Le crédit d’impôt recherche, un gisement d’économies pour l’Etat ?

Le crédit d’impôt recherche, un gisement d’économies pour l’Etat ?

Faire mine de s’attaquer à la dérive des finances publiques sans jamais l’enrayer conduit nécessairement à proposer sans fin les mêmes remèdes. Si ce n’est qu’à chaque accès de fièvre, la maladie s’est aggravée. Avec le dérapage du déficit en 2023, sont déjà revenues sur la table 100 pistes rebattues. Faut-il accroître la contribution des collectivités à l’effort national ? Serrer les boulons des indemnités en cas d’arrêt maladie ? Passer en revue les comptes des opérateurs publics ? Séparer le bon grain de l’ivraie en matière d’aides aux entreprises ? Première niche fiscale, le crédit d’impôt recherche (CIR) n’est pas dans le viseur, nous assure-t-on à Bercy. Mais vu son coût annuel pour l’Etat, certaines voix commencent à demander son réexamen, en cette période de chasse au gaspi. Pour 2024, le projet de loi de finances évalue à 7,6 milliards d’euros cet avantage qui bénéficie à environ 30 000 entreprises assurant en France des activités de recherche, appliquée ou fondamentale, et de développement expérimental. Un effort considérable pour encourager l’innovation, moteur bien connu des gains de productivité et de la croissance d’un pays.

Comme les aides à l’apprentissage, le CIR a beaucoup – trop ? – de succès. Les industriels en raffolent, au point de clamer que cette carotte fiscale justifie à elle seule l’implantation de leurs activités de R & D dans l’Hexagone. “C’est un élément déterminant de la localisation de la recherche en France, où le coût du travail et la fiscalité des entreprises sont par ailleurs élevés, confirme Nicolas Ragache, chef économiste de l’Association française des entreprises privées (Afep). Or il est essentiel de rester dans la course technologique mondiale qui s’est engagée.”

D’autres, chiffres à l’appui, sont moins convaincus de l’efficacité de ce dispositif, devenu particulièrement généreux depuis sa réforme en 2008. Autrefois, l’avantage fiscal portait sur l’accroissement des dépenses de recherche et il était plafonné. En 2007, il n’avait coûté à l’Etat que 1,7 milliard d’euros. L’année suivante, la réforme simplifie le tout : 30 % de crédit d’impôt sur l’ensemble des dépenses de R & D, jusqu’à 100 millions d’euros investis ; au-delà, et sans limite, un taux de 5 %. Les dossiers se bousculent alors au portillon. “Le taux de non-recours, c’est-à-dire la part des entreprises éligibles qui ne réclamaient pas le CIR, a reculé, relève Rémi Lallement, économiste chez France Stratégie, organisme autonome rattaché au Premier ministre. On a aussi observé un effet de professionnalisation : les demandeurs ont industrialisé leur process de traitement du CIR et ont investi dans leurs équipes en interne pour se prémunir de potentiels redressements fiscaux.”

Un impact peu évident sur l’attractivité

Avec quel résultat pour la recherche privée française ? Pour l’évaluer, encore faut-il avoir en tête les objectifs de ce crédit d’impôt. “Ils ont évolué dans le temps, depuis sa création en 1983. On en dénombre aujourd’hui trois principaux, liste Mohamed Harfi, expert référent de France Stratégie en charge des questions d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation. Inciter les entreprises à faire plus de R & D, améliorer leurs performances économiques – avec des effets macroéconomiques nationaux sur la croissance et l’emploi. Accroître, enfin, l’attractivité de la France comme site d’accueil de ce type d’activités”, qu’il s’agisse d’entreprises tricolores ou internationales.

En réalité, le CIR passe, pour partie, à côté de ses cibles. La première est plutôt atteinte : “Sur le volet de l’augmentation des activités de R & D, on constate que la croissance des dépenses des entreprises correspond à peu près aux moyens mobilisés, c’est-à-dire que, pour un euro supplémentaire de CIR, un euro de plus est consacré à la R & D”, fait valoir Mohamed Harfi. Dans le rapport qu’il a coécrit avec Eric Lallement, il montre, toutefois, un impact différencié selon la taille des entreprises. Positif sur la performance économique des plus petites jusqu’aux moyennes, il est faible voire nul pour les ETI et les grands groupes.

Quant à l’effet sur l’attractivité de notre pays, il est loin d’être évident. “Le CIR n’a guère contrecarré la détérioration de l’attractivité du site France pour la localisation de la R & D des entreprises multinationales”, écrivent les deux experts. Rémi Lallement précise à L’Express : “Oui, les entreprises françaises ont privilégié la France pour ces activités, et le CIR a pu y contribuer. En revanche, globalement, elles ont perdu du terrain sur leurs consœurs à l’international en termes de dépenses en R & D.” En outre, les multinationales étrangères ne sont guère sensibles aux yeux doux de la France, où elles dépensent moins qu’ailleurs. Nicolas Ragache, de l’Afep, défend toutefois l’intérêt stratégique du dispositif : “Les grandes entreprises industrielles réalisent en moyenne entre 10 et 15 % de leur chiffre d’affaires en France, mais elles y consacrent 45 % de leur budget de recherche.” L’économiste voit dans cette “surlocalisation” la volonté, certes, de baser cette activité à proximité du siège social, mais aussi l’un des effets positifs du CIR.

L’inverse du but recherché

Les critiques formulées à l’encontre de ce mécanisme ne sont pas nouvelles. En 2010 déjà, deux ans après la réforme, un rapport d’information du Sénat pointait les limites du taux de 5 % appliqué au-delà de 100 millions d’euros de dépenses : “Son effet incitatif paraît douteux alors même que son coût s’est élevé à 588 millions d’euros en 2009.” Un constat largement appuyé en 2022 par un trio de chercheurs de la London School of Economics, Philippe Aghion, Nicolas Chanut et Xavier Jaravel. Dans un rapport du Conseil d’analyse économique, ils calculaient avec malice que la dépense fiscale liée au CIR approchait les budgets cumulés de trois grands organismes de recherche publics, le CNRS, le Cnes et l’Inserm. Et livraient leurs conclusions, implacables. “A cause d’un effet de seuil, le CIR subventionne à un taux plus élevé des investissements de certaines grandes entreprises qui auraient de toute façon eu lieu, et à un taux inférieur l’investissement (dit “marginal”) qui est influencé par les subventions : c’est exactement l’inverse du but d’efficacité recherché.” D’après leur analyse, l’inefficacité du CIR tient au fait qu’il subventionne les investissements en R & D des grandes entreprises, qui les auraient réalisés même sans aide publique. Chez les petits industriels, le rendement est bien meilleur, visible dans le nombre de brevets déposés. “Nous estimons qu’un million d’euros dirigé vers des TPE est associé à un dépôt de 1,165 brevet”, précisaient les chercheurs, soit 2,5 fois plus que le même million dépensé en faveur des grands groupes.

Autre coup porté au dispositif, une étude de la direction générale du Trésor avait conclu à sa faible portée macroéconomique : “La réforme du CIR aurait permis d’accroître l’activité de 0,5 point de PIB et de créer 30 000 emplois quinze ans plus tard, les effets mettant du temps à se matérialiser.” Des chiffres faibles, au regard des deniers publics consentis.

Soucieux de placer l’argent de l’Etat là où il est le mieux utilisé, Philippe Aghion, Nicolas Chanut et Xavier Jaravel avaient imaginé deux scénarios permettant, à enveloppe fiscale équivalente, de soutenir davantage les PME : supprimer le taux de 5 %, pour récupérer 400 millions d’euros, ou abaisser le plafond des dépenses éligibles à 20 millions et rediriger ainsi… 2,5 milliards. Qu’adviendrait-il si une partie de cette somme servait à réduire les dépenses de l’Etat ? Nicolas Ragache met en garde : “Il faut de l’innovation pour réindustrialiser la France, ce qui suppose un mécanisme lisible pour rendre compétitive la recherche dans notre pays. Ces opérations engagent l’entreprise pour plusieurs années. Remettre en cause le CIR créerait une incertitude majeure qui pèserait négativement sur les décisions d’investissement sur le territoire.” Entre réindustrialisation et désendettement, le gouvernement serait bien mal à l’aise de devoir choisir.

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