Kostis Hatzidakis, ministre grec des Finances : “Les leçons du passé ont été tirées”

Kostis Hatzidakis, ministre grec des Finances : “Les leçons du passé ont été tirées”

L’ancien paria de la zone euro s’est-il mué en élève modèle ? Sortie d’une crise économique qui a failli l’exclure en 2008 du cénacle monétaire européen, la Grèce relève fièrement la tête. Le rythme de croissance de son PIB a de quoi faire pâlir d’envie les grandes puissances du continent. Alors que la France devrait se contenter d’une hausse de 1 % en 2024, Athènes vise 2,3 %. Soutiens de l’Europe, mesures de rigueur et réformes profondes lui ont permis de stimuler l’activité des entreprises, les investissements étrangers et les exportations, tout en réduisant la dette publique et le chômage. Fin 2023, les agences Fitch et Standard & Poor’s ont salué ces progrès en propulsant la note de crédit de la dette grecque dans la catégorie “Investissement”, le club des pays emprunteurs les plus sûrs. La garantie de se financer à des taux plus raisonnables.

Reconduit au terme d’une large victoire de son parti de centre droit, la Nouvelle Démocratie, lors des élections législatives de juin dernier, le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis entend poursuivre sur cette voie. Pour son ministre des Finances, Kostis Hatzidakis, la clé du succès réside dans la combinaison du sérieux budgétaire et d’une politique pro-business. Il s’en explique à L’Express.

L’Express : Après des années sombres pour l’économie grecque, la trajectoire actuelle est très encourageante. La reprise semble même avoir été plus rapide que prévu…

Kostis Hatzidakis : Nous avons connu une décennie dramatique. Aujourd’hui, je pense que la Grèce se révèle être une bonne surprise pour la zone euro et l’Union européenne. Notre économie s’est rapidement redressée ces quatre dernières années en dépit des crises successives : pandémie, prix de l’énergie et guerre en Ukraine. Nous sommes parvenus à un assainissement budgétaire grâce à un rythme inédit en zone euro de baisse du ratio de dette rapportée au PIB. Nous avons restauré notre excédent primaire [NDLR : hors paiement des intérêts de la dette] un an plus tôt que prévu, dès 2023.

Beaucoup d’économies européennes sont en phase de ralentissement, voire de récession. Notre trajectoire est au contraire positive. Nous avons d’ailleurs enregistré l’an dernier un taux de croissance du PIB trois fois supérieur à celui de la moyenne européenne. Les investissements directs étrangers ont atteint des niveaux records en 2022, et de grandes entreprises internationales investissent désormais en Grèce, comme Microsoft, Google, Amazon, Pfizer, J.P. Morgan, Cisco, etc. La part des exportations des biens et des services est passée de 38 % à 50 % du PIB en quatre ans.

Dans le même temps, le taux de chômage a reculé significativement, de 17,5 % à 9,2 %. La plupart des agences de notation ont relevé la note de crédit de notre pays dans la catégorie “Investment grade”. Notre système bancaire a été assaini. Par exemple, le taux de prêts non performants a fortement diminué, de 49 % en juin 2017 à 8 % en septembre 2023, et les dépôts sont passés de 150 à 200 milliards entre 2019 et 2023, une hausse alimentée pour l’essentiel par les ménages. Nous continuerons à déployer cette approche alliant prudence budgétaire et soutien aux entreprises, pour favoriser la croissance.

Quelles mesures prenez-vous dans ce sens ?

Le taux d’imposition des sociétés est passé de 28 % à 22 %. La taxe sur les dividendes a aussi été abaissée, de 10 % à 5 %. Nous avons par ailleurs décidé de déductions fiscales pour les “business angels”, afin de stimuler l’innovation. Nous avons réduit les charges sur le travail, instauré un taux spécial d’imposition de 15 % sur les stock-options, dans le but d’encourager la coopération entre employeurs et employés, et créé un régime spécial destiné à attirer les non-résidents fiscaux, avec une exonération de 50 % d’impôt sur le revenu pendant sept ans pour ceux qui créent des emplois en Grèce. L’objectif est de convaincre nos compatriotes partis à l’étranger il y a plusieurs années – la génération de la fuite des cerveaux – de revenir au pays. Dans le même temps, nous avons mené des réformes pour moderniser le marché du travail.

Quels sont aujourd’hui les moteurs de la croissance ?

Le rôle du tourisme est évidemment important [NDLR : environ 20 % du PIB] et le restera. La marine marchande tient aussi une place essentielle. Mais il y a d’autres bonnes surprises, avec des exportations qui reposent de plus en plus sur l’industrie pharmaceutique et le secteur agroalimentaire. L’innovation prend aussi une part croissante.

Début février, la Grèce a mis en Bourse l’aéroport d’Athènes. Dans quelle optique ?

Cette opération permet de renforcer la place boursière grecque avec une grande entreprise mais aussi de renforcer l’aéroport lui-même, qui a besoin d’investissements pour se moderniser. L’intérêt des investisseurs s’est révélé 12 fois supérieur au montant qui devait être couvert [NDLR : 785 millions d’euros ont été levés]. Au total, ces sept derniers mois, les cessions d’actifs, notamment dans le secteur bancaire, et les accords de concession ont rapporté 6 milliards d’euros à l’Etat, qui contribueront à réduire la dette grecque. C’est aussi un signal adressé à nos investisseurs étrangers : notre machine économique est enfin repartie.

Réduire l’évasion fiscale est l’une de vos priorités. Quels progrès faites-vous sur ce front ?

Ils sont significatifs. Ce qu’on appelle “l’écart de TVA” [NDLR : la perte de recettes de TVA due à la fraude ou à l’évasion], calculé par la Commission européenne, atteignait 23 % en 2018. En 2023, nous estimons qu’il a reculé à 15 %. Cela a un impact sur les finances publiques de notre pays : la réduction de cet écart nous a rapporté un demi-milliard d’euros de recettes en plus. Bien sûr, nous poursuivons nos efforts et nous comptons beaucoup, pour cela, sur la digitalisation des transactions. En décembre, nous avons adopté des mesures pour lutter contre l’évasion fiscale dans onze domaines, incluant les travailleurs indépendants et le secteur pétrolier. Les bénéfices que nous tirons de cet arsenal vont permettre de financer des dépenses en faveur des écoles, des hôpitaux. Si tous les citoyens payent des impôts selon leur niveau de richesse, le système sera plus juste. Et à long terme, nous espérons pouvoir réduire le taux d’imposition pour tous.

Ces décisions sont-elles bien acceptées ?

D’après les sondages, la majorité des Grecs soutient les initiatives du gouvernement. Pendant des années, les indépendants ont payé, en moyenne, moins d’impôts que les autres travailleurs grecs, c’était inacceptable. Il s’agit non seulement de modernisation mais aussi de justice sociale.

Quels sont vos objectifs en matière de dette publique ?

Nous avons annoncé un programme de réduction de la dette. Cette année, elle passera de 160 % du PIB à 150 %. Nous visons 140 % en 2027. Nous avons d’autres engagements auprès de la Commission européenne et nous allons les respecter. Bien sûr, nous préférerions une approche plus flexible. Mais indépendamment de ces engagements envers l’Europe, nous continuons à mener une politique budgétaire prudente. Pourquoi ? Parce que les leçons du passé ont été tirées. Nous sommes conscients que la Grèce vivait au-dessus de ses moyens et qu’aujourd’hui, les investisseurs et les marchés suivent de près ce qui se décide dans notre Parlement.

Les salaires sont l’une de vos priorités. Que faire pour améliorer le pouvoir d’achat des Grecs ?

Il faut trouver le bon équilibre entre des salaires suffisants pour répondre aux besoins des travailleurs et de leur famille, et la compétitivité de nos entreprises. Le gouvernement a décidé d’augmenter le salaire minimum – de 9,7 % en 2022, puis de 9,6 % en 2023 – sans compromettre la compétitivité de la Grèce. Une hausse équivalente du salaire moyen a eu lieu entre 2019 et 2023, supérieure à l’inflation, sous l’impulsion des entreprises, sans que cela porte atteinte à leur compétitivité.

Quelles sont vos perspectives en matière de chômage, notamment chez les jeunes ?

Le problème concerne toute l’Europe, et pas seulement la Grèce. Dans le passé, il a été bien plus aigu chez nous. Les choses vont mieux, mais il faut encore améliorer l’adéquation entre le système éducatif, le marché de l’emploi et la formation continue. A ce titre, nous bénéficions de plus d’1 milliard d’euros de fonds venus de Bruxelles pour faciliter la reconversion professionnelle et le renforcement des compétences, avec un focus sur les qualifications nécessaires dans la transition numérique et écologique.

A quel horizon la Grèce retrouvera-t-elle son niveau de prospérité d’avant la crise de 2008 ?

Nous avons connu un décrochage violent de notre PIB par habitant. Jusqu’en 2008, la Grèce se situait entre 75 % et 80 % de la moyenne européenne. Ce ratio a reculé sous les 60 %. Nous sommes remontés à 68 % l’an dernier. Nous devons poursuivre les réformes nécessaires au maintien, voire à l’accélération, de notre rythme de croissance. Après avoir restauré un climat de confiance dans notre économie, le principal objectif du gouvernement est de retrouver une convergence réelle avec l’Europe.

La France accueille cette année les Jeux olympiques. Avec vingt ans de recul, que reste-t-il des JO d’Athènes ?

Je ne suis pas d’accord avec l’idée que les Jeux olympiques de 2004 aient été à l’origine de la crise budgétaire de la Grèce. Le problème était bien plus vaste. Nous nous souvenons de ces Jeux, pas seulement pour les stades et les bâtiments qu’il en reste, mais aussi parce que les Grecs ont un attachement particulier à cet événement. C’est une partie de notre héritage au monde. Nous sommes très heureux que la France organise les Jeux cette année, à Paris. Je suis sûr que de nombreux Grecs les suivront à la télé, ou en se rendant sur place.

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