Jean-Pierre Bellon : “Arrêtons de fermer les yeux sur les problèmes de discipline à l’école”

Jean-Pierre Bellon : “Arrêtons de fermer les yeux sur les problèmes de discipline à l’école”

Et revoilà l’école, une nouvelle fois, en première ligne. Après la disparition de Shemseddine, cet élève de 15 ans battu à mort par d’autres jeunes à Viry-Châtillon dans l’Essonne et l’attaque dont a été victime Samara, 13 ans, rouée de coups à Montpellier, tous les regards se tournent vers l’institution scolaire bousculée par cette montée de la violence ou, tout du moins, par d’importants problèmes de discipline. Création d’une équipe mobile de sécurité nationale, instauration de conseils de discipline dès le primaire, déploiement de surveillants aux abords des établissements, obligation de laisser son portable dans des casiers dédiés à l’entrée… Ces derniers jours, le gouvernement a annoncé plusieurs mesures pour tenter d’apaiser le climat scolaire. “Les professeurs, comme les médecins, les urgentistes ou les pompiers, sont contraints de prendre de plein fouet tous les maux de la société. Ils doivent faire face à des comportements, des propos, des attitudes qui jadis étaient moins fréquents”, explique Jean-Pierre Bellon, Directeur du centre de ressources et d’études systémiques contre les intimidations scolaires. Cet ancien professeur de philosophie signe un livre, Renouer avec l’autorité à l’école : dix mesures immédiates (éd. ESF Sciences humaines), à paraître le 16 mai prochain. Ouvrage dans lequel il propose, à son tour, plusieurs pistes à suivre. Entretien.

L’Express : Le dernier rapport international Pisa montre que la France obtient de très mauvais résultats sur le plan du climat scolaire. Pour quelles raisons ?

Jean-Pierre Bellon : Effectivement, aujourd’hui un lycéen sur deux affirme qu’il y a trop de bruit dans sa classe et qu’il ne peut entendre correctement ce que dit le professeur. Au fil des années, nous nous sommes accoutumés aux bavardages et au manque de discipline qui règnent dans nos établissements scolaires. Et ce dans une indifférence totale. Beaucoup de professeurs peinent à exercer correctement leurs missions, s’épuisent et échouent à tenter de créer les conditions nécessaires pour faire cours dans le calme mais cette situation ne semble émouvoir personne. Il est temps d’arrêter de penser que ces derniers sont responsables de ce désordre et de mettre en place une série de dispositifs à commencer par une réforme du système de sanctions.

Justement, le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé sa volonté de créer des conseils de discipline dès le primaire. Une piste intéressante selon vous ?

S’il s’agit d’appliquer dans le primaire ce qui ne fonctionne pas dans le secondaire, cela ne sert à rien. Les conseils de discipline, organisés au collège ou au lycée, s’apparentent à des structures pléthoriques dans lesquelles siègent aussi bien les représentants de professeurs, de parents et d’élèves. Cette diversité d’intervenants n’aide pas à la prise de décisions et a tendance à tout paralyser. Voilà pourquoi l’une des dix propositions que je formule dans mon livre consiste à créer des commissions de suivi et de traitement des infractions chargées de sommer les élèves concernés de rendre des comptes sur certains de leurs propos ou de leurs actes.

Ce qui n’est pas suffisamment le cas aujourd’hui dans le second degré ?

Une étude a démontré qu’en France, la moitié des élèves écopent d’une ou plusieurs colles en cours d’année, alors qu’en Angleterre et en Espagne ce résultat est divisé par deux. Malgré tout, on voit que ça ne fonctionne pas. Le problème est que nous sommes confrontés aujourd’hui à un double système : le professeur, selon son degré de patience ou sa propre évaluation de la situation, a la possibilité d’administrer lui-même une punition à un élève qui commet une infraction. Mais il peut aussi s’en remettre au chef d’établissement qui, à ce moment-là, déterminera lui-même la sanction. Ce mode de fonctionnement peu lisible peut engendrer un sentiment d’injustice chez les élèves. Voilà pourquoi il faut tout revoir en commençant par créer une liste d’infractions clairement établies. A l’enseignant ensuite de signaler les attitudes qui n’ont pas leur place à l’école. Et enfin, à cette fameuse commission de suivi des infractions de prendre le relais en appliquant elle-même des sanctions.

Ne faut-il pas agir dès les petites classes, bien avant l’entrée en 6ème ?

Bien sûr. Même si les dispositions prises au collège et au lycée sont loin d’être optimales, elles ont au moins le mérite d’exister. Alors qu’au niveau du primaire, c’est le flou absolu : que peut faire un professeur face à un élève insolent, turbulent voire menaçant ? Quel recours a-t-il sachant qu’il n’y a pas de vie scolaire, donc pas de surveillants dans les écoles ? Les enseignants se débrouillent, envoient parfois l’élève chez leur collègue, dans une autre classe, mais ce n’est pas la solution. Il faudrait que toutes les écoles puissent s’appuyer sur au moins un surveillant. Or nous n’en prenons pas le chemin puisque mille postes d’assistants d’éducation ont récemment été supprimés.

“Revaloriser la fonction d’assistant d’éducation”

La ministre de l’Education nationale Nicole Belloubet propose d’obliger les élèves à laisser leurs portables dans des casiers à l’entrée des établissements. Qu’en pensez-vous ?

Cette mesure me paraît urgente et indispensable. Dès la rentrée 2017, le ministre d’alors Jean-Michel Blanquer avait pris la décision d’interdire le téléphone portable au collège. Le problème est que cela n’est pas allé plus loin et que l’on est resté à la moitié du chemin. Dans le texte actuel du code de l’éducation, la possibilité de recourir à des casiers dans lesquels les élèves laisseraient leurs smartphones est qualifiée de “piste intéressante”. Or, à mon sens, le rôle d’un ministre n’est pas de donner des pistes mais de faire appliquer des mesures précises. Si le téléphone est interdit sur le papier, il est toujours présent dans la poche des élèves qui n’hésitent pas à le sortir et à le regarder dès que le professeur a le dos tourné. Or il est primordial que les adolescents quittent le monde des réseaux sociaux dès qu’ils passent le portail de l’école pour éviter le parasitage des écrans.

La création d’une équipe mobile de sécurité nationale, composée de chefs d’établissement, de psychologues ou d’inspecteurs, et dépêchée sur place en cas d’urgence, a également été annoncée…

Pourquoi pas mais, en ce qui me concerne, j’irais un peu plus loin en dotant les établissements à risque de personnels de sécurité au sein et à l’extérieur des locaux pour en surveiller les abords. Je ne parle pas de faire entrer la police dans l’école mais juste de mettre les moyens nécessaires pour protéger les élèves et le personnel. On l’applique bien dans les supermarchés, pourquoi pas dans les écoles ? Contrairement à ce qu’on peut parfois entendre, cette proposition n’a rien de réactionnaire. Elle est d’autant plus nécessaire que le nombre d’agressions ou de menaces envers les directeurs d’école a fortement augmenté ces dernières années, notamment à cause de parents d’élèves parfois très virulents. De la même façon, il faut réussir à dépasser cet éternel débat sur les caméras de surveillance. Dans de nombreux pays européens, vous avez un système de vidéo dans les couloirs ou dans les salles de classe et personne ne s’en émeut. Je ne vois pas le problème à partir du moment où cela se fait dans le respect du droit des personnes et que les images sont visionnées uniquement en cas d’incident, exactement comme cela se fait dans les transports publics.

Les AED ou assistants d’éducation sont-ils aptes, comme le suggère le gouvernement, à surveiller eux-mêmes les abords des collèges ?

Non ce n’est pas leur rôle. En revanche, leur présence au sein des établissements est très importante. L’ancien système mis en place sous le Front Populaire par le ministre Jean Zay était bien plus performant que celui d’aujourd’hui. Ceux qu’on appelait alors les maîtres d’internats ou les surveillants d’externats étaient recrutés majoritairement parmi les futurs enseignants. C’était une sorte de voie de passage obligatoire pour devenir professeur. Il y a 20 ans, le ministre Luc Ferry a pris la décision de supprimer ce corps qui a été remplacé par des professionnels moins bien payés, dotés d’un statut beaucoup plus précaire et qui ne sont pas forcément voués à l’enseignement. Il est urgent de réformer et de revaloriser le statut des AED.

N’a-t-on pas eu tendance à trop fermer les yeux durant toutes ces années ?

Oui, on ferme les yeux, on laisse faire en se disant que la situation finira par s’arranger toute seule. Moi qui organise des formations dans les établissements scolaires un peu partout en France, je peux vous dire qu’il suffit souvent de traverser la cour de récréation pour assister à des tas d’incidents qui ne devraient pas s’y produire. L’autre jour, depuis la salle du deuxième étage d’un collège dans lequel j’intervenais, j’ai observé un groupe de garçons qui a passé le quart d’heure entier de la récréation à se taper dessus – l’un prenait d’ailleurs plus que les autres – jusqu’à ce que la sonnerie ne retentisse. Je vous laisse imaginer combien de temps le professeur a dû prendre pour rétablir l’ordre ! On pense souvent à tort que la cour est un espace de socialisation dans lequel tout se passe bien, or c’est un lieu de tensions et de conflits invraisemblables où tout se déroule en dehors du regard des adultes. C’est bien tout ce système qu’il nous faut revoir.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *