Guerre en Ukraine : plus envie de rire, par Christophe Donner

Guerre en Ukraine : plus envie de rire, par Christophe Donner

Les bombardements, les massacres, les mensonges, la répression, l’idéologie abjecte, la violence à tous les étages, la laideur des sentiments, la vulgarité crasse, tout y était, incarné par un homme et sa cohorte d’esclaves, un nabot bouffi, patriote, raciste, sexiste, inculte par habitude du mensonge, menteur par respiration, tout mon mépris depuis des années qui gonfle au gré des invasions, des corruptions, des attentats, mon mépris puis ma haine du communisme, et rire pour la contenir, la supporter, ma haine du soviétisme, appelez ça comme vous voudrez ou stalinisme à l’état pur, un père comme ça, minable, l’impression de les connaître par cœur, par filiation, parler avec une Roumaine philosémite que le mot communisme asphyxie, je ne peux pas croire que les Russes, que tous les Russes… parce que j’ai aimé un Russe, bon, il se disait Tatar, et c’était la Perestroïka, je ne savais même pas où c’était, le Tatarstan, et pour cause… c’était Moscou, en 1990, la ville était touchante, comme un chien battu, elle léchait ses plaies, dans les appartements communautaires, les mômes des cités laissaient le gaz de la cuisinière allumé parce qu’ils n’avaient plus d’allumettes pour allumer leurs clopes, c’était la guerre du feu en HLM, un bon souvenir, et d’autres qui ont été gâchés, depuis surtout l’assassinat des enfants de Beslan par les forces spéciales (déjà spéciales) russes.

Tout ça, tout ça, et puis la guerre totale, massive, ça fait deux ans, en Ukraine, avec les irrespirables manques, prudences et timidités, les coupables aveuglements de “l’Occident”, la lâcheté des raisonnables, sans parler des vendus, j’en ai connu un, pitoyable idiot, ambassadeur de l’idéologie nazie-poutinienne sous couverture équine. Il m’envoie son cynique compte rendu de voyage à Leningrad où la vie est belle, les terrasses pleines, la jeunesse heureuse, pas contrariée par les sanctions risibles de l’Occident, ricane-t-il. Dernier espoir, petite excuse : qu’il soit bien payé pour raconter ses conneries. Même pas sûr. Mais que faire ? Que dire ? Se lamenter, envoyer de l’argent dérisoire, lire et recommander aux potes les articles de Benoît Vitkine, édifiants, déprimants, ô les petits malheurs d’un bourgeois parisien, dire aux dîners en ville “C’est la guerre, qu’est-ce qu’on attend, de la perdre au moment de comprendre !” Mézigue tellement mal placé, réformé P4, et à mon âge, pour y aller, mourir de ridicule en jouant du clairon.

Mais avoir honte : on a de l’argent, on a des armes, il faut écraser l’immonde et on essaie de l’amadouer. On a posé des lignes rouges pour les reculer année après année. En Syrie, j’ai vu des soldats russes faire du tourisme, le vendredi, dans le souk de Damas. Ils voulaient bien se faire filmer, pas leur commandant qui voulait nous piquer la caméra. La guerre était partout, on ne l’entendait même pas, toutes les belles traductrices s’appelaient Nathalie. J’étais donc écœuré. C’était une conviction, des opinions, mais l’autre jour, la mort d’Alexeï Navalny, c’est personnel, ça n’est plus une abstraction, ça n’est plus une tache sur la carte des opérations qui me réjouit ou me décourage selon qu’elle grandit ou rétrécit. C’est l’assassinat d’un homme emprisonné. Est-ce qu’on peut faire plus lâche, plus facile, plus dégradant ? Les potentats soviétiques auront commis les crimes les plus bas ; ils n’ont pas eu le gigantisme mégalomaniaque et narcissique des nationaux-socialistes, ils ont été beaucoup plus malins… pour que ça ait pu durer ainsi pendant plus d’un siècle.

Navalny, ce matin, c’est personnel, c’est tellement grave que je me surprends à croire, pour ne pas m’effondrer et désespérer, je me surprends à imaginer que cette mort-là va enfin réveiller “les Occidentaux”, les élus, les présidents, et les peuples… mais ceux-là, ça fait longtemps que je ne compte plus sur eux… J’ai tort ? Ah bon ? J’aimerais tant avoir tort. Par pitié, donnez-moi tort ! Faites la guerre avant de la perdre. Appelez un facho par son nom et faites qu’il ne passera pas, comme on disait.

Christophe Donner, écrivain

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