Iran : la politique contradictoire des mollahs, par Frédéric Encel

Iran : la politique contradictoire des mollahs, par Frédéric Encel

La République islamique d’Iran incarne parfaitement ce qu’on pourrait appeler un ogni, un objet géopolitique non identifié. Instauré en 1979 sur les ruines de l’empire dynastique du nationaliste pro-occidental shah d’Iran, Reza Pahlavi, par un dignitaire religieux, l’ayatollah Ruhollah Khomeini, ce régime en principe théocratique présente une politique apparemment contradictoire.

A l’intérieur, comme souvent dans les dictatures fanatiques, c’est contre les civils, les femmes et les minorités en particulier, que s’abat la violence d’Etat. Misogyne et phallocrate au dernier degré, la République islamique fait peser sur la moitié de la population une chape moraliste et viriliste insupportable pour des millions de femmes, en pratiquant une hideuse politique de viols et d’assassinats, qui ne sont même plus déguisés. A la manœuvre, les Gardiens de la révolution et la police des mœurs, bras armé littéralement fascisant du régime ; le courageux mouvement “Femme, vie, liberté”, bien que réprimé dans le sang depuis de longs mois, ne s’éteint pas, tout comme progresse la défiance religieuse et sociétale à l’encontre d’un régime d’un autre âge. Les femmes (comme les homosexuels), assoiffées de liberté et de droits égaux devant le respect et les lois, ne sont pas les seules à subir les foudres de Téhéran ; militants culturels kurdes, azéris, baloutches et arabes, mais aussi Perses de souche adeptes du sunnisme – un culte pas même reconnu en Iran ! – sont soumis à surveillance, entraves, voire exactions et meurtres. L’Iran détient ainsi le triste record du monde en termes d’exécutions capitales en 2023, et il ne s’agit là que des officielles et non les assassinats extrajudiciaires maquillés en accidents…

Guerre par procuration

Mais à l’extérieur, cette violence d’Etat s’avère plus… mesurée face à des armées redoutables. Autant est-il facile de martyriser des jeunes femmes dans de sordides prisons, autant jouter à la loyale contre les armées israélienne ou pakistanaise semble plus compliqué… De fait, le régime fait faire la guerre par les autres, mais ne la pratique pas lui-même. Depuis son avènement en 1979, malgré une vulgate antisioniste pluriquotidienne entretenue ad nauseam avec menaces hystériques sur le “petit Satan” et mises à feu de drapeaux israéliens (qui font ricaner une grande partie de la jeunesse), jamais le moindre corps de troupe ni le moindre missile n’ont frappé le sol israélien en provenance d’Iran ! Des virus dans le cyberespace de l’Etat hébreu ? Certes, mais cela suffit d’autant moins à qualifier cette pratique (désormais très courante) de “guerre” qu’elle se révèle très inefficace.

Elargissons le spectre : en Irak, face à Daech ou à d’autres milices sunnites anti-iraniennes, au Liban bien sûr avec le Hezbollah, en Syrie en soutien d’Assad, au Yémen auprès des Houthis à présent, les cadres militaires iraniens livrent, forment, encadrent parfois, mais ne se battent que très occasionnellement ; la chair à canon et les cibles des rétorsions coûteuses, ce sont les autres… Au cours de la décennie de guerre en Syrie (un demi-million de tués), le Hezbollah inféodé à Téhéran a ainsi perdu plusieurs milliers de combattants, les Iraniens quelques dizaines seulement !

Prudence iranienne

Cela dit, face à Israël depuis le massacre du 7 octobre 2023, l’exercice atteint ses limites. Car, dès les jours suivant la tuerie (dont se réjouit Téhéran tout en affirmant n’y être pour rien !) et le début de la riposte de Tsahal, le Hezbollah enclenche une guerre de basse intensité, propulsant obus, roquettes et missiles sur la Haute Galilée. A l’évidence, la milice inféodée à l’Iran obéit ainsi à son créateur et maître, volant au secours du Hamas en ouvrant un second front, mais pas assez puissamment – croît-elle – pour risquer de s’attirer les foudres des bombardiers israéliens. Or cette fois, face à une opinion traumatisée et à un état-major en quête vitale de réappropriation d’une crédibilité dissuasive, le gouvernement hébreu porte des coups très durs à l’ennemi, non plus seulement sur le Hezbollah mais les hauts gradés et matériels iraniens ; c’est ainsi qu’il faut comprendre l’attaque du consulat iranien à Damas ayant récemment abattu une sommité militaire, Mohammad Zahedi, et plusieurs autres responsables. A l’heure où s’inscrivent ces lignes, Téhéran n’a pas plus réagi que lorsque les Etats-Unis avaient abattu le général Ghassem Soleimani en 2020 ; la République islamique est dirigée par des fanatiques, pas par des imbéciles ignorants des rapports de force…

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