Les recettes de Montpellier pour devenir la ville la plus attractive de France

Les recettes de Montpellier pour devenir la ville la plus attractive de France

Le phénomène est suivi de près par les experts de l’Insee : Montpellier enfle à vue d’œil, dopée par une irrésistible attractivité. Sa poussée démographique défie même les lois de la statistique. De 2015 à 2021, la cité héraultaise a gagné plus de 4 000 habitants par an, au point d’abriter désormais un demi-million d’âmes dans sa métropole et plus de 300 000 intra-muros, soit… 100 000 de plus en quarante ans. L’équivalent de la population d’une commune comme Nancy !

“La préfecture de l’Hérault est clairement la championne de la croissance”, confirme Caroline Jamet, directrice de l’Insee en Occitanie. Elle “impressionne par sa capacité à attirer des populations”, abonde le cabinet Arthur Loyd. “On y trouve aussi bien des étudiants que des actifs et des retraités, attirés par les trois cents jours de soleil par an, mais aussi par la proximité de Marseille et de Toulouse”, observe Francis Cransac, président de l’association AVF (Accueil des villes françaises) à Montpellier.

Pour beaucoup, la ville coche toutes les cases : la proximité de la mer, une météo au beau fixe, les emplois, les formations et l’offre culturelle d’une métropole. Des arguments qui font mouche auprès des étudiants (les 18-24 ans représentent la moitié des arrivants), souvent séduits par les charmes de cette agglomération bouillonnante dotée d’un sens aigu de la mise en scène, avec son temple des loisirs Odysseum, ses “folies” architecturales, sans oublier son marché du Lez, où la jeunesse trinque sur des palettes recyclées quand elle ne se perd pas dans les effluves nocturnes de l’Ecusson, le centre historique. C’est là que bat le cœur de la cité. “Il y a beaucoup d’événements, c’est une ville très internationale, très cool”, relève Tim Banisch, étudiant allemand de 27 ans. “C’est hyperdynamique, même l’hiver !” approuve Célia Bosco, 19 ans.

Mais la médaille a son revers, notamment côté immobilier. “Il est difficile de trouver un appartement”, reprend Celia Bosco. “Les appartements à louer font cruellement défaut, car la demande est très forte, souligne Maud Marcenac, de l’Agence du soleil. L’équation n’est pas plus simple pour accéder à la propriété. Le prix médian d’un appartement ancien a grimpé de 38 % entre 2010 et 2022 dans la métropole, repoussant les ménages de plus en plus loin. “Cette attractivité démographique crée une pression, confirme le maire PS de Montpellier, Michaël Delafosse. Nous devons impérativement créer du logement, mais ne pas construire partout. C’est pourquoi nous densifions certains quartiers tout en multipliant les parcs et les transports en commun.”

“Il y a trop de monde !”

Depuis le 21 décembre, bus et tramway sont ainsi devenus gratuits pour les habitants de la métropole, une première pour une collectivité de ce calibre en Europe. De quoi renforcer encore son attrait ? “On ne prend plus la voiture pour aller dans le centre”, se réjouit Jacques Makima, 70 ans, installé avec sa femme Liliane à Pignan, à 12 kilomètres de la ville. “Mais on ne trouve plus de place pour s’asseoir dans le tramway”, nuance Philippe Riondel, 52 ans. “Il y a trop de monde !” regrette Catherine Demessieux, 70 ans, qui craint aussi de voir ses impôts augmenter. Un sujet sensible, sur lequel le maire se veut rassurant : “L’attractivité de la ville auprès des entreprises apporte des recettes fiscales supplémentaires. C’est comme cela que nous financerons la gratuité des transports.”

La mesure aura-t-elle des vertus écologiques dans cette ville parmi les plus embouteillées de France ? “Il s’agit d’une bonne initiative si elle se traduit par une quasi-disparition de la voiture”, souligne le climatologue Jean Jouzel. Selon un rapport sénatorial, dans trois agglomérations étudiées, la gratuité n’a pas remis en cause le règne de l’automobile. Mais elle s’accompagne ici d’une stratégie pour favoriser les mobilités douces (pistes cyclables, zones à faible émission…) et limiter l’impact de la population sur l’environnement (rénovation de logements, tarif progressif de l’eau, etc.). “Ce sont de bons leviers”, valide Jean Jouzel.

Le maire le plus atypique de France

La pression est tout aussi forte côté éducation. “Nous devons construire une nouvelle école chaque année”, souligne Michaël Delafosse. Et “plus encore de collèges, car de nombreuses personnes arrivent avec des enfants plus âgés”, complète le préfet de l’Hérault, François-Xavier Lauch. Paradoxe : Montpellier crée aussi de l’emploi, mais… pas assez pour faire face à la demande. Car, souvent, les nouveaux postes sont occupés par une personne venue de l’extérieur, un néo-Montpelliérain qui arrive avec son conjoint, lequel… s’inscrit à Pôle emploi ! Résultat : le chômage reste élevé (9,6 %, contre 7,4 % en France), tout comme le taux de pauvreté (18,9 %).

Difficile aussi, dans ces conditions, de garder sa culture. “Ce qui m’attriste, ce sont les rideaux qui se baissent, les commerces historiques qui ferment, on perd cette identité, déplore Patricia Mirallès, secrétaire d’Etat et élue d’opposition. Il nous faut continuer à entretenir l’héritage de Montpellier. La ville doit grandir sans perdre son âme”, prône-t-elle. Un défi quand on doit aussi se réinventer. “Nous n’avons pas Airbus, souligne Michaël Delafosse, mais c’est ici qu’Ubisoft sort Prince of Persia et que nos incubateurs accompagnent l’écosystème dynamique de notre French Tech, grâce à la stratégie mise en place par mon prédécesseur Georges Frêche, que je ne cesse d’intensifier. Quand vous êtes dans le numérique, l’IA, la santé, le renouvelable, vous inventez l’avenir.” Une analyse confortée par Arthur Loyd : “Ce territoire prépare le futur par sa capacité à faire émerger des projets d’investissement dans les filières de transition climatique.”

Le sentiment d’insécurité reste lui aussi élevé. Si Catherine Demessieux se félicite de s’être installée dans cette ville “joyeuse” après la mort de son mari, elle le reconnaît : “L’hiver, je ne prends pas le tram au-delà de 20 heures, et j’évite certains quartiers, comme celui de la gare.” “Cette attractivité constitue en effet un défi considérable, reconnaît Michaël Delafosse, car le nombre de policiers et de magistrats ne suit pas toujours.” Le préfet fait pourtant de la sécurité l’une de ses priorités. “Quand une ville grossit, vous avez aussi des reports de délinquance dans les alentours, précise François-Xavier Lauch. C’est pourquoi nous allons ajouter au moins dix gendarmes dans sa couronne. 10 000 habitants supplémentaires chaque année dans le grand Montpellier, cela suppose des policiers et des caméras en plus. Cela dit, les effectifs augmentent, et, surtout, nous travaillons main dans la main avec le maire.” “Nous aurons en 2025 la police des transports armée la plus importante de France !” revendique Michaël Delafosse. “Montpellier est plutôt une ville tenue, note Alain Bauer, professeur de criminologie au Conservatoire des arts et métiers. Michaël Delafosse n’est pas vraiment connu pour son côté laxiste.” “Je pense même devenir le maire de gauche le plus atypique de France”, s’amuse le socialiste.

Des positions qui ont été remarquées bien au-delà de l’agglomération. “Le maire de Montpellier a eu sur la sécurité et la laïcité des positions qui permettent de faire comprendre que la vie en commun repose sur des règles et que la fermeté n’exclut pas l’humanité, relève l’ancien chef de l’Etat François Hollande. L’enjeu est aussi de montrer que la gauche est capable de réussir toutes les transitions, écologique, économique, urbaine.” Au point de faire de la ville un laboratoire ?

Un article du dossier spécial de L’Express “Ces villes qui font bouger la France”, paru dans l’hebdo du 4 avril.

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