Le choléra, cette menace oubliée qui se rapproche du sol français

Le choléra, cette menace oubliée qui se rapproche du sol français

C’est une maladie dont on se croyait débarrassé. Enterrée, avec la crasse des sociétés du passé et des caniveaux à l’air libre. Et pourtant, en l’espace de trente jours, 10 cas de choléra ont été détectés sur le territoire national, à Mayotte. Un record, alors que d’ordinaire, les cas oscillent plutôt entre 0 et deux par an. Il faut remonter à 1986 pour trouver autant de ces diarrhées infernales, qui vident jusqu’à la mort les plus fragiles, en moyenne 5 % des malades.

Pour l’heure, aucun cas “autochtone” n’est à déclarer. Tous ont attrapé la maladie à l’étranger. Mais une course contre la montre est engagée. Car, à la différence des autres années, le choléra, encore très actif dans certaines zones du monde, pullule désormais dans l’archipel des Comores, tout proche. Et se propage aussi sur la côte africaine, en Zambie, au Zimbabwe, au Mozambique, en République démocratique du Congo ou en Ethiopie. Des pays en situation “critique”, selon l’OMS. 60 000 infections y ont été découvertes depuis janvier.

La menace est d’autant plus prégnante que de nombreuses personnes venant de ces zones tentent quasiment chaque jour de se rendre sur le territoire français. Au moins huit des 10 malades pris en charge en France par l’Agence régionale de santé (ARS) et le Centre hospitalier de Mayotte (CHM), étaient entrés illégalement en France, depuis l’Union des Comores, où couvait déjà le Vibrio choleræ dans leurs intestins. Sept ont partagé la même embarcation de fortune, de celles qui écument les plages françaises de Mayotte en quête d’une nouvelle vie.

Le risque d’un cluster en rétention administrative

Le bateau clandestin contaminé avait d’abord été intercepté par la police française aux frontières. Les patrouilles y sont de plus en plus nombreuses, à cause du risque sanitaire mais surtout pour répondre à la pression migratoire sur l’archipel. Les passagers, qui s’ignoraient malade à ce moment là, ont ensuite été placés au centre de rétention administratif (CRA) de Pamandzi, à Petite-Terre, l’une des deux îles qui forment le département. C’est ici, où plus de 60 migrants échouent chaque jour, que se sont déclenchés les premiers symptômes, d’intenses douleurs abdominales.

Une fois les cas transférés à l’hôpital, les autorités sanitaires ont fait désinfecter les chambres et ont distribué des antibiotiques, en prévention. Des analyses ont été menées, écartant une contamination sur place. Mais l’arrivée du choléra dans le plus grand CRA de France, où se succèdent 32 000 étrangers par an, tous venant de pays exposés, préoccupe. L’endroit est à risque, de par sa promiscuité et ses conditions d’hygiène précaires : “Il n’y a qu’une toilette pour 10 personnes, et il faut souvent réclamer pour avoir des savons ou des protections hygiéniques”, témoigne une source interne.

Les associations sur place (Solidarité Internationale, Unicef) craignent ainsi de voir le CRA devenir un foyer de contamination, le premier sur le sol français depuis une vingtaine d’années – en 2022, 4 cas autochtones ont été enregistrés, mais ils étaient dus à des produits importés. Ces organisations préconisent que des gants et du gel hydroalcoolique soient systématiquement distribués. Ça n’est toujours pas le cas, selon nos informations. “Il faudrait aussi faire preuve d’une totale transparence, même en cas de suspicion. On parle du choléra, quand même. Les administrateurs ont-ils pris la mesure du danger ?”, s’inquiète cette source.

L’hôpital se réorganise

Au CHM de Mamoudzou, le seul hôpital de Mayotte, une unité spéciale a été créée au début de l’année. 70 % des lits sont déjà occupés. Il y en a 14 en tout. Les services d’urgences, que dirige le Dr Alimata Gravaillac, ont mis en place une procédure pour isoler les patients et éviter que la bactérie ne prolifère. “Les malades sont réhydratés, à l’aide de perfusions. Des antibiotiques leur sont donnés. Ils sont efficaces contre les souches qui circulent actuellement”, détaille la médecin, contactée par téléphone, entre deux interventions.

En cas d’afflux, l’ARS a prévu de doubler la taille du service. Des unités annexes pourraient aussi ouvrir, dans d’autres villes. Cela ferait 40 lits au total, réservés aux personnes infectées par le vibrion. Des bâches et des piquets ont aussi été commandés. De quoi soutenir d’éventuels hôpitaux de campagne, s’il fallait en construire. “Nous nous devons d’être le plus réactifs possible”, commente Olivier Brahic, président de l’ARS Mayotte. Dans ses locaux, cinq camions remplis de kits de soin se tiennent prêts à démarrer.

Aux Comores, dans les îles en face, 366 cas ont été détectés ces quatre derniers jours. 1 700, depuis le 2 février. 43 personnes sont décédées. L’épidémie se concentre sur l’île d’Anjouan, à quelques dizaines de kilomètres de Mayotte. C’est de là que les candidats au départ prennent la mer. La panique générée par ce qui est considéré comme “l’autre peste”, renforce la tentation de partir. En avril, 130 Mozambicains s’étaient mis à fuir leur pays, plein gaz, sur simples rumeurs de propagation. Leur bateau s’est retourné, faisant 96 morts.

Des camions prêts à partir

Pour limiter le risque de diffusion, l’ARS a aussi mis en place des équipes mobiles. Des agents, prêts à enfiler leurs combinaisons intégrales à la moindre suspicion. Ils désinfectent les habitations, testent les eaux alentour, retracent les éventuels cas contact, pour leur donner un traitement préventif. 60 personnes en ont déjà reçu. Des messages de prévention sont aussi diffusés, notamment aux frontières. L’Etat envoie des textos à l’ensemble des voyageurs provenant de zones à risque. Si besoin, ils peuvent être retrouvés, et isolés.

Que le choléra reprenne dans l’Hexagone est de l’ordre de la fiction en l’état, affirment les experts. Les eaux souillées et la nourriture contaminée sont les principaux vecteurs de la maladie. Or l’Hexagone dispose, depuis longtemps, de réseaux très contrôlés. Et ses moyens sanitaires restent étoffés. “Un repas contaminé pris juste avant de décoller pour Roissy, c’est toujours possible. Mais des malades partout, cela irait à l’encontre de ce que l’on sait”, affirme Renaud Piarroux, épidémiologiste et spécialiste du choléra. Il a participé à rédiger les plans de défense actuels.

Reste qu’à Mayotte, territoire de toutes les crises – sociales, environnementales, sécuritaires, migratoires – la situation est bien éloignée des standards métropolitains. Un “cas particulier”, expliquait le Covars, le conseil scientifique du gouvernement, dans un rapport publié début avril. S’y combinent “les risques épidémiques majeurs incluant la quasi-totalité des maladies analysées, y compris certaines dont le choléra, la peste ou la polio, quasi-oubliées du territoire national”. Avec, aussi, des “risques alimentaires, infectieux et toxicologiques liés au changement climatique, notamment la sécheresse”.

Mayotte, cette poudrière

Sa géographie, son climat tropical et l’abandon de l’Etat font de Mayotte une poudrière sanitaire. Avec, en guise de démineur, un service de soins “à bout de souffle”, pour reprendre les mots de la Commission des affaires sociales du Sénat qui le qualifiait ainsi dans un rapport publié en 2022. Le moins doté du territoire : seulement 1,56 lits d’hôpitaux pour 1 000 habitants. Environ deux fois moins que la moyenne hexagonale. En 2023, 242 millions d’euros ont été injectés, pour rénover en urgence le CHM et faire sortir de terre un deuxième hôpital.

Quelque 29 % des Mahorais ne sont pas reliés à l’eau courante, soit environ 93 000 personnes. Parmi eux, 21 % s’hydratent au puit ou au ruisseau, selon l’Insee. Un chiffre, anomalie en France, qui gonfle durant les sécheresses. Les robinets sont encore coupés deux jours par semaine, réminiscence de la crise de l’eau qui sévit depuis cet été. Le scénario du pire ? Que ces sources non traitées se contaminent. Les cas grimperaient d’un coup. Le choléra se soigne, mais requiert des soins d’urgence dans un cinquième des cas.

La probabilité d’un foyer épidémique mahorais est réelle, mais modérée, selon les spécialistes : “Les agents sont sur le qui-vive. Nous avons des capacités de réponse suffisantes”, estime Brigitte Autran, immunologiste et présidente du Covars. La menace n’en paraît pas moins grande. “Dans les quartiers aux airs de bidonvilles, la promiscuité des habitations, l’absence de services d’hygiène adaptés et le manque d’eau potable favorisent une propagation rapide des bactéries. Une telle épidémie serait un désastre”, statuait l’Unicef, dans un communiqué publié en mars.

Des vaccins existent, mais ils sont actuellement en pénurie sur le marché mondial. La demande a explosé, alors que les cas à l’échelle de la planète ont plus que doublé depuis la crise du Covid-19. L’ARS Mayotte dispose d’un stock, 4 000 doses. Assez pour la situation actuelle, dit-elle. Mais les seringues se vident vite. 441 cas contact ont déjà reçu une injection ce mois-ci. Le ministère de la Santé, au téléphone deux fois par semaine avec l’ARS, a dû passer de nouvelles commandes. Le personnel de première ligne, soignants, pompiers et agents qui luttent contre l’immigration clandestine, attend.

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