La SNCF et la retraite des cheminots : la fable de l’entreprise “privée”

La SNCF et la retraite des cheminots : la fable de l’entreprise “privée”

L’accord sur les fins de carrière signé le 22 avril par la direction de la SNCF avec quatre syndicats exonère les conducteurs et les contrôleurs de l’effort que la dernière réforme des retraites avait exigé de tous les Français : travailler plus longtemps pour rétablir l’équilibre du système général.

On ne s’étonne même plus que ce régime dérogatoire, taillé sur mesure pour les cheminots, ait été extorqué sous la menace d’une énième grève, tant le procédé s’inscrit dans la longue tradition de “dialogue social” au sein de la maison.

On s’étonne, en revanche, que le ministre délégué chargé des Transports brandisse, sur l’antenne de BFMTV, l’argument suivant pour justifier ce texte léonin : “La SNCF est une entreprise privée, qui doit répondre à des enjeux de concurrence. Le contribuable ne sera pas sollicité. C’est un accord d’entreprise, qui ne concerne que l’entreprise SNCF.”

Formellement, Patrice Vergriete dit vrai : dans son article 1er, la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire indique bel et bien que “la société nationale SNCF est soumise aux dispositions législatives applicables aux sociétés anonymes.”

Un capital détenu à 100 % par l’Etat

S’en tenir à cette seule disposition relève toutefois d’une charmante fable, puisque dans les faits :

– La société nationale à capitaux publics SNCF et ses filiales constituent un groupe public unifié qui remplit des missions de service public.

– Le capital de la société nationale SNCF, incessible, est intégralement détenu par l’État.

– Le PDG de la SNCF est nommé par le président de la République, par décret en Conseil des ministres.

– L’Etat a repris, en 2020, 25 milliards d’euros de dettes contractées par la SNCF ancienne formule, puis de nouveau 10 milliards d’euros en 2022.

20 milliards de subventions en 2022

Par ailleurs, comme le rappelait récemment François Ecalle, conseiller maître honoraire à la Cour des comptes et président de l’association Fipeco, qui réunit un collège de spécialistes des finances publiques :

– L’État et les autorités régionales – autrement dit les contribuables – ont versé 10,1 milliards d’euros à la SNCF en 2022 pour couvrir une partie de ses dépenses de fonctionnement.

– Cette même année, l’Etat et les autorités régionales ont subventionné les investissements de la SNCF à hauteur de 6,2 milliards d’euros.

– En 2022 toujours, l’Etat a versé une subvention d’équilibre au régime spécial de retraite des cheminots pour un montant de 3,2 milliards d’euros.

– Quant à la charge des intérêts des dettes reprises par l’Etat, elle s’est élevée à 800 millions d’euros.

Au regard de cette manne d’argent tout ce qu’il y a de public, soit 20 milliards d’euros en un an, “l’entreprise” SNCF, vantée par Patrice Vergriete, a rendu à son actionnaire unique quelque 400 millions d’euros de dividendes. Le compte n’y est pas, tant s’en faut.

Dans le secteur privé, le patron d’une société offrant une si piètre rémunération du capital aurait depuis longtemps été débarqué. Mais la SNCF, n’en déplaise au ministre, vit dans un autre monde. Un monde où aucune entreprise digne de ce nom n’aurait la moindre chance de prospérer si elle se risquait ainsi à acheter la paix sociale, sur le dos de ses créanciers et de ses clients.

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