Intelligence artificielle : avec Llama 3, la périlleuse bascule de Meta

Intelligence artificielle : avec Llama 3, la périlleuse bascule de Meta

Ne pas scier la branche sur laquelle il est assis. C’est le dicton que Mark Zuckerberg doit garder en tête à l’heure de sa transformation IA menée tambour battant. Pour Meta qui vient de dévoiler deux nouveaux modèles de langage de la famille Llama 3, cette bascule est à la fois simple et périlleuse. Simple, car à l’inverse de beaucoup de ses concurrents, le géant américain a déjà un modèle économique florissant. Meta ne va pas vendre de l’IA pure, pas évidente à monétiser, il va “augmenter” tous ses produits existants (réseaux sociaux, système publicitaire…) grâce à elle. Il pourra ainsi offrir aux internautes des outils pour faire des textes, des images et des musiques de plus en plus créatives. Aux PME, des IA capables de leur créer en quelques secondes des campagnes de publicité très efficaces.

C’est à coup sûr comme cela que nous consommerons l’intelligence artificielle générative demain : elle ne sera plus séparée de nos outils numériques, mais hybridée à ces derniers. La transition IA est cependant aussi périlleuse pour Meta vu la nature ses produits : des réseaux sociaux et des messageries instantanées. Autant de services centrés sur l’interaction entre humains. Meta a intérêt à procéder avec prudence, lorsqu’il administrera à ses milliards d’utilisateurs son cocktail d’IA.

La manière dont celle-ci va transformer le visage des réseaux sociaux de Meta se devine déjà. Instagram expérimente, par exemple, avec certains influenceurs célèbres un outil d’avatar virtuel qui entretient à leur place la discussion avec leurs vastes communautés d’abonnés. Les influenceurs 100 % artificiels vont également se multiplier. On voit déjà apparaître des faux comptes de jeunes femmes générées par IA – souvent dans des poses suggestives. Et les publications artificielles commencent à se répandre sur les plateformes. Ici, des photos d’enfants tenant fièrement un gâteau censé être leur première réalisation pâtissière, image en réalité générée par IA pour récolter des likes et rendre un compte influent. Là, d’étranges collections d’images de Jésus surréalistes, entièrement composées de crevettes, de bouteilles plastique ou encore de spaghettis. Des publications qui engrangent parfois des dizaines de millions de vues, pointe l’Observatoire d’internet de Stanford, qui a analysé 120 pages postant régulièrement des images de ce type. Si la quantité d’activité artificielle explose, elle pourrait cependant noyer dans la multitude celles des humains authentiques. Avec le risque de lasser, à la longue, les utilisateurs des réseaux de Meta.

WHAT IS HAPPENING ON FACEBOOK pic.twitter.com/6XzTV5eBd3

— Jorge Murillo 💙 (@TheHornetsFury) March 13, 2024

A condition que le groupe de Mark Zuckerberg trouve le bon dosage, ce cocktail d’IA pourrait toutefois lui donner un nouveau souffle. Les formidables capacités de traduction en temps réel des nouvelles IA vont transformer les plateformes sociales en Tour de Babel, où Japonais, Egyptiens, Américains et autres Français n’auront pas besoin d’apprendre leur langue respective pour se comprendre.

Et l’IA est un bon moyen de garder les internautes dans son enceinte en augmentant leur capacité à trouver de l’information directement sur Facebook, Instagram ou WhatsApp. Plus besoin, par exemple, de sortir de ces applications pour chercher une recette de cuisine ou un tutoriel de bricolage. Il suffira demain de demander à l’assistant IA intégré de nous renseigner sur le sujet. C’est précisément ce type de services que propose Meta AI, le nouveau chatbot lancé par le groupe aux Etats-Unis et bientôt dans d’autres pays. “Avec Llama 3 […] l’objectif principal était de faire de Meta AI l’assistant le plus intelligent proposé gratuitement. Car pour l’heure, je ne crois pas que beaucoup de gens dans le monde soient en mesure de dépenser beaucoup pour utiliser ce type d’outils”, souligne Mark Zuckerberg dans une interview à The Verge.

Meta n’a pour le moment dévoilé que la version mini Llama 3 8B (8 milliards de paramètres) et la version medium Llama 3 70B (70 milliards de paramètres). Mais dans les mois à venir, le groupe présentera une version plus puissante de 400 milliards de paramètres. Il doit procéder avec prudence, car si ChatGPT a dépassé les 100 millions d’utilisateurs hebdomadaires en un temps record, Meta lui dispose d’un bassin phénoménal de 3 milliards d’utilisateurs. Un déploiement IA de cette envergure n’a encore “jamais été réalisé, pas même par OpenAI”, indiquait à L’Express la semaine passée, Chris Cox, responsable des produits du géant américain.

Polémique sur la censure des IA

Pour éviter les controverses hautement inflammables, Meta a d’ailleurs beaucoup travaillé ses règles de bonne conduite aux IA. Un dosage extrêmement complexe. Google en a fait l’amère expérience en février, lorsque des internautes ont déclenché une vive polémique autour d’images générées par son IA Gemini. Celle-ci ayant représenté des acteurs historiques (Pères fondateurs américains, soldats allemands nazis…) en leur prêtant de multiples couleurs de peau, certains se sont empressés de soupçonner une aversion de Google à représenter des personnes blanches. L’explication est bien plus rationnelle : les bases d’images génériques sur lesquelles les IA sont entraînées sont très stéréotypées – des hommes sont davantage montrés à certaines fonctions importantes que des femmes, les personnes blanches sont plus fréquemment visibles, etc. Tous les acteurs de l’IA tâtonnent donc pour contrebalancer cela.

Google avait donc expérimenté d’inciter son IA à présenter spontanément des personnes de diverses couleurs de peau face à une demande générique. “Gemini […] n’a pas correctement identifié les cas où cette diversité n’est pas pertinente. De plus, le modèle est devenu trop prudent : il a refusé de répondre à certaines requêtes anodines, les interprétant comme sensibles. Ces deux éléments ont conduit le modèle à avoir un comportement inadapté, générant ainsi des images gênantes et erronées. Nous avons donc pris la décision de suspendre temporairement la génération d’images de personnes, et nous travaillons sur une version améliorée, afin de proposer une fonctionnalité fiable et utile, capable de générer des images précises et conformes aux attentes de nos utilisateurs”, confiait Joëlle Barral, directrice de recherche en IA de Google DeepMind, dans un entretien exclusif donné à L’Express fin février.

Pour ne pas être à son tour accusé de prudence ou de censure excessive, Meta affirme avoir beaucoup travaillé sur les cas où son IA refuse de répondre à des demandes. “Le public, je pense, trouvait [Llama 2] un peu moralisateur, un peu réticent à répondre à certaines demandes. Nous avons donc beaucoup travaillé à réduire ce qu’on appelle les ‘refus infondés’ pour rendre les modèles plus utiles et réactifs”, a confié Nick Clegg, président des affaires internationales chez Meta, au Financial Times.

La prochaine version de Llama 3 est attendue avec impatience par le secteur. Meta a fait des investissements colossaux dans les puces IA de Nvidia, ces fameuses H100 dures à trouver car tout le monde se les arrache. Alors qu’Elon Musk est parvenu à en acheter 15 000 l’an dernier, Zuckerberg a placé la barre très haut en début d’année, annonçant en avoir commandé… 350 000 ! Une quantité record qui donne de bonnes raisons d’espérer l’arrivée de modèles bien plus puissants.

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