Hans-Werner Sinn : “L’Allemagne reconsidérera probablement sa politique nucléaire à partir de 2025”

Hans-Werner Sinn : “L’Allemagne reconsidérera probablement sa politique nucléaire à partir de 2025”

C’est l’une des voix les plus respectées d’Allemagne. Hans-Werner Sinn, président émérite de l’Institut de conjoncture Ifo et professeur émérite à l’université de Munich, n’est membre d’aucun parti politique et il ne participe à aucun événement organisé par ces derniers, souligne le site Internet qui lui est dédié. Cette position lui permet de jeter un regard cru et objectif sur la politique allemande. Ainsi, l’économiste ne mâche pas ses mots sur les choix énergétiques de son pays. Non seulement ces derniers ont un coût démesuré, mais ils reposent sur des hypothèses irréalistes. La voie suivie par l’Allemagne est tellement problématique que le pays pourrait reconsidérer sa position sur le nucléaire.

L’Express : En 2022, quelques mois après le début de la guerre en Ukraine, vous avez déclaré que la politique énergétique de l’Allemagne conduisait inévitablement à l’échec. Avez-vous changé d’avis ?

Hans-Werner Sinn : Malheureusement, non. Le problème de base reste le même. La stratégie de l’Allemagne consiste à atteindre la neutralité carbone en s’appuyant presque exclusivement sur de l’énergie éolienne et solaire. Mais celles-ci sont par définition intermittentes et ne peuvent être adaptées aux besoins. En hiver, le manque de soleil et de vent peut durer plusieurs semaines. En été, il y a souvent un surplus d’énergie dont personne n’a besoin. Les dispositifs de stockage déplaçant l’énergie de l’été vers l’hiver n’existent pas encore. L’Allemagne a donc besoin d’une double structure : des installations vertes pour les conditions météorologiques favorables et de la production d’énergie fossile pour combler les lacunes durant les périodes insuffisamment ensoleillées et sans vent. Cette particularité rend l’énergie très chère. Les Allemands doivent payer les coûts fixes des éoliennes et des panneaux photovoltaïques, ainsi que ceux des centrales électriques conventionnelles.

Les choix énergétiques de l’Allemagne ont déjà conduit à des prix de l’électricité très élevés. Les ménages se plaignent. Les entreprises aussi. Les entreprises énergivores perdent déjà en compétitivité. C’est le cas, par exemple, de l’industrie chimique, dont la production a chuté de 20 % depuis 2018. En début d’année, le Bundesrechnungshof – l’équivalent français de la Cour des comptes – a publié un rapport accablant sur l’état de la transition énergétique en Allemagne. Il constate que les énergies renouvelables n’ont pas permis de compenser la perte de production des centrales nucléaires, et que l’approvisionnement énergétique ne sera assuré que sous des hypothèses irréalistes. Comment ne pas qualifier cette situation d’échec ?

L’Allemagne va-t-elle manquer d’énergie ces prochaines années ?

Je ne le pense pas. Après tout, elle peut importer de l’énergie des pays voisins qui disposent de sources d’énergie pilotables, comme le nucléaire. Le Bundesrechnungshof a calculé que l’Allemagne disposait autrefois d’une capacité de production d’électricité de 60 gigawatts (GW). Aujourd’hui, le pays ne peut compter que sur 36 GW. Il manque donc 24 GW, soit environ 24 centrales électriques conventionnelles. Cela signifie que le besoin d’investissement va bien au-delà des récentes annonces du gouvernement.

En fait, je pense que l’Allemagne finira par remettre en service ses réacteurs nucléaires. La réflexion commencera sans doute après les élections de l’année prochaine. Bien sûr, il peut se passer beaucoup de choses d’ici là. Mais si le vote avait lieu aujourd’hui, nous aurions probablement au pouvoir une coalition entre l’Union chrétienne-démocrate (CDU) et le Parti social-démocrate (SPD). Friedrich Merz, qui a pris la tête de la CDU il y a deux ans, serait alors probablement le chancelier. Or, il s’est déjà engagé publiquement à relancer l’énergie nucléaire. D’ailleurs, le redémarrage des réacteurs reste techniquement possible dans certains cas. Certes, le démantèlement des centrales a commencé sous l’influence des écologistes. Mais certaines sont encore en bon état et pourraient être remises en fonctionnement.

La population allemande est-elle prête pour un tel virage ?

L’opinion publique a changé. Si l’on en croit les sondages, la majorité des citoyens allemands sont désormais favorables à la prolongation des centrales nucléaires. En fait, la guerre en Ukraine a suscité de nombreuses discussions sur l’énergie. Et la population commence à se rendre compte de la réalité. En 2011, lorsque l’ancienne chancelière Angela Merkel a décidé de sortir le pays de l’énergie nucléaire, les gens rêvaient. Ils croyaient aux histoires à dormir debout racontées par les écologistes, selon lesquelles tout pouvait être fait “en vert” et que l’Allemagne deviendrait le leader mondial des technologies à faible émission de carbone.

C’était un non-sens dès le départ, car l’efficacité économique découle de décisions privées, et non de décisions gouvernementales. Aujourd’hui, nous nous rendons compte que nous ne pouvons pas fermer les centrales au charbon et les réacteurs nucléaires d’un seul coup, et que nous ne pouvons pas faire tourner l’économie uniquement grâce à l’énergie éolienne et à l’énergie solaire. Il existe un consensus de plus en plus large sur cette question. C’est pourquoi le gouvernement actuel risque de perdre les prochaines élections. A moins d’un miracle.

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