La “guerre du carburant”, nouvelle stratégie de l’Ukraine face à la Russie

La “guerre du carburant”, nouvelle stratégie de l’Ukraine face à la Russie

Avec son bruit de moteur caractéristique, le drone ukrainien fend le ciel au-dessus de la ville de Riazan, à quelque 200 kilomètres au sud-est de Moscou. Arrivé à destination, il pique soudain vers la raffinerie de pétrole, avant de s’écraser dans une gerbe de flammes. Cette scène, captée en vidéo le 13 mars, deviendrait presque banale ces dernières semaines en Russie. La veille, deux installations pétrolières des régions d’Orel et Nijni Novgorod – respectivement à 160 et près de 1000 kilomètres de la frontière ukrainienne – étaient victimes d’incendies à la suite de précédentes attaques.

Depuis la mi-janvier, celles-ci se sont multipliées à un rythme inquiétant pour Moscou, avec plus d’une dizaine d’infrastructures touchées. “Les hydrocarbures sont la principale source de revenu de l’économie russe, pointe le général (2S) Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la Revue Défense nationale. Avec cette guerre du carburant, les Ukrainiens veulent frapper là où ça fait mal.” Selon des données publiées par Rosstat (le service fédéral des statistiques de l’État russe) en décembre 2023, le secteur pétrolier et gazier représente à lui seul plus de 17 % du PIB russe et couvre plus de 34 % des recettes de l’Etat fédéral. Une cible stratégique pour les Ukrainiens.

Accroître le coût de la guerre

Le 12 mars, l’attaque contre la raffinerie Norsi du groupe Lukoil, la quatrième plus grande de Russie, à Kstovo, a entraîné la mise à l’arrêt de la moitié de la production. À elle seule, l’installation a la capacité de raffiner environ 17 millions de tonnes de brut par an (soit 340 000 barils par jour). “Il est probable que la capacité de raffinage de la Russie ait été temporairement réduite par les multiples frappes de drones ukrainiens contre des raffineries à travers le pays, soulignait déjà trois jours plus tôt une note du renseignement britannique. Les réparations prendront probablement plus de temps que d’habitude, car les sanctions occidentales empêchent l’importation de certains composants nécessaires.”

Une mauvaise nouvelle pour la Russie, déjà confrontée à une hausse de la demande sur son marché intérieur, notamment liée au début de la saison des semis pour les agriculteurs. Face à l’envolée des prix à la pompe, le gouvernement russe a interdit le 1er mars les exportations d’essence pour une durée de six mois. “La Russie était déjà confrontée à des difficultés sur son marché intérieur et les frappes ukrainiennes ont encore aggravé la situation, résume Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du Centre Énergie et Climat de l’Institut français des relations internationales. Le blocage des exportations est un moyen pour le pouvoir de renforcer l’approvisionnement du marché russe afin de faire baisser les prix.”

La mesure pourrait toutefois peser sur les finances russes. “Une baisse des exportations de produits raffinés va se traduire par une baisse des recettes, ajoute le chercheur. Ces opérations ukrainiennes visent à accroître le coût de l’effort militaire et budgétaire russe.” Réagissant aux récentes attaques le 13 mars, Vladimir Poutine a estimé, lui, que l’objectif principal des frappes ukrainiennes est “d’interférer d’une manière ou d’une autre avec le processus normal d’expression de la volonté des citoyens”, en amont de la présidentielle du 15 au 17 mars.

Menace persistante

Sur le plan militaire, l’impact de ces frappes reste plus limité. “Cela ne suffira pas à priver les blindés russes de carburant. En revanche, cela peut perturber la logistique de l’armée qui a des besoins colossaux en la matière”, jauge le général Pellistrandi. Sans oublier les effets indirects. “Les frappes peuvent pousser les Russes à affecter davantage de systèmes de défense antiaérienne à la protection de leurs raffineries et dépôts de carburant, ce qui les obligerait de facto à diluer les moyens engagés sur le front”, note le gradé.

La menace sur les raffineries devrait en tout cas persister dans les prochains mois. Au fil du conflit, l’Ukraine a monté sa propre flotte de drones capables de frapper la machine de guerre russe dans la profondeur. “La catégorie des drones kamikazes à longue portée se développe, avec une portée de 300, 500, 700 et 1 000 kilomètres. Il y a deux ans, cette catégorie n’existait pas”, avait indiqué le 12 février à Reuters, Mykhailo Fedorov, vice-Premier ministre et ministre de la Transformation numérique de l’Ukraine. S’appuyant sur une dizaine d’entreprises fabriquant ce type d’engins, Kiev prévoit d’en produire plusieurs milliers en 2024. Leurs cibles sont déjà tout indiquées.

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