Guerre en Ukraine : Macron a-t-il les moyens de faire peur à Poutine ?

Guerre en Ukraine : Macron a-t-il les moyens de faire peur à Poutine ?

Face à un Poutine qui ne comprend que le rapport de force, l’Europe doit montrer les dents sous peine de voir sa survie menacée. C’est en substance le discours qu’a tenu d’Emmanuel Macron qui, malgré les accusations de bellicisme, a de nouveau revêtu ses habits de chef de guerre, hier soir, lors des JT de TF1 et France 2. Sur le fond, Macron, n’en démord pas : l’heure est grave, dans un moment où la situation se complique pour les Ukrainiens et où la Russie se fait de plus en plus “menaçante”. “La Russie ne peut pas et ne doit pas gagner cette guerre”, a-t-il martelé, car ce qui se joue en Ukraine est “une guerre existentielle pour l’Europe et la France”.

Revendiquant les vertus de “l’ambiguïté stratégique”, Macron, est revenu jeudi soir sur sa fameuse phrase sur un possible envoi de “troupes” en Ukraine – déclaration qui avait provoqué un tollé parmi ses opposants en France, mais aussi en Europe, notamment en Allemagne. Le locataire de l’Elysée juge dangereux pour les Européens de se fixer a priori des lignes rouges quand la Russie n’en a aucune. “Nous avons mis trop de limites dans notre vocabulaire”, estime-t-il. Or, “pour avoir la paix en Europe, il ne faut pas être faible”. Avec en filigrane, un constat : si l’Ukraine perd, Poutine ne s’arrêtera pas là.

Olaf Scholz, le principal obstacle

Cette rhétorique offensive a permis, ces derniers jours, au président français de redorer son blason auprès des pays baltes et d’Europe de l’Est comme la Pologne, mais il lui reste encore à lever un obstacle de taille : la résistance du chancelier allemand, qui a catégoriquement rejeté l’éventualité d’envoyer des troupes en Ukraine. Plus problématique, Olaf Scholz refuse toujours d’envoyer aux Ukrainiens des missiles à longue portée Taurus. “C’est une question cruciale, traitée avec une très grande violence dans le débat politique en Allemagne, relève François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique. Derrière, se cache celle, essentielle, de savoir si l’on va changer de stratégie vis-à-vis de la Russie. Et cultiver, comme le suggère le président français, une certaine ambiguïté stratégique – une arme que nous avons laissée aux Russes dès le début de la guerre, sous l’impulsion, notamment, du président américain Joe Biden.”

Mais comment emporter l’adhésion d’un Chancelier allemand, dont les positions pacifistes sont aux antipodes de son homologue français, et qui le fait savoir de façon radicale ? Paris ne se privant pas, en retour, de moquer sa prudence. “En 45 années passées à suivre la relation franco-allemande, je n’ai jamais vu ce niveau d’âpreté et de violence verbale, observe François Heisbourg. Scholz, c’est vraiment le frein principal à la vision de Macron.”

Dommage qu’hier soir, ce sujet n’ait pas été abordé, alors qu’il est central pour l’avenir de la sécurité européenne. Peut-être un homme peut-il aplanir ces différends : Donald Tusk. Ce vendredi 15 mars, le Premier ministre polonais retrouve ses homologues français et allemand à Berlin pour discuter du soutien à l’Ukraine. Une partition délicate pour Emmanuel Macron, qui va devoir trouver les mots de l’apaisement. Plutôt que de passer en force, “il faut viser un alignement de Paris, Londres, Berlin et Varsovie, suggère Michel Duclos, conseiller spécial à l’Institut Montaigne. Si ces quatre capitales s’entendent pour aller dans le même sens et tirer le reste de l’Europe, cela fera une vraie différence. Plutôt que d’un leader, les Européens ont davantage besoin d’un inspirateur. Macron peut jouer ce rôle.” C’est en tout cas la mission qu’il semble s’être fixé : “Mon ambition est de mettre en œuvre ce sursaut, de convaincre nos alliés d’aller plus loin”, a-t-il indiqué jeudi soir.

Traduire les paroles en actes

Signal positif, la France et l’Allemagne sont parvenues à un premier accord, mercredi 13 mars, à Bruxelles. Après des mois de discussions, un Fond d’assistance à l’Ukraine vient de voir le jour. Émanation de la Facilité européenne de soutien à la paix (FPE), doté de 5 milliards d’euros, il permettra de rembourser partiellement les pays membres pour les armes qu’ils fournissent à l’Ukraine. Un soulagement pour Kiev, alors que l’aide américaine reste bloquée par les Républicains au Congrès, certainement pour longtemps.

Mais pour entraîner ses partenaires, la France va aussi devoir traduire ses paroles en actes. “Pour être crédibles, il faut que les Français passent à la vitesse supérieure dans les livraisons d’armes. Le défi, c’est d’en faire plus, mais surtout de façon programmée, dans la durée”, souligne Michel Duclos. L’Hexagone ne se trouve qu’en 14e position des pays ayant fourni le plus d’aides à l’Ukraine, avec seulement 1,8 milliard d’euros versés entre les mois de janvier 2022 et 2024, selon le Kiel Institute. Sur le plan militaire, la France n’a livré que 640 millions d’euros de matériel en deux ans, contre 17,7 milliards pour l’Allemagne, en tête du classement européen, et 9,1 milliards pour le Royaume-Uni. N’en déplaise au gouvernement français, qui critique le mode de calcul de l’institut allemand, le retard est conséquent, et les 3 milliards d’euros promis par Paris en 2024 dans le cadre de son accord bilatéral avec l’Ukraine ne suffiront pas à combler l’écart – d’autant que le gouvernement allemand en prévoit 7 milliards sur la même période.

Se pose aussi, pour la France, la question de la montée en puissance de son industrie de défense. À ce jour, le groupe français Nexter est par exemple capable de produire 60 000 obus par an, soit une quantité correspondant à un peu plus d’une semaine de combat, au rythme où ils sont consommés par les forces ukrainiennes. Et même si l’industriel prévoit une hausse de 50 % de sa production en 2024, puis son doublement en 2025, l’ampleur des besoins du front impose un changement d’échelle. Là encore, cela suppose d’y mettre les moyens. Emmanuel Macron l’a reconnu hier : “Nous n’avons pas une industrie de défense adaptée à une guerre de haute intensité territoriale”.

Envoyer, ainsi, 40 missiles Scalp – même s’ils sont très performants et parviennent à toucher des cibles russes dans la profondeur – ne suffit pas. “Il faudrait passer des commandes, si possible avec les Britanniques et les Allemands, puisque son fabricant, MBDA, est une société transnationale, sur plusieurs mois, plusieurs années, afin que le groupe fasse les investissements nécessaires pour augmenter la production”, relève Michel Duclos. Un engagement d’autant plus urgent que, depuis le sommet de l’Élysée du 26 février dernier, 25 chefs d’Etat alliés se sont entendus sur l’envoi, à Kiev, de missiles à moyenne et longue portée. “Ce point est passé complètement inaperçu, mais il y a désormais consensus en Europe pour livrer aux Ukrainiens des armes qui permettraient d’atteindre, au moins, la Crimée. Un tabou est tombé”, poursuit l’ancien diplomate.

Même s’ils ont semé la division en Europe, les propos d’Emmanuel Macron ont eu le mérite de déclencher un débat essentiel. Reste à espérer qu’ils permettront un vrai réveil de l’Europe.

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