Intelligence artificielle : cette start-up prête à s’attaquer au talon d’Achille de l’Europe

Intelligence artificielle : cette start-up prête à s’attaquer au talon d’Achille de l’Europe

Un petit objet fait la pluie et le beau temps dans l’IA. De lui dépend le destin d’une myriade de start-up de l’intelligence artificielle. Son nom ? La H100, la célèbre puce IA de Nvidia que tout le monde s’arrache. Problème, ironisait Elon Musk, ces puces sont “plus dures à trouver que de la drogue”. Une pénurie qui permet de mieux comprendre la curiosité qu’attise la start-up française FlexAI, qui annonce ce 24 avril avoir levé 28,5 millions d’euros, auprès d’Alpha Intelligence Capital (AIC), Elaia Partners, Heartcore Capital et BPI.

Montée par deux anciens de Nvidia, Brijesh Tripathi et Dali Kilani, elle s’attelle à un chantier de taille : la construction d’une” infrastructure IA universelle” en Europe. “L’attente pour obtenir les capacités de calcul se compte en mois. Et ceux qui ne prévoient pas de dépenser des millions de dollars par mois à ce niveau ont du mal à en obtenir tout court. Cela entraîne une vraie crise de croissance du secteur”, explique à L’Express Dali Kilani, cofondateur et CTO de FlexAI.

Lui et son acolyte savent que de nombreuses entreprises ont tenté ces dernières années de développer leur propre puce IA pour ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier. “Ces initiatives n’ont pas généré des revenus mirifiques. Une puce en elle-même ne sert à personne, il faut le software qui va avec, le cloud, l’outil qui va la rendre utilisable”, explique Brijesh Tripathi, le PDG de FlexAI. La start-up fait donc le pari qu’en donnant un accès simple et groupé à ces capacités hétéroclites, la mayonnaise peut prendre. Elle développe une couche logicielle à même d’harmoniser le tout qui agit comme “un intermédiaire entre les développeurs et les infrastructures utilisées pour exécuter leurs tâches”. Une sorte de langage commun qui permettra au client d’utiliser ce dont il a besoin sans s’embarrasser des complexités techniques.

La pyramide de l’IA générative

Ce produit, inspiré des plateformes cloud, sera lancé dans les mois à venir. “Peu d’entreprises ont besoin d’avoir accès à un cluster de 1000 GPU en continu pendant un an. Avoir accès à de la capacité de calcul à la demande est nécessaire sur ce marché”, analyse Dali Kilani. Et comme le duo a travaillé pour les géants du secteur, il n’a eu aucun mal à passer les partenariats adéquats, avec AMD, Intel, Amazon, Google ou encore InstaDeep. “Nvidia en fait également partie bien sûr. Toutes les entreprises n’ont pas besoin de puces aussi puissantes que celles de Nvidia. Mais il serait insensé de ne pas proposer cette option en 2024”, pointe Brijesh Tripathi.

Si leur futur produit tient ses promesses, c’est une bonne nouvelle pour les start-up européennes. Car l’accès à la puissance de calcul est le talon d’Achille de l’UE. Les start-up d’IA générative s’y sont multipliées ces deux dernières années, en particulier en France, au Royaume-Uni et en Allemagne. Et l’Europe dispose d’un vivier de talents très solide dans ce domaine. Si l’on excepte le néerlandais ASML, champion incontesté des machines de haute précision pour fabriquer des puces, l’Europe est cependant mal positionnée dans ce qui constitue la base de la pyramide de l’IA générative.

Comme le pointe un récent rapport de France Digitale, le secteur est constitué de quatre couches : les puces puis l’infrastructure (centres de données, etc.) sur lesquelles s’ajoutent les modèles de fondation et, enfin, les applications IA. Et si l’UE s’en tire plutôt bien dans les deux dernières, dans le domaine des puces, la situation est alarmante. La majorité des poids lourds sont américains : AMD, Intel et bien sûr Nvidia qui se taille la part du lion dans le marché des processeurs graphiques (GPU), très efficaces pour entraîner l’IA générative. Et si la Chine souffre des restrictions américaines dans ce domaine, elle met les bouchées doubles pour rattraper son retard. Elle domine par ailleurs nettement le marché de nombreuses matières premières nécessaires à la fabrication des puces (silicium, germanium, gallium, terres rares).

Les vendeurs de pelles et de pioches de l’IA

En matière d’infrastructures (data center, services de distribution…), la situation n’est guère meilleure. Les Etats-Unis disposent de géants du cloud (Amazon, Google, Microsoft). La Chine aussi (Alibaba, Tencent…). L’Europe n’a aucun acteur d’envergure comparable. Ces facteurs peuvent ralentir le développement de start-up IA européennes. “Et si les modèles de fondation d’OpenAI ou de Mistral captent l’attention du public, c’est en réalité dans les puces et l’infrastructure que réside la plus grande valeur économique”, pointe Marianne Tordeux Bitker, directrice des affaires publiques de France Digitale. Dans cette ruée vers l’or, ce sont finalement les fabricants de pelles et de pioches qui se taillent la plus belle part du gâteau.

L’Europe doit se renforcer sur ce sujet. Le domaine est si complexe qu’il faut néanmoins s’y lancer intelligemment. L’ouverture d’usines dernier cri peut coûter des dizaines de milliards de dollars et prend souvent des années. TSMC, qui a pourtant une longue expérience du sujet, devrait mettre trois ans à ouvrir son usine en Arizona. La main-d’œuvre experte nécessaire au fonctionnement de ces sites n’est pas non plus simple à trouver. Les acteurs installés ont enfin pour eux leurs milliers de brevets dans le domaine.

Les doux rêveurs qui appellent à ce que les pouvoirs publics orchestrent depuis les cieux la création d’un “Nvidia européen” font donc erreur sur le sujet. “Vu la vitesse à laquelle les acteurs en place innovent, le risque est grand en procédant de cette manière qu’un chantier de ce type accouche de puces obsolètes lorsqu’elles seront prêtes. Et que cela coûte un argent monstre. Même si le résultat est de bonne qualité, il faut aussi lui trouver des débouchés commerciaux suffisamment vastes pour que l’équation économique tienne. Or des pays comme les Etats-Unis privilégieront sans doute leurs acteurs locaux”, confie un bon connaisseur de l’écosystème tech français.

La stratégie de FlexAI, qui attaque le marché par une tout autre façade, en se plaçant sur un créneau inexploité pour le moment, est intéressante à cet égard. Pour les deux fondateurs, dans le domaine des puces et de l’infrastructure, “l’Europe doit se placer sur la prochaine vague, plutôt que d’essayer de mener la bataille d’hier”. Pour que l’UE rattrape son retard dans ce domaine, il lui faut également investir significativement dedans. Rien qu’en France, le comité sur l’IA générative coprésidé par l’économiste Philippe Aghion et la présidente du conseil d’administration de l’ENS Anne Bouverot, préconise d’investir plus de 7 milliards d’euros dans les cinq prochaines années pour accélérer l’émergence d’une filière européenne de composants semi-conducteurs adaptés aux systèmes d’IA. Et pour faire bonne mesure, un milliard de plus pour faire de la France et de l’Europe un pôle majeur de la puissance de calcul.

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