L’adhésion de l’Ukraine à l’UE, “une folie” ? Ce qui se cache derrière les discours officiels

L’adhésion de l’Ukraine à l’UE, “une folie” ? Ce qui se cache derrière les discours officiels

Vous avez aimé le débat sur l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne ? Vous allez adorer celui sur l’adhésion de l’Ukraine. Officiellement, la position de la France est claire. Emmanuel Macron l’a rappelé en décembre, Paris soutient l’ouverture de négociations d’adhésion de l’Ukraine, une décision “logique, juste et nécessaire”. Mais au-delà des propos de façade, que la situation internationale oblige quasiment à tenir par solidarité avec Kiev attaqué par la Russie, le sujet est une véritable bombe à retardement.

C’est l’un des piliers du gouvernement Attal qui le confie, sous le sceau de l’anonymat : “L’Ukraine n’a pas sa place dans l’Union européenne. On refait la même erreur qu’avec la Turquie. Ce serait une faute qui tuerait l’UE. Intégrer le premier producteur de céréales du monde serait une folie.”

Fin mars, la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, est en Ukraine. Quand elle s’adresse au parlement ukrainien, elle est frappée par le nombre de drapeaux européens qui flottent dans la salle. “Ce projet d’adhésion porte beaucoup le pays, qui fait les efforts et joue vraiment le jeu pour entrer dans l’UE”, remarque-t-elle.

Sembler lâcher Kiev n’est pas une option pour la majorité présidentielle, qui se trouve embarquée en pleine campagne électorale dans une aventure incertaine. La tête de liste Renaissance, Valérie Hayer, fait preuve de zèle en proposant d’accorder, comme premier signe d’encouragement, le statut d’observateur aux législateurs ukrainiens au Parlement européen “dès que possible” : “Nous ne devons pas attendre qu’un statut d’observateur officiel soit accordé pour commencer sérieusement à travailler ensemble.”

Un membre de la majorité tempère cet enthousiasme : “Il faut affirmer la nécessité que l’Ukraine adhère à l’Union européenne, mais seulement pour en faire un élément de négociation avec Vladimir Poutine à la sortie du conflit. Montrer notre attachement à cette décision aujourd’hui, pour valoriser notre concession en y renonçant demain.” C’est dire si le sujet relève en Macronie du cas de conscience. Un eurodéputé sortant pèse le pour et le contre : “Conjoncturellement, il faut aider l’Ukraine. Structurellement, l’adhésion de l’Ukraine change tout. Faut-il apporter une réponse conjoncturelle à une question structurelle ? Sans la guerre, on ne se poserait même pas la question de l’adhésion.” L’histoire oblige à s’adapter, suggère le même élu : “Que Poutine gagne et il maîtrise la production mondiale de céréales ; que l’Ukraine entre dans l’UE et ça bouleverse l’Europe. Qu’est-ce qui est mieux ?” Yaël Braun-Pivet en convient aussi : dès lors que cette adhésion aurait un “impact énorme” sur la construction européenne, elle ne saurait se résumer qu’à l’arrivée d’un pays supplémentaire et nécessiterait une réorganisation fondamentale de l’Europe.

Or l’élargissement n’est pas, n’est plus un thème populaire. “On est nostalgique de l’Europe des 12”, pointe Jean-Noël Barrot, le ministre délégué aux Affaires européennes. “Le RN va nous dire ‘Vous avez aimé le plombier polonais, vous aimerez l’agriculteur ukrainien’, prévient Pieyre-Alexandre Anglade, directeur de campagne de la liste Hayer. Or l’élargissement se justifie par le contexte géopolitique.” “Il faut assumer ce processus, complète le député Robin Reda. On parle souvent de construire une Europe des nations et de la paix en plus de l’Europe simplement économique. Cela se justifie. On n’est pas dans l’élargissement purement économique comme on pouvait le faire avec l’ex-Europe de l’Est, mais dans un élargissement qui redonne sens au projet européen de paix.”

Le précédent de la Turquie

Sauf que lancer un processus n’est jamais neutre et s’en détacher ensuite est toujours compliqué. Le précédent de la Turquie a marqué la scène politique française, et notamment la droite, qui s’est fracturée sur la question. Entre 2004 (quand les membres de l’UE décident d’ouvrir des négociations d’adhésion) et la présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy se dissocie nettement des orientations alors impulsées par le président Jacques Chirac, infatigable défenseur de l’entrée de la Turquie. Pendant sa campagne électorale, Sarkozy fait même de cette hostilité un thème récurrent. Mais après sa victoire, comme il n’est pas tout seul à la table européenne, il est obligé de modérer sa position. En août 2007, devant les ambassadeurs, il déclare : “La France ne s’opposera pas à ce que de nouveaux chapitres de négociation entre l’Union européenne et la Turquie soient ouverts dans les mois et les années à venir à condition que ces chapitres soient compatibles avec les deux visions possibles de l’avenir de leurs relations : soit l’adhésion, soit l’association aussi étroite que possible, sans aller jusqu’à l’adhésion.” Aujourd’hui, les négociations entre la Turquie et l’UE sont gelées.

Est-ce parce qu’il se souvient de l’épisode turc ? Nicolas Sarkozy estime aujourd’hui que la neutralité ukrainienne va de pair avec une non-adhésion du pays à l’Union européenne. “L’Ukraine est un trait d’union entre l’Ouest et l’Est. Il faut qu’elle le reste”, disait l’ancien président au Figaro pendant l’été 2023, qualifiant de “promesses fallacieuses” le statut ukrainien de pays candidat à l’UE.

La ligne de clivage fracture l’échiquier politique. D’un côté, François-Xavier Bellamy (LR) parle lui aussi de “fausse promesse”, Jordan Bardella (RN) de “ligne rouge”. De l’autre, Raphaël Glucksmann (PS) affiche son soutien à l’adhésion, tout en soulignant que d’ici là, les lois et le Smic en Ukraine d’un côté, la PAC en Europe de l’autre auront évolué. Les campagnes sont-elles le moment propice pour faire progresser la réflexion et la pédagogie ou offrent-elles une prime à la démagogie ? Le débat mériterait en tout cas de trouver sa place dans la campagne, d’autant que l’opinion est plus partagée qu’il n’y paraît. Selon un sondage CSA pour Europe 1, CNews et Le Journal du Dimanche réalisé en février, l’entrée de Kiev dans l’UE serait considérée comme une mauvaise chose pour la France par 43 % des Français, tandis que 39 % des sondés y verraient un signal positif pour notre pays (18 % ne se prononcent pas). D’après une enquête Euronews/Ipsos réalisée en mars auprès de 26 000 personnes de 18 Etats membres, 45 % des électeurs de l’UE sont favorables à l’adhésion de l’Ukraine, tandis que 35 % y sont opposés et 20 % sont indécis.

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