Laura, rescapée du festival frappé par le Hamas : “Notre vie s’est arrêtée le 7 octobre”

Laura, rescapée du festival frappé par le Hamas : “Notre vie s’est arrêtée le 7 octobre”

Vers 6 heures du matin, en ce 7 octobre 2023, alors que ses amis et elles prennent un café avant de repartir faire la fête, les premières roquettes volent au-dessus de la tête de Laura Blajman-Kadar, une des organisatrices du festival de musique transe “Tribe of Nova”, près du kibboutz de Reïm, à quelques kilomètres de la bande de Gaza. En se réfugiant dans sa caravane avec son mari et ses amis après avoir entendu les premières rafales de Kalachnikov non loin, cette Franco-Israélienne de 35 ans a sauvé sa vie et celle de ses proches. Les terroristes du Hamas, déployés sur le terrain vague du festival, ont tué plus de 300 personnes et fait plus de 2 000 blessés parmi les 3 000 personnes présentes, selon le groupe de secouristes israélien Zaka. Une quarantaine d’otages a été emmenée de force à Gaza, certains sont encore prisonniers.

Son témoignage, Croire en la vie (Ed. Robert Laffont), qui sort en librairie le 21 mars, Laura Blajman-Kadar l’a écrit – depuis l’Inde, où elle s’est retirée pour essayer d’apaiser le traumatisme -, pour que l’Histoire n’oublie jamais ce drame. Et surtout, pour expliquer ce dont sont capables les terroristes du Hamas. Habitant une ville mixte, côtoyant Juifs et Arabes au quotidien, l’autrice ne désespère pas qu’un jour, la paix fasse son retour au Moyen-Orient. Entretien.

L’Express : Quand avez-vous compris que les premiers tirs que vous entendiez, le 7 octobre au matin, étaient une attaque de terroristes infiltrés sur le territoire israélien ?

Laura Blajman-Kadar : Après les premiers tirs de roquettes, nous n’avons pas paniqué, parce que chez nous, en Israël, ce sont des choses fréquentes. Nous nous sommes alors dit “Ah, c’est dommage, le festival va se terminer…”. Nous avons gardé notre calme, mais la situation nous paraissait anormale, car d’habitude, une attaque de roquette ne dure pas plus de dix à quinze minutes. Or, ce jour-là, elle a duré plus de vingt-cinq minutes.

L’atmosphère a radicalement changé, quand, vers 7h30 du matin, nous avons compris que des terroristes tiraient sur des gens. Juste avant de rentrer nous mettre à l’abri dans notre caravane, mes amis, mon mari et moi, nous savions que nous étions en danger de mort imminente. Nous avons rapidement appris qu’une des premières personnes tuées était notre ami Abu Ashraf, un Arabe ; son cousin hurlait qu’on lui avait tiré dessus. Nous pensions qu’un ou deux terroristes étaient présents, et que d’ici une vingtaine de minutes, la police arriverait, et que tout serait fini. Puis, en regardant les informations sur nos téléphones, toujours cachés dans la caravane, nous avons compris que ce n’est pas une attaque contre le festival, mais contre le pays tout entier.

Avez-vous vu ou entendu les terroristes du Hamas ?

Nous ne les avons pas vus, seulement entendus. Ils sont passés juste à côté de notre caravane, et quand je disais à mes amis “Taisez-vous !”, ils me prenaient pour une hystérique. Mais au bout de quelques minutes, on a entendu des tirs et des voix qui criaient “Allahou Akbar”, et les pas d’un terroriste qui se rapprochait de nous. Il a essayé d’ouvrir la porte du véhicule, fermée d’un simple verrou en plastique pourtant très peu solide. Je ne peux pas expliquer pourquoi, mais il n’est pas parvenu à ouvrir la porte. Puis ils ont dû apercevoir au loin quelqu’un de vivant, ils ont crié en arabe “Viens là !”, et ils sont partis.

Aujourd’hui, le bilan des victimes du festival est-il confirmé ?

Il y a eu plus de 300 morts et des milliers de blessés. Je sais qu’il y a une personne qui s’occupait de la sécurité du festival dont on n’a pas encore retrouvé le corps. Il est peut-être otage. Aujourd’hui, après près de six mois de guerre, je trouve cela fou de ne toujours pas savoir. L’identification des corps a été très difficile. Un de mes meilleurs amis, un DJ, a pu être identifié uniquement par la bague qu’il portait, car son corps était complètement brûlé.

Êtes-vous en contact avec des otages du festival libérés lors de la trêve de novembre ?

Non. Ceux qui ont été libérés ne sont pas des gens que je connaissais personnellement. J’ai des amis qui sont toujours otages, et plusieurs sont morts. C’est très dur d’entendre les témoignages de ceux qui reviennent, comme celui de la Franco-Israélienne Mia Shem, ou de Roni Krivoï, tous deux libérés lors de la trêve de novembre. De plus en plus, les otages libérés prennent la parole, et ce qu’ils ont vécu est terrible.

Y a-t-il des thérapies collectives pour les survivants du 7 octobre ?

Avec mes amis présents dans la caravane, nous sommes le seul groupe resté ensemble et qui a survécu ensemble. Nous avons fait quelques thérapies de groupe au début, pour compléter nos témoignages et restituer comment s’était déroulée l’attaque sur le festival. Mais j’ai arrêté, car très vite, j’ai pris la parole dans les médias, et j’ai eu la sensation que c’était devenu mon rôle. J’ai la chance de parler français, et donc de pouvoir m’exprimer devant le monde francophone. Mon mari et moi faisons un suivi psychologique chacun de notre côté, depuis plus de cinq mois maintenant. Mais notre vie s’est arrêtée le 7 octobre, elle n’a pas continué depuis.

J’ai terminé d’écrire le livre en Inde, dans un endroit tranquille et chaleureux, pour essayer de respirer, de prendre l’air, mais le traumatisme reste très lourd. Par exemple, dès qu’une noix de coco tombait par terre je pensais que c’était un attentat. Je sursaute pour tout, partout, tout le temps.

C’est le désir de ne pas oublier le 7 octobre qui vous a poussé à écrire un livre ?

Lorsque j’ai commencé à écrire le livre, j’étais persuadé que la guerre serait terminée à sa sortie dans les librairies. Je n’aurais jamais imaginé que plus de 160 jours plus tard, mes amis seraient toujours otages à Gaza. Je l’ai fait d’abord pour ne pas oublier, et laisser une trace.

Quelques jours après le 7 octobre, mes cousins en France m’appellent et me disent qu’il y a des militaires devant les synagogues et les écoles juives. Je me suis demandée : “Pourquoi ? Quel est le rapport ?” Nous venons de nous faire attaquer de la pire manière depuis des décennies, et mes cousins français ne peuvent pas sortir de chez eux ! Quelques semaines plus tard, je me suis rendue à Paris, et c’est la première fois que j’ai eu peur en France. Je ne parle plus hébreux avec mon mari dans les rues, je n’ose pas dire que je suis Israélienne. Cette période est tellement triste. Avoir peur de se faire attaquer parce que je suis Israélienne, c’est vraiment horrible.

Ma mission aujourd’hui est donc d’expliquer aux gens ce qu’il s’est passé, car beaucoup ne comprennent pas. J’habite dans une ville mixte, ma voisine est Arabe, j’ai des amis Arabes qui étaient avec moi au festival. Et maintenant que la guerre dure, le but de mon livre est d’expliquer pourquoi les gens se battent. J’ai l’impression de servir beaucoup plus mon pays avec ce livre qu’en rejoignant l’armée.

Comment voyez-vous la situation évoluer à moyen terme ?

Nous aussi nous souhaitons que la guerre s’arrête. Mais ce n’est pas possible de parler de cessez-le-feu sans le retour des otages. Il y a aujourd’hui 134 otages à Gaza, et nous savons que 34 sont morts. Parmi les vivants, des femmes et des bébés sont toujours là-bas, y compris des Arabes. Moi, j’aurais dû me trouver parmi eux, car il n’y avait aucune chance que je sorte vivante de cette caravane ; et si j’étais otage là-bas, j’aimerais savoir que les gens se battent pour moi à l’extérieur. Israël n’a pas le droit d’arrêter le combat avant que ces gens rentrent à la maison. C’est son devoir envers ses citoyens. C’est une guerre horrible, mais c’est au Hamas de l’arrêter, et de libérer les otages. En même temps, je comprends l’aide humanitaire apportée à Gaza : quand je vois ces enfants Palestiniens orphelins, j’ai mal au cœur. Ils n’ont rien fait, tout comme nos enfants.

Dans quel état d’esprit est la société israélienne ?

Les gens sont terrorisés, il y a toujours des bombes qui tombent sur Israël et des attentats. Tout le monde pense sans cesse aux otages. Lorsque je suis allée en Inde pour guérir et écrire ce livre, je ressentais comme un sentiment de culpabilité : je n’avais pas le droit de guérir tant que nos otages étaient là-bas. La plupart des gens, au moins ceux qui sont sortis du festival, reçoivent beaucoup d’aide et de soutien psychologique. Mais c’est impossible d’aller mieux, quand on sait que nos amis ne sont pas en liberté.

En général, les Israéliens veulent du silence, de la paix, bien qu’on ne puisse pas commencer à parler de paix sans avoir retrouvé nos otages. J’ai toujours cru à la solution à deux Etats, et je continue d’y croire. Lorsque je me rends en Europe et que je prends ma voiture pour aller de la France, en Allemagne ou en Angleterre, il n’y a aucun problème. Mais avant d’en arriver là, énormément de sang a coulé au cours de l’Histoire. Je suis sûre qu’un jour, nous aussi, nous pourrons prendre nos voitures pour aller d’Israël en Palestine, simplement.

Le but du terrorisme n’est pas seulement de tuer les gens, mais de tuer l’espoir de la paix, l’espoir de la vie. Les Palestiniens veulent vivre, se lever le matin et aller au travail, s’amuser le week-end, en paix. Mais tant que le Hamas est là-bas, c’est impossible, puisque les droits des femmes et des personnes LGBT n’existent pas. J’espère pour les Palestiniens et pour les Israéliens que ce groupe de terroristes sera éliminé et que tout le monde pourra avoir son propre pays.

Que pensez-vous de l’action de Benyamin Netanyahou ?

On ne peut pas dire qu’il est aimé par tout le pays. Me concernant, je ne suis pas une femme politique : je suis organisatrice de festival de musique. Mais que ce soit Netanyahou ou quelqu’un d’autre, le but de notre pays est clair : ramener les otages à la maison. Dans aucun autre pays, un chef d’Etat n’arrêterait la guerre sans ramener ses otages.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *