“J’ai souffert le martyre” : mutilées après la pose d’implants vaginaux, elles témoignent

“J’ai souffert le martyre” : mutilées après la pose d’implants vaginaux, elles témoignent

Sur le papier, l’idée paraissait séduisante. Pour traiter l’incontinence urinaire et le prolapsus (descente d’organes), des pathologies relativement fréquentes chez les femmes, des chirurgiens ont développé de fins et longs filets de polypropylène pour soutenir les organes. Mais la machine s’est emballée : ces dispositifs, loin d’être anodins, ont été posés à la pelle dans notre pays comme à l’étranger, souvent sans information des complications possibles, ni recherche de solutions alternatives. Les risques, pourtant, sont apparus rapidement : troubles urinaires et infections à répétition, perforation des organes ou des tissus, douleurs chroniques invalidantes.

Après des années d’errance médicale, souvent confrontées au déni ou à la méconnaissance de nombreux médecins, les victimes s’organisent, montent des collectifs, racontent leurs souffrances. Des plaintes ont été déposées, devant la justice et l’ordre des médecins. Mais pour comprendre à quel point elles ont été maltraitées, il faut écouter ces femmes. Pour nombre d’entre elles, la pose de ces bandelettes a été une véritable mutilation, avec un retentissement lourd sur leur vie quotidienne. Sur les groupes Facebook, près de 1000 d’entre elles partagent déjà leurs difficultés, et de nouvelles victimes les rejoignent tous les jours ou presque. Leurs témoignages poignants permettent de mieux comprendre l’enfer dans lequel la médecine les a plongées et, bien souvent, le mépris avec lequel elles ont été traitées. Six d’entre elles ont accepté que nous les reproduisions ci-dessous, en préservant leur anonymat.

“Mon urologue ne m’a pas crue et m’a traitée de’chochotte'”

J’ai eu une bandelette pour fuites urinaires en 2013. J’ai tout de suite eu des douleurs et une grande difficulté à uriner. J’ai vu mon urologue qui ne m’a pas crue et quasiment virée de son cabinet en disant que j’étais une “chochotte” et que son travail était irréprochable. Ne pouvant plus tenir avec les douleurs et l’incapacité à uriner, j’ai vu un autre urologue : il m’a dit que la bandelette était trop serrée et faisait garrot sur l’urètre. Il a donc sectionné la bandelette car il ne pouvait pas l’enlever, elle était rentrée dans les chairs.

Depuis, j’ai toujours énormément de douleurs. Souvent des infections ou des mycoses. J’ai fait tous les examens possibles sans résultat, donc les médecins me laissent tomber. Cerise sur le gâteau, les relations sexuelles sont devenues impossibles. Je viens de voir un autre gynécologue qui confirme que la bandelette dépasse des chairs dans le vagin et crée des saignements et une forte inflammation. Suite aux conseils d’une membre du groupe Facebook, j’ai pris rendez-vous avec un urologue qui prend des patientes avec ce genre de complication.

“J’ai dû quitter mon travail, c’était trop difficile physiquement et moralement…”

J’ai 38 ans et j’ai subi une opération il y a presque trois ans : hystérectomie subtotale pour prolapsus stade 3 et promontofixation (le chirurgien a utilisé la prothèse bandelette pour remonter ma vessie, redresser le colon et l’a fixée à un os appelé promontoire). J’ai accepté un suivi d’étude de dix ans avec une équipe de l’Inserm mais personne ne m’a jamais recontactée…

Ma vie depuis est un calvaire : envie de faire pipi toutes les cinq minutes, difficultés pour les selles. Dès que je force un peu je saigne, et je suis limite en PLS [NDLR : position latérale de sécurité] pour la douleur. Les rapports sexuels sont très très douloureux. J’ai des douleurs dans la cuisse, la jambe : cela me lance des décharges, j’ai des douleurs dans le bassin et le dos… Je fais souvent des cures de médicaments anti-inflammatoires et je prends des antidouleurs quotidiennement.

J’ai dû quitter mon travail, c’était trop difficile physiquement et moralement. Mon médecin généraliste ne comprend pas ce qui m’arrive. Je n’ai pas consulté de spécialiste car je ne sais pas vers qui me tourner.

“Je regrette tellement d’avoir cru ce grand médecin. Il m’a ouvert les portes de l’enfer”

A mon tour de vous raconter mon histoire qui malheureusement ressemble à beaucoup d’autres. J’ai été opérée par un gynécologue très réputé en mars 2016 pour une hystérectomie (ablation de l’utérus). J’avais 53 ans. C’était la première fois que je le rencontrais, pour des problèmes de douleurs pelviennes. Il me demande dans la conversation si j’ai des fuites urinaires. Je lui réponds non, mais une fois rentrée chez moi, après réflexion, je me dis que oui, finalement j’ai quelques fuites en courant ou en toussant. Je le rappelle et il me propose la pose d’une bandelette, en me disant que cela m’éviterait une autre intervention plus tard.

Le rendez-vous est pris sans aucun examen préalable ni contre visite ! Dès le réveil, impossible d’uriner. Mon séjour à l’hôpital est prolongé de vingt-quatre heures. Je rentre chez moi avec un débit millimétrique et vite les infections urinaires arrivent. J’évoque mon problème à la consultation postopératoire, mais il me confie à un confrère urologue en me disant que ce n’était pas de son ressort… Ce confrère s’est alors acharné alors sur moi, essayant différentes thérapies, mais sans jamais remettre en cause la bandelette.

Au bout de trois mois, sur les conseils de mon médecin qui me voit dans un état de santé déplorable, je consulte un nouvel urologue. Il me fait passer un bilan urodynamique où j’ai failli mourir de douleur. Impossible d’uriner, une vessie gonflée à bloc. Conclusion : une bandelette trop serrée. Il accepte de la couper mais assure ne rien pouvoir faire de plus. Encore des mois d’infections urinaires. Puis, à partir de 2018, des douleurs neuropathiques apparaissent, qui conduiront à une opération du nerf pudendal et une multitude de soins, de gestes, d’injections, sans résultat et avec des douleurs croissantes au niveau du sacrum, de la jambe, de la fesse, en position assise, couchée, à la marche.

Entre-temps, j’ai été placée en invalidité, j’ai divorcé… J’ai attaqué le gynécologue devant la commission de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux de mon département. J’ai été convoquée pour deux expertises, dont la dernière très violente psychologiquement. J’étais seule face à ce praticien, son avocate et un autre médecin assistant. Je me suis battue et malgré un rapport d’expertise rempli d’erreurs, le défaut d’information a été retenu. Il aurait ensuite fallu que je fasse une procédure en justice, mais c’était financièrement beaucoup trop lourd.

J’aurais pu vous écrire des pages et des pages concernant tous les soins que j’ai tentés et l’argent que j’ai dépensé. Je regrette tellement d’avoir cru ce grand médecin qui m’a vendu une opération soi-disant bénigne et qui était en fait la porte de l’enfer. Plus de travail, plus de sport, plus de mari…

“Des douleurs très fortes dans le dos, le ventre, les jambes”

J’ai été opérée le 28 janvier 2015 pour une ablation de l’utérus à la suite d’une descente d’organes, et une pose de bandelettes. Dès la sortie du bloc, j’ai senti que quelque chose n’allait pas. J’urinais par petites gouttes et je ne pouvais plus retenir mes urines en cas de grosse envie. Le gynéco qui m’a opéré m’a dit qu’il fallait attendre.

Seulement trois mois après, toujours aucun résultat. Et quand j’ai voulu reprendre rendez-vous, le gynécologue était parti à la retraite sans rien me dire. J’étais complètement perdue. J’ai consulté un urologue qui a voulu me poser un pacemaker vésical que j’ai refusé. Au vu de mon refus, il m’a dit texto : “Quand vous en aurez marre de pisser, vous reviendrez me voir.” J’ai été choquée de telles paroles de la part d’un médecin.

J’ai consulté un nouvel urologue. Il m’a confirmé que ma bandelette était mal posée. Très peu de temps après, ma jambe gauche a commencé à se paralyser, comme si elle était anesthésiée. J’ai été arrêtée un an. Et puis la Sécurité sociale a exigé que je reprenne le travail. J’ai fait appel de la décision mais j’ai perdu et je n’ai pas eu le choix, il a fallu que je retravaille. Je suis assistante maternelle, et avec les douleurs, je peux vous assurer que cela n’a pas été facile tous les jours.

Et puis, voilà que neuf ans plus tard, rebelote, nouvelle descente d’organes (vessie et rectum). J’ai été de nouveau opérée le 9 novembre 2023, avec une double promontofixation. Dès la sortie du bloc, j’ai souffert le martyre. Des douleurs atroces dans le dos. Je suis toujours en arrêt maladie car j’ai des douleurs très fortes dans le ventre, le dos et les jambes. Je ne me sens plus capable de m’occuper d’enfants. Et là, mon médecin traitant ne veut plus prolonger mon arrêt. Mais porter les enfants, pousser la poussette double, dans mon état, c’est impossible. Je dois revoir mon urologue, mais si lui aussi refuse les arrêts maladies, quels recours aurai-je ?

“Je me retrouve avec des couches”

On m’a mis deux bandelettes urinaires car j’avais des fuites. Cela a fonctionné pendant quelques mois puis ces dernières ont perforé mon urètre. Par la suite, l’urologue m’a proposé un sphincter artificiel, qui malheureusement n’a pas fonctionné. Je n’arrivais plus à uriner correctement, et on m’a ensuite proposé l’autosondage car je faisais des globes urinaires (impossibilité d’uriner).

Ensuite, on m’a proposé une ablation de ce sphincter artificiel que j’ai retiré en juin 2023. J’ai eu des complications deux jours après cette intervention, avec un abcès à la paroi abdominale, je suis restée deux semaines hospitalisée. J’ai demandé un deuxième avis auprès d’un urologue. Il m’a prescrit une endoscopie, qui a révélé la présence de résidus de bandelettes urinaires. J’ai donc dû repasser une nouvelle fois au bloc pour les faire retirer, et j’ai eu de nouvelles complications (fièvre, germes). Aujourd’hui, j’ai toujours des fuites urinaires, et je me retrouve avec des couches…

“La bandelette, infectée, sort de mon urètre”

En 2013, j’ai eu une hystérectomie puis des fuites et l’année suivante, on m’a proposé la fameuse bandelette. Un mois après, me plaignant de ne pas pouvoir uriner sans forcer, le chirurgien, agacé de ce ratage, coupe la bandelette. Tout se passe correctement pendant sept ans, mais un jour, je me retrouve avec des pertes de sang. Impossible pourtant, sans utérus ! J’enchaîne plusieurs infections incompréhensibles. Je laisse traîner, cela recommence six mois plus tard. Je consulte un gynécologue car je ressens quelque chose de dur sous le méat urinaire (orifice de l’urètre) et du sang à l’essuyage sur le papier. Il me dit que ce n’est rien. J’y retourne quatre fois en deux ans, toujours pour la même chose. Il me dit que c’est un mystère, me donne des ovules, et c’est tout. Merci madame, 60 euros. Je ressens des décharges électriques dans mon urètre.

Je finis par en parler à mon médecin traitant, ma superhéroïne. Elle s’étonne et finit par regarder elle-même. Enfin quelqu’un me croit ! Et là, stupeur, il y a un morceau de plastique dans mon urètre. Elle le voit à l’œil nu, à la simple lumière de son smartphone. Le gynécologue, lui, n’a rien vu pendant trois ans… Je me presse de le revoir en urgence avec une lettre de mon médecin traitant. Il ne dit pas un mot, ne s’excuse pas non plus… mais semble bien recouvrer subitement la vue en regardant là où il faut. Il m’adresse à une spécialiste. Verdict, bandelette infectée qui sort de mon méat urinaire : mon urètre est perforé de part et d’autre. Elle propose une intervention de retrait partiel jusqu’aux obturateurs, aidée d’un confrère. Selon elle, c’est inutile de retirer la totalité, car l’infection ne devrait pas aller au-delà. Pourtant, je m’interroge. J’ai mal au ventre, une infection qui me ronge, du pus qui s’écoule, envie de crier. Nous, les femmes, on crie en silence, mais le scandale des bandelettes, lui, gronde.

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