“Le choix de la rupture” : jusqu’où ira le nouveau président du Sénégal avec la France ?

“Le choix de la rupture” : jusqu’où ira le nouveau président du Sénégal avec la France ?

Entre la continuité ou le changement, les Sénégalais ont tranché. Les résultats officiels annoncés ce mercredi 27 mars confirment une large victoire du candidat de l’opposition antisystème Bassirou Diomaye Faye, avec 54 % des suffrages, face au candidat du pouvoir, comptable du bilan du président sortant Macky Sall, qui n’a récolté que 35 % des voix. “En m’élisant Président, le peuple sénégalais a fait le choix de la rupture”, a déclaré Bassirou Diomaye Faye, qui a 44 ans, est le plus jeune à accéder à cette fonction dans son pays, lors de sa première prise de parole. Qu’en est-il réellement et quels sont les risques pour la France ?

L’obsession du vainqueur des élections est de doter son pays d’une vraie “souveraineté”, un mot employé 18 fois dans son programme. Il entend renouveler la relation du Sénégal avec ses partenaires et notamment avec la France. Son objectif : obtenir des “collaborations gagnant-gagnant”, mettant fin à la “spoliation”. Le candidat, désormais président, a ainsi promis de revoir des accords de pêche avec les chalutiers européens et asiatiques, accusés de surpêche au détriment des pêcheurs sénégalais. Un enjeu majeur alors que le secteur qui fait vivre près de 20 % des 18 millions de Sénégalais traverse une crise sans précédent.

Dans la même veine, Bassirou Diomaye Faye a prévu de “renégocier” les contrats d’exploitation du pétrole et du gaz avec l’australien Woodside et le britannique BP, alors que la production devrait débuter d’ici la fin de l’année 2024. “Des renégociations dont on ignore si elles seront vraiment possibles”, souligne le politologue Moussa Diaw, alors que les contrats ont déjà été signés et que l’on ignore en grande partie ce qu’ils contiennent. Au lendemain de sa victoire, le nouveau président a toutefois tenu à rassurer les partenaires du Sénégal, dont certains s’inquiètent de son arrivée au pouvoir. Le Sénégal “restera le pays ami et l’allié sûr et fiable pour tout partenaire qui s’engagera, avec nous, dans une coopération vertueuse, respectueuse et mutuellement productive”.

Interrogations autour de la base militaire française

Ces dernières années, la France n’avait pas échappé aux critiques parfois acerbes du camp de l’opposition auquel appartient Bassirou Diomaye Faye, au point que beaucoup le jugent anti-français. “Nous n’avons rien contre la France, ni contre l’Europe”, assure Boubacar Sadio, conseiller du président élu pendant la campagne. “Nous voulons simplement rééquilibrer nos partenariats et les diversifier”. Bassirou Diomaye Faye a également fait part de sa volonté de revoir les contrats de défense du Sénégal. “Cela pourrait signifier la fermeture de la base militaire française”, analyse Caroline Roussy, chercheuse à l’Iris. Une base, située en plein cœur de la capitale Dakar, actuellement occupée par 350 militaires qui assurent la formation des soldats des pays de la région. L’armée française a déjà dû quitter le Mali, le Burkina Faso et le Niger.

“Tous ces éléments, s’ils sont mis en œuvre, pourraient contribuer à un recul plus important de la France sur le continent”, estime Moussa Diaw, qui note néanmoins un discours moins brutal à l’égard de l’ancienne puissance coloniale au cours des derniers mois. “Ousmane Sonko et le Pastef ont mis de l’eau dans leur vin de ce côté-là, par pragmatisme et par réalisme politique”, poursuit-il, rappelant que la France est le premier investisseur et partenaire économique du pays.

Se revendiquant un “panafricaniste de gauche”, Bassirou Diomaye Faye a aussi pris l’engagement de sortir du Franc CFA, perçu comme trop lié à la France. Face à l’inquiétude des milieux économiques, il a souligné que cette mesure ne serait pas immédiate et ne s’effectuerait que sous certaines conditions strictes. “De nombreux ajustements ont été apportés à cette réforme qui reste pour le moins floue”, indique Moussa Diaw. Dans un entretien au Monde, deux jours avant d’être élu, Bassirou Diomaye Faye avait tenté d’expliquer sa pensée. “L’idéal serait de sortir du franc CFA dans le cadre de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) avec l’Eco”, le projet de monnaie unique ouest-africaine, qui tarde à voir le jour. Mais si le projet n’aboutit pas, “nous devrons envisager de prendre seuls notre souveraineté”, a-t-il ajouté.

Aura-t-il les moyens de lutter contre la corruption ?

Parmi les thèmes phares de son programme figure aussi la lutte contre la corruption et la “mal gouvernance” des élites. Il s’agissait déjà de ses thèmes de prédilection lorsqu’il s’est engagé en politique, en 2014, après plus de dix ans à la direction générale des impôts et domaines aux côtés du leader de l’opposition, Ousmane Sonko, dont la candidature pour la dernière élection avait été écartée. Tout au long de la campagne, Bassirou Diomaye Faye a dénoncé le train de vie de son adversaire, Amadou Ba, qu’il a largement accusé d’être un “fonctionnaire millionnaire”. “Je m’engage à gouverner avec humilité, dans la transparence et à combattre la corruption à toutes les échelles”, a promis Bassirou Diomaye Faye. Pour appuyer ses dires, il a été le seul candidat à publier sa (modeste) déclaration de patrimoine. Mais se donnera-t-il les moyens nécessaires pour se lancer dans cette lutte ?

Autre pilier de son projet, “la réhabilitation des institutions de la République”. “Il s’agit de rééquilibrer les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires et de sortir de cet hyperprésidentialisme qui caractérise le pays”, décrypte le politologue Moussa Diaw, professeur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Il propose ainsi la suppression du poste de Premier ministre pour créer une fonction de vice-président. Sera-t-elle destinée à Ousmane Sonko, le leader et candidat originel du Pastef (les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité) ? Le nouveau président a promis de lui réserver une “place particulière”, sans préciser laquelle.

Une chose est sûre, “il n’y aura pas d’état de grâce” souligne Moussa Diaw, expliquant que les Sénégalais, malmenés par trois ans de crise politique, ont beaucoup d’attentes. A commencer par des mesures fortes pour pallier l’inflation (à 6 %) et le chômage qui plafonne à 20 % depuis 15 ans.

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