concertation avec leur équipe, d’un nombre de contrôleurs présents inférieur à celui prévu par le tableau de service et des heures d’arrivée et de départ des différents contrôleurs. Ces décisions, qui ne font pas partie des attributions officielles du chef de tour, sont internes à l’équipe et ne sont pas tracées ni communiquées à l’encadrement du centre de contrôle.”

Seul moyen de contrôle : le badge du parking

Un Etat dans l’Etat, en somme, dont les enquêteurs du BEA ont réussi à percer quelques secrets. “Cette organisation parallèle du travail interne aux équipes […] est facilitée par l’utilisation d’outils Internet externes non gérés par la DGAC, permettant notamment aux contrôleurs d’organiser leur temps de présence réel sur leur lieu de travail.” Quant aux équipements permettant de contrôler la présence des contrôleurs sur le site, les seuls capables de remplir cet office sont… les systèmes de badges pour accéder aux parkings. Et encore. “Ces systèmes diffèrent d’un centre à l’autre, indique le rapport. Dans certains centres, ces systèmes enregistrent uniquement l’entrée sur le site et pas la sortie. Dans d’autres centres, ces systèmes sont même inexistants. […] Dans le cadre de l’enquête, il a été rapporté au BEA, par différentes sources, l’existence sur certains centres de contrôle de la pratique du “demi-tour parking”, consistant à badger à l’entrée du parking au début de la vacation et à en ressortir immédiatement.”

Face à de tels usages, qui heurtent évidemment les impératifs de sûreté d’un métier aussi critique, l’Unsa des contrôleurs aériens n’hésite pas à fustiger, dans un tract récent, “un rapport à charge du BEA”. Et à s’élever contre “la mise en place de pointeuses sur position pour nous surveiller et rationaliser notre temps de travail”. Ou comment balayer, au nom du corporatisme, des interrogations autrement légitimes sur la sécurité des passagers.

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