Les jeux vidéo nous rendent-ils violents ? Les vraies réponses de la science

Les jeux vidéo nous rendent-ils violents ? Les vraies réponses de la science

En juin 2023, Emmanuel Macron soulignait l’influence des jeux vidéo dans les émeutes consécutives à la mort de Nahel. “On a parfois l’impression que certains transposent dans la réalité les jeux vidéo qui les ont influencés”, déclarait-il alors. Ce n’est pas la première fois que les jeux vidéo sont mis en cause dans des actes de violence. C’est même une vieille rengaine dès qu’un évènement violent secoue l’actualité.

En juin 2019, le président américain Trump les avait déjà associés à la fusillade de masse à El Paso, au Texas, qui a fait 31 victimes. Et Nicolas Sarkozy avait dénoncé “leur violence inouïe” après les attentats de Paris, en 2015. Les exemples sont légion. Mais les jeux vidéo conduisent-ils vraiment à des comportements violents, ou bien ce loisir est-il instrumentalisé à des fins politiques ?

“Moral combat” : le jeu vidéo, coupable idéal

L’histoire des relations complexes entre les jeux vidéo et la violence débute aux Etats-Unis avec Mortal Kombat (1993), un jeu de combat réaliste controversé en raison de son contenu violent. Dès sa sortie, il suscite de vives protestations de la part des parents et des associations. Certains membres du Congrès américain cherchent alors à répondre aux préoccupations de leur électorat et initient une procédure visant à réguler les jeux vidéo à contenu violent. Cette démarche aboutira la création d’une classification en fonction de l’âge des joueurs, mais aucune législation spécifique empêchant les contenus violents ne sera mise en place.

Les débats sur les effets des jeux vidéo violents seront relancés à l’occasion de la fusillade de Columbine, aux Etats-Unis, en 1999. Dans une série de vidéos, les deux meurtriers évoquent Doom, un jeu de tir à la première personne, comme source d’inspiration pour leurs actions. Par la suite, les jeux vidéo violents seront utilisés par les hommes politiques américains afin d’expliquer les actes de tueries de masse, offrant ainsi une échappatoire aux questions entourant le deuxième amendement de la Constitution des Etats-Unis qui autorise la vente et la possession d’armes à feu par les citoyens.

La guerre… des méta analyses

L’existence potentielle d’un lien entre jeux vidéo et violence va être confortée par la célèbre méta analyse conduite par le chercheur américain Craig Alan Anderson parue en 2016. En analysant 381 études, son équipe conclut qu’il existe des associations significatives entre l’usage des jeux vidéo et les pensées, les sentiments et les comportements agressifs rapportés par les participants. Bien sûr, corrélation [un lien entre des évènements] ne signifie pas causalité [un rapport de cause à effet], mais cette méta analyse sera longtemps invoquée pour soutenir l’idée que les jeux vidéo provoquent de la violence chez les jeunes.

Quelques années plus tard, d’autres chercheurs américains reprennent les données d’Anderson pour effectuer une nouvelle analyse. Ils prêtent une attention particulière aux biais de publications, c’est-à-dire la tendance dans le monde scientifique à ne publier que les études dont le résultat présente un résultat marquant : dans ce cas, un lien délétère entre la pratique des jeux vidéo et les comportements violents. Ils en profitent pour intégrer dans leur analyse des travaux de thèses non publiées. Leur résultat suggère que les associations entre jeux vidéo et comportements agressifs ont été surestimées et que le biais de publication est majeur. Les chercheurs constatent à travers l’utilisation de nouvelles méthodes statistiques que les associations entre la pratique des jeux vidéo et les sentiments, pensées et comportements agressifs sont en réalité très faibles.

Une faible association entre pratique des jeux vidéo et violence

Pour mieux comprendre les liens entre jeux vidéo et violence, des scientifiques se sont aussi intéressés aux poids des vulnérabilités individuelles, familiales et socio-économiques. Dans une étude publiée en 2020, des chercheurs américains ont exploré les trajectoires de 434 jeunes adeptes des jeux vidéo violents – Grand Theft Auto et Call of Duty – en mesurant les comportements d’agression, ceux prosociaux ainsi que les symptômes de dépression et d’anxiété. Ces adolescents âgés de 10 à 13 ans ont fait l’objet d’un suivi s’étendant sur des périodes pouvant atteindre onze ans. Au début de l’expérience, les chercheurs ont identifié trois catégories : les joueurs ayant une forte pratique des jeux vidéo violents (19), ceux dont la pratique était modérée (99) et faible (316). Globalement, les résultats indiquent que la pratique des jeux vidéo violents est faiblement associée à des comportements agressifs.

Ils montrent, aussi, que les adolescents du groupe ayant “une forte pratique des jeux vidéo violents” ont fini par réduire significativement leur usage à l’aube de l’âge adulte. Pour expliquer cette diminution, les chercheurs avancent que ces jeunes manifestaient déjà plus de symptômes dépressifs au début de l’étude que ceux des autres groupes. Ils auraient alors pu bénéficier d’un soutien parental et/ou d’une prise en charge en santé mentale plus importante, ce qui les aurait conduits à une réduction de la pratique des jeux vidéo violents à la fin du suivi.

Les enfants du groupe ayant “une pratique modérée des jeux vidéo violents” avaient, quant à eux, un niveau d’agressivité significativement plus élevé à la fin du suivi comparativement aux deux autres groupes. Il est possible que ces adolescents aient souffert de difficultés en santé mentale, mais pas suffisamment pour bénéficier d’un soutien, ce qui contribuerait au maintien de comportements agressifs dans le temps. Enfin, ceux dont la pratique des jeux vidéo violents était “faible” ont légèrement augmenté cette activité entre le début et la fin de l’intervention, mais sans que ce changement soit accompagné d’une augmentation des comportements agressifs. L’occurrence de ces comportements violents ne serait donc pas strictement due aux jeux vidéo violents, mais plutôt à un ensemble de vulnérabilités individuelles.

Les vulnérabilités individuelles, familiales et socio-économiques bien plus significatives

Une récente étude de la même équipe tend à confirmer ces conclusions. Cette fois, les chercheurs ont réalisé un suivi de huit ans auprès de 488 adolescents américains âgés de 10 à 13 ans afin d’observer leur engagement dans la pratique des jeux vidéo. Ils ont mesuré les comportements d’agression physique, les pratiques de jeu vidéo et d’autres facteurs comme la qualité de la santé mentale ou de l’environnement familial. L’étude montre que 28 % des adolescents de l’échantillon cumulaient de multiples vulnérabilités socio-économiques et psychosociales : relations familiales conflictuelles, antécédents de harcèlement, etc. Ces jeunes manifestaient également un niveau d’agressivité physique important au début du suivi, mais ces comportements se sont estompés avec l’entrée dans l’âge adulte. Selon les chercheurs, la pratique des jeux vidéo violents n’a pas apporté de risque supplémentaire à ce groupe, déjà très à risque de développer des comportements agressifs au fil du temps.

Les auteurs de l’étude ont également mis en évidence que 13 % des adolescents de l’échantillon faisant état d’un niveau élevé d’agressivité avaient aussi une forte propension à jouer fréquemment à des jeux vidéo violents. Contrairement au groupe précédent, ils avaient moins de vulnérabilités socio-économiques ou psychosociales, mais le fait de jouer beaucoup les rendait plus à risque de développer des comportements d’agression physique. Leur usage des jeux vidéo violents pourrait, alors, être un moyen de gérer leurs difficultés en termes de santé mentale grâce à la distraction qu’ils apportent.

Parmi les adolescents qui affichaient initialement des niveaux d’agression physique faibles, les chercheurs ont constaté que l’exposition aux jeux vidéo extrêmement violents n’était pas associée à des comportements agressifs, que ce soit à court ou à long terme. Cela s’explique par de nombreux facteurs protecteurs face aux comportements agressifs comme le contrôle des médias par leurs parents, un environnement familial de qualité ou encore de bonnes conditions socio-économiques. S’il existe une association très faible entre jeux vidéo violents et comportement agressif, elle semble être guidée essentiellement par des vulnérabilités individuelles, familiales et socio-économiques.

Alors, les jeux vidéo rendent-ils violents ou sont-ils instrumentalisés à des fins politiques pour expliquer les comportements de violence dans notre société ? Les études indiquent que les comportements violents des adolescents sont systémiques, c’est-à-dire qu’ils résultent de l’interaction d’un certain nombre de vulnérabilités individuelles, familiales, économiques et sociales. L’impact des jeux vidéo violents sur les comportements agressifs dans la vie réelle est très faible et ces relations seraient différentes selon les profils d’adolescents. Si nos politiques veulent adresser la question de la réduction des comportements violents, peut-être faudrait-il qu’ils se focalisent moins sur les pratiques de jeux vidéo et davantage sur les facteurs de vulnérabilités des jeunes comme les violences intrafamiliales, les inégalités éducatives, la pauvreté ou encore le désenchantement face à un avenir incertain.

Séverine Erhel est maître de conférences en psychologie cognitive à l’université Rennes II.

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