75 ans de l’Otan : cette double menace qui plane sur l’Alliance atlantique

75 ans de l’Otan : cette double menace qui plane sur l’Alliance atlantique

Le reste du temps, il est conservé précieusement dans le grand bâtiment néoclassique des Archives nationales américaines, à Washington. Après avoir pris l’avion, le traité de l’Atlantique a rejoint sous escorte l’imposant siège bruxellois de l’Otan, où il sera l’une des attractions de l’anniversaire, ce jeudi 4 avril, des 75 ans de la naissance de cette organisation conçue pour défendre l’Europe contre une agression soviétique. Sous la couverture en cuir, les 12 signatures des ministres des Affaires étrangères de 1949, dont celles du Français Robert Schuman et de l’Américain Dean Acheson.

Au fil des décennies, l’attrait de l’alliance ne s’est pas démenti. Aucun membre ne l’a quittée. Et 20 autres pays l’ont rejointe, dont le dernier, la Suède (le 7 mars), après deux cents ans de non-alignement et de neutralité militaire. Une révolution ! Critiqué pour son apathie dans les années 2010, l’Otan se révèle en effet plus indispensable que jamais aux yeux des Européens pour faire face à la menace grandissante représentée par la Russie de Vladimir Poutine.

En lançant ses troupes à l’assaut de l’Ukraine, le 24 février 2022, le président russe “a réveillé une Alliance atlantique en mauvais état”, précise une source diplomatique. “La Russie a créé un choc d’unité.” Plutôt que de sombrer dans le piège de la division, les Etats membres ont fait le choix d’apporter, ensemble, une aide militaire conséquente à l’Ukraine. Ils ont également accueilli deux nouveaux pays qui préféraient rester à l’écart par souci d’apaisement avec Moscou – la Finlande, en avril 2023, et, donc, la Suède.

L’Otan revient de loin. A son arrivée à la Maison-Blanche, en janvier 2017, Donald Trump n’avait pas hésité à la déclarer “obsolète”, avant de malmener ses alliés lors de sommets internationaux, faisant pression sur eux pour qu’ils augmentent leur contribution financière en les menaçant de sanctions économiques. “J’ai trouvé en revenant à l’Otan en septembre 2019 une organisation en stress post-traumatique”, a récemment confié au podcast Le Collimateur l’actuelle ambassadrice française à l’Otan, Muriel Domenach.

Cet engourdissement de l’organisation doublée de la crainte d’une volte-face de l’allié américain avait mené Emmanuel Macron à décréter “la mort cérébrale de l’Otan” en novembre de la même année. Presque cinq plus tard, le cerveau de l’Alliance est plutôt en surchauffe, mis en alerte par la menace poutinienne. Fini, l’époque des sommets d’apparats bisannuels : “On est passé à un sommet par an, avec des réunions ministérielles de deux à quatre fois par an”, explique un cadre militaire. La dernière, le 3 avril, portait sur un plan d’aide militaire de 100 milliards de dollars, sur cinq ans, pour l’Ukraine.

Pour prouver sa crédibilité, l’Otan organise également ce semestre son plus grand exercice depuis la fin de la guerre froide. Baptisé “Steadfast Defender” – “défenseur inébranlable” –, celui-ci mobilise plus de 90 000 soldats dans plusieurs pays et dans les milieux terrestres, aériens et marins. De quoi rassurer à nouveau des alliés mis en tension par… Donald Trump. Le favori du camp républicain pour la présidentielle américaine a menacé, s’il était élu, de ne pas protéger en cas d’attaque les Etats n’ayant pas assez dépensé pour leur défense. Une remise en question directe du célèbre article 5, qui prévoit que chacun de ses membres doit intervenir en cas d’attaque contre l’un d’entre eux.

“Est-ce qu’il y aura un 76ᵉ anniversaire de l’Otan ? Je n’en suis pas sûr si M. Trump redevient président, avance François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique et qui a publié l’année dernière Les Leçons d’une guerre (Odile Jacob). Il pourrait très bien retirer son pays d’une alliance fondée essentiellement sur la garantie de sécurité apportée par la présence sur le continent de l’armée américaine et de ses armes nucléaires… Or, sans les Etats-Unis, l’Otan et son article 5 n’existeraient plus.”

L’Ukraine peut déjà mesurer les effets de cette tentation isolationniste. Plus aucun obus américain ne lui parvient avec le blocage d’un nouveau paquet d’aide militaire, au Congrès, par un Parti républicain sous le contrôle des trumpistes. Si un déblocage reste possible, l’Otan n’est pas au bout de ses peines. Le sommet des 75 ans, à Washington, avec le président Joe Biden comme hôte, précédera de quatre jours la convention républicaine d’intronisation du candidat Trump. Au siège bruxellois de l’Otan, on craint que celui-ci n’en profite pour chiffonner un peu plus le traité signé en 1949 par Robert Schuman.

A l’occasion du 75ᵉ anniversaire de l’Otan a lieu à Aix-en-Provence (Bouches-de-Rhône), les 12 et 13 avril prochains, un colloque intitulé “Quelle sécurité pour les frontières sud de l’Europe ?”, organisé par Sciences Po Aix, en partenariat avec L’Express.

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