IVG : comment la Constitution est devenue un objet politique

IVG : comment la Constitution est devenue un objet politique

Qu’est-ce qu’une Constitution ? Le texte qui organise le fonctionnement des institutions, répondrait avec application un étudiant en droit. Définition juste, mais incomplète. Elle ne rend pas compte de l’évolution de notre norme fondamentale, actrice du débat politique. Pour certains, elle est un coffre-fort de droits individuels, indispensable bouclier contre les abus du législateur. Pour d’autres, un frein à l’action publique en raison de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Vigie ou obstacle. Parfois les deux. Dis-moi comment tu parles du texte suprême, je te dirai qui tu es.

La Constitution est louée ce lundi 4 mars comme gardienne, à l’occasion de la réunion du Congrès à Versailles pour y inscrire la “liberté” de recourir l’interruption volontaire de grossesse (IVG). L’opportunité de cette réforme a divisé la classe politique. Le président LR du Sénat Gérard Larcher y est hostile, jugeant que la Constitution n’est pas un “catalogue de droits sociaux et sociétaux”. A droite, on déplore parfois un désir de coller à l’air du temps. D’utiliser la révision constitutionnelle comme outil de communication politique. Les partisans de la réforme louent en revanche sa valeur symbolique et un verrou supplémentaire pour protéger un droit menacé à l’étranger. “La Constitution est un objet politique qui construit la figure du citoyen, défend le professeur de droit Constitutionnel Dominique Rousseau. Ce dernier bâtit son identité en y intégrant des droits.”

“Deux philosophies possibles”

Rien de nouveau. La Constitution doit-elle être le réceptacle de nouveaux droits ? Doit-elle épouser l’époque ? Ce débat a précédé l’élection d’Emmanuel Macron. Il lui survivra. “Il y a deux philosophies possibles, note l’ancien président de la République François Hollande. Considérer que la Constitution est tellement solennelle qu’il ne faut pas y toucher. Ou la réviser régulièrement au nom des évolutions de la société.” Simone Veil appartenait à la première école. En 2008, un comité présidé par l’ancienne ministre de la Santé n’a pas jugé utile d’ajouter de nouveaux droits au préambule de la Constitution. Son rapport juge qu’une réforme de ce texte ne peut qu’être mise en œuvre “dans un certain consensus national”. “La règle constitutionnelle suppose une sorte d’accord sur l’essentiel”, écrivent les auteurs. Manière d’ôter toute charge passionnelle et politique à notre norme fondamentale.

Jacques Chirac se rangeait, lui, dans la seconde catégorie. Egalité hommes-femmes, charte de l’environnement, interdiction de la peine de mort… L’ancien président a multiplié les révisions, s’imprégnant de l’ambiance politique du moment. Cette approche semble prendre l’ascendant, sous pression de l’opinion publique. De nombreux sénateurs LR se sont résignés à accepter l’inscription de l’IVG dans la Constitution, par crainte d’être taxés de réactionnaires. Avant de nouveaux droits ? D’autres principes frappent à la porte. “Dignité de la personne humaine”, “bien commun”, “droit à l’eau”, “droit de propriété”… Plusieurs propositions de loi constitutionnelle (PPLC) ont été déposées ces dernières années. Lors de l’examen du projet de loi constitutionnelle sur l’environnement, les socialistes ont souhaité renforcer le droit à la retraite et à l’assurance chômage en prohibant toute “régression des droits des assurés.”

Paradoxe français

Ces initiatives illustrent la charge symbolique de la Constitution. Elles renforcent aussi le Conseil constitutionnel, gardien du texte. “Plus on met d’éléments dans sa boîte à outils, plus on renforce son pouvoir”, analyse Bertrand Mathieu, professeur de droit constitutionnel à Paris I Panthéon-Sorbonne. Le législateur le sait et joue avec la Constitution pour avancer ses pions. En 2022, les députés écologistes ont déposé une PPLC visant à garantir le “droit à la vie digne”, pour renforcer notamment le droit au logement. Le sénateur LR Stéphane Le Rudulier a lui défendu l’inscription du “droit à la propriété”, après la censure d’un article de la loi “anti-squat”. Une bataille idéologique se joue derrière l’inscription de chaque droit.

Là réside un paradoxe. Ce mouvement s’accompagne d’une contestation croissante du juge constitutionnel, accusé de brider l’action du législateur. La critique est ancienne. En 1982, la gauche se déchaînait contre le Conseil constitutionnel, après la censure partielle de la loi de nationalisation. Cette animosité s’est progressivement déportée à droite. Les Républicains soupçonnent le juge suprême de faire prévaloir les droits individuels sur l’intérêt général. De nourrir la méfiance envers le politique en le condamnant à l’impuissance. Laurent Wauquiez place cette critique au cœur de son discours politique. Le candidat putatif à la présidentielle 2027 a ainsi qualifié la censure partielle de texte immigration de “coup d’État de droit”… lui qui a voté en 2005 l’intégration dans la Constitution de la charte de l’environnement. Ce jugement porte certes davantage sur le juge constitutionnel que sur notre texte suprême. Mais il l’affecte par effet collatéral.

Instrumentalisation politique

La Constitution est ici un obstacle. Elle entrave, mais ne protège pas. Les révisions envisagées du texte servent moins à la renforcer qu’à contourner son gardien. Ainsi, la PPLC défendue par LR cet automne visait à y introduire des quotas migratoires pour éviter une censure d’une loi au nom du droit au regroupement familial. Dès 2016, Nicolas Sarkozy dénonçait les “arguties” de l’exécutif pour ne pas modifier la Constitution après la vague d’attentats terroristes. Oubliant qu’il avait lui-même créé en 2008 la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pour permettre à chaque citoyen de contester la conformité d’une loi à la norme fondamentale. Voilà la Constitution à la carte, qu’on modèle à sa guise. “Tout cela est schizophrénique, déplore Bertrand Mathieu. Des politiques font une sorte de ‘lit de justice’ pour surmonter une décision du Conseil constitutionnel, et en même temps lui donnent plus de pouvoir.”

La Constitution est un objet politique autonome. Parfois un acteur. Le texte s’est invité dans le poker menteur joué par l’exécutif lors du texte immigration. Le gouvernement a multiplié les concessions à la droite, priant pour que les Sages viennent à son secours et balaient ces dispositions. Ce qui s’est produit. Un tiers du texte a été censuré au prix d’une conception extensive des cavaliers législatifs. “Les politiques ont pris en otage le Conseil constitutionnel, raille Bertrand Mathieu. Il a écarté l’obstacle en se fondant sur la procédure. C’est revenu en boomerang chez les politiques qui voient leur droit d’amendement considérablement encadré.” A trop jouer avec un texte, tout le monde finit par se brûler.

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