Hervé Berville : “Le maritime est un élément de souveraineté qu’il faut protéger”

Hervé Berville : “Le maritime est un élément de souveraineté qu’il faut protéger”

Dans la Manche, le dumping social et la guerre des prix mettent à mal les compagnies françaises. Le secrétaire d’Etat chargé de la Mer et de la Biodiversité, Hervé Berville, a signé mardi 19 mars les décrets de la loi Le Gac, qui limite la concurrence déloyale. Ses dispositions pourraient cependant être retoquées par Bruxelles.

L’Express : Depuis près de deux ans, les ferries au départ de Calais vers Douvres battant pavillon français étaient victimes d’une forme de concurrence déloyale de la part de deux compagnies battant pavillon chypriote. La loi dont vous venez de signer les décrets devrait entrer en vigueur au début de l’été. Le problème est-il réglé ?

Hervé Berville : Cette loi et l’action rapide et collective du gouvernement avec les parlementaires, les régions, les départements, les syndicats, illustrent la volonté de répondre à une situation scandaleuse pratiquée par des sociétés peu scrupuleuses du bien-être de leurs marins et de la sécurité en mer. Cette loi s’inscrit donc dans l’engagement du président de la République de lutter contre le dumping social. On ne peut laisser passer ce type d’agissements car ce n’est pas le modèle social que l’on veut pour notre économie maritime. On a réussi quelque chose d’assez inédit : entre le moment où j’ai été saisi du dossier, c’est-à-dire en juillet 2022, et le moment où la loi a été votée, il s’est passé moins d’un an. Un temps extrêmement court. Cette volonté d’aller vite était guidée par la nécessité de protéger les marins français et aussi les entreprises françaises.

La survie des entreprises françaises est-elle vraiment en jeu ?

Oui, les compagnies françaises sont frappées de plein fouet par cette concurrence déloyale et mortifère. C’est un secteur très exposé à la concurrence. Mais l’économie ne doit pas être la loi de la brutalité et de la spirale infernale qui tire vers le bas les droits des marins. Je suis pour la concurrence loyale et des règles équitables. Derrière ces pratiques, cela pose également le sujet de la sécurité des voyageurs sur ces bateaux. Le détroit du Pas-de-Calais est un des plus fréquentés au monde. Des marins qui travaillent quatre mois d’affilée pour effectuer plusieurs rotations par jour, vous imaginez le niveau de fatigue !

Mais les décrets risquent d’être attaqués, ne craignez-vous pas que cette loi française soit retoquée par Bruxelles ?

Si les décrets sont attaqués, cela montre bien qu’ils ont déjà une portée, sinon ils ne le seraient pas. Ces décrets visent trois objectifs : protéger le modèle social français, garantir la compétitivité de nos entreprises car elles sont pourvoyeuses de marins et envoyer un signal pour dire que nous allons porter ce combat au niveau européen. Concrètement, il y a trois avancées : obligation d’un salaire minimum horaire pour tous les marins qui opèrent sur le transmanche, équivalence entre le temps de travail et le temps de repos, et doublement des sanctions pénales par rapport à ce qui se fait à terre ainsi que des sanctions administratives. Et parce que le sujet du dumping social ne concerne pas que le transmanche, on crée aussi des sanctions administratives pour le reste de nos eaux comme en Méditerranée ou pour l’avenir les projets de parcs éoliens. On verra ce qui se passera à Bruxelles. Irish Ferries et P & O ont déjà attaqué ces textes auprès de la Commission européenne. Mais nous avons réussi à convaincre la Commission européenne qui ne voulait pas ouvrir ce sujet, de nous laisser avancer. A ce stade, elle souhaite examiner nos décrets.

Aujourd’hui, le pavillon français moins compétitif que d’autres pavillons européens, sans parler de celui de Chypre. Est-ce tenable ?

La souveraineté peut allier compétitivité et protection. Protection des marins, de nos concitoyens et de l’environnement. C’est pour cela que nous avons imposé le pavillon français pour le transport de voyageurs. Nous avons aussi le RIF, le registre international français, qui est plus souple et permet de prendre en compte des éléments de concurrence. L’économie maritime française est, comme d’autres pans de l’économie, confrontée aux coups de butoir d’entreprises ou de pays qui veulent se lancer dans une économie débridée. Mais le maritime est un élément de souveraineté qu’il faut protéger. Si on veut que des gens viennent travailler dans ce secteur, il faut un cadre attractif. Or nous avons un gisement énorme d’emplois dans le transport maritime, dans l’éolien en mer, dans l’exploration sous-marine, et il faut des conditions de travail protectrices.

Mais l’Europe ne laisse-t-elle pas faire cette concurrence intra-européenne débridée, avec les fameux pavillons de complaisance ?

Je crois que c’est l’inverse ! Si nous sommes là aujourd’hui pour parler d’une loi sur le transmanche, ce n’est pas la faute de l’Europe. C’est parce qu’un pays, en l’occurrence le Royaume-Uni, est sorti de l’Europe et a pu se détacher de règles communes. Cela montre que nous avons besoin d’Europe.

Mais il n’y a toujours pas de réelles harmonisations sociales…

Vous avez raison, il n’y a pas de politique sociale harmonisée. Sur le maritime, cela n’a jamais été un sujet de priorité. Mais les choses bougent. Nous portons ce combat au niveau européen. C’est pour cela que nous devons être à l’avant-garde en étant les plus protecteurs. Il faut gouverner par l’exemple et la preuve. Par ailleurs, le sujet du dumping social dans le maritime devra être une des priorités de la prochaine Commission. On ne pourra pas avoir un secteur maritime décarboné en ayant des conditions sociales aussi dégradées. Évidemment, ça sera compliqué. On l’a fait sur le transport routier, on doit le faire sur le maritime.

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