JO 2024 : Paris cache ses pauvres, ses migrants et ses mineurs isolés, par Abnousse Shalmani

JO 2024 : Paris cache ses pauvres, ses migrants et ses mineurs isolés, par Abnousse Shalmani

A l’approche des Jeux olympiques, les démocraties se mettent cruellement à ressembler aux dictatures. S’il est pertinent de faire peau neuve, de sortir l’argenterie, de faire reluire la table, de se présenter sous ses meilleurs atours quand on reçoit, ça coince pourtant quand on planque les cousins et les enfants à problèmes, qu’on ment sur la réalité de son emploi – on se présente comme gérant d’une boutique alors qu’on en est le manutentionnaire. Ce n’est pas bien grave, vous allez me dire. Cela peut même être touchant, mais c’est souvent brutal. Je me souviens encore, adolescente, d’une visite de ma famille exilée aux Etats-Unis, à qui ma famille exilée à Paris avait menti en disant que mes parents et moi habitions en province : ils voulaient nous cacher, par honte, par snobisme, par volonté de maintenir l’illusion que nous étions encore une grande famille de Téhéran.

A l’échelle d’une ville, c’est beaucoup plus violent. C’est ainsi que, comme à Pékin en 2008 ou à Rio de Janeiro en 2016, Paris cache ses pauvres, ses migrants, ses mineurs isolés drogués du Trocadéro. Que vont faire l’Etat et la Ville de Paris des rats et des souris qui pullulent ? Vont-ils être déplacés à Nice ? Le mystère reste entier.

“Orléans n’a pas vocation à accueillir la colline du crack de Paris” : la formule est forte, elle est du maire d’Orléans, Serge Grouard, qui a tenu une conférence de presse pour expliquer que, “faute de renseignements officiels, [il a] croisé quelques chiffres recueillis auprès d’associations et du centre communal d’action sociale d’Orléans. Il est ainsi avéré que, toutes les trois semaines, un car arrive à Orléans de Paris, avec à son bord entre 35 et 50 personnes. Ce dispositif semble fonctionner depuis mai 2023. Tout cela se fait en catimini”. Les villes de Strasbourg, d’Angers et de Toulouse auraient aussi vu arriver des bus d’”indésirables” en provenance de Paris. Les migrants et SDF ont été pris en charge les premiers jours, avant d’être abandonnés à leur sort, faute de place en centre d’hébergement et faute de financement. Beaucoup reviennent à Paris. L’un des nombreux problèmes que soulève ce déplacement forcé d’une partie de la population parisienne, c’est qu’il s’est fait en douce, sans que soient prévenus les maires concernés, sans anticipation, sans collaboration. L’Etat serait responsable, mais la Ville de Paris n’est pas non plus capable d’apporter de solution pérenne à un problème réel, que ce soient la toxicomanie, les SDF ou les migrants… Le renvoi de patate chaude pourrait être une discipline olympique.

Anne Hidalgo a posé son propre masque sur Paris

Allez savoir pourquoi j’ai pensé à Paris ville-monde en découvrant cette lugubre affaire de poussière de pauvreté sous le tapis de la Ville Lumière. Au siècle parisien, qui fut de 1850 à 1950 ce que fut Hollywood après guerre, un pourvoyeur d’enchantement, un catalyseur de fantasmes et d’espoirs, une ville-monde où convergeaient les regards lointains et pleins d’étincelles de ceux qui imaginaient un jour fouler ses pavés et vivre une histoire d’amour transgressive comme on ne pouvait en vivre qu’à Paris, ou de ceux qui y confluaient, peintres, musiciens, artistes internationaux, pour y trouver un cadre, une atmosphère, des possibilités propices à la liberté créatrice. Même le prince de Galles, futur Edouard VII, s’il était passionné par les maisons closes, l’était tout autant par les salles de concerts et les cafés parisiens, par ce Parisian lifestyle qui rendrait nostalgique n’importe quel progressiste aux cheveux roses.

Ce qu’il reste de ce Paris balayé, c’est une ville muséifiée, où on y pose davantage qu’on y vit, une ville devenue le décor de cinéma idéal pour les tribulations d’une Américaine en talons hauts et haute couture, qui se nourrit de croissants et de berges de Seine en souriant coûte que coûte à la beauté d’un Paris dorénavant noyé sous des ambitions politiques qui n’ont plus rien de poétiques.

“Les masques à la longue collent à la peau. L’hypocrisie finit par être de bonne foi”, écrivaient les Goncourt. Anne Hidalgo a fini par croire à son propre enchantement, à croire que son Paris où il fait bon vivre existait vraiment, occultant la saleté, le bruit, la violence, la difficulté de circuler, la laideur. Anne Hidalgo a posé son propre masque sur Paris, et croit que c’est vraiment “une connerie” de quitter Paris durant les JO. Courage ! Fuyons !

Abnousse Shalmani, engagée contre l’obsession identitaire, est écrivain et journaliste

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