“L’Homme aux mille visages” : un documentaire dans la tête des menteurs

“L’Homme aux mille visages” : un documentaire dans la tête des menteurs

Comment ça commence, qu’est-ce qui se passe ou ne se passe pas dans la tête d’un menteur pour être amené à dire ce qui n’est pas ? Est-ce le goût du jeu, de la provocation, du danger, l’expression d’un désir ou la peur de l’ennui ? Et qu’est-ce qui l’empêche de comprendre, une fois lâché le gros mensonge, qu’il va devoir en inventer un autre pour étouffer le précédent ? Qu’est-ce qui lui reproche, à la vérité ? Qu’est-ce qu’elle lui a fait ? Est-il angoissé par la situation qu’il a créée ou est-ce son absence de morale qui lui permet de créer un nouveau mensonge ? A quel moment cesse-t-il d’avoir conscience qu’il ment, pour croire à son mensonge et le défendre bec et ongles ?

A toutes ces questions essentielles, Sonia Kronlund, la réalisatrice du palpitant et tragicomique documentaire L’Homme aux mille visages, ne répond que fugitivement, quand elle nous apprend que Ricardo, le menteur de son film, est le fils d’une femme qui avait une sœur jumelle. La piste psychanalytique est ouverte, elle pourrait mener au fantasme du double maléfique. Heureusement, la réalisatrice ne prend pas cette voie. Et telle qu’on la connaît à travers ses émissions de radio, Les Pieds sur terre (France culture), on n’est pas surpris de la voir éviter le piège. Elle a interrogé des centaines de cas soc’ depuis vingt ans, elle a acquis une expérience unique dans le domaine de la psychologie humaine… Mais pas au point de la connaître, et d’éviter de se faire avoir. Les journalistes sont comme les médecins et les cordonniers, les plus mal préparés aux imprévus de la vie. Elle nous en informe d’emblée dans son film, elle n’aurait rencontré dans sa vie amoureuse que des baratineurs. Au point de penser qu’elle était faite pour ça. Elle en dit un peu plus dans son récit paru chez Grasset au début de l’année, qui raconte à peu près la même histoire et qui s’intitule d’ailleurs L’Homme aux mille visages. Mais de l’avoir lu ne gâche pas le plaisir de voir le film.

Très vite, la réalisatrice abandonne l’introspection, elle n’est pas Christine Angot, et plutôt que d’essayer de comprendre ce qui ne va pas chez elle au niveau des mecs, elle décide d’en prendre un, un menteur prototypal, et de le traquer. Ça tombe, pas tout à fait par hasard, sur Ricardo, une sorte de Kylian Mbappé de l’embrouille, doublé d’un caméléon. Sonia Kronlund interroge les cinq femmes que Ricardo a séduites avec ses bobards, cinq femmes très différentes qui décrivent un Ricardo cinq fois très différent. C’est un placide flemmard, suractif anxieux, un médecin militaire, un vendeur de voitures, il est né au Brésil ou en Argentine, il drague, emballe, tape l’incruste, emprunte du fric à l’une pour rembourser l’autre, il a deux ou trois femmes en France, une en Pologne, successivement ou simultanément. Il abandonne celle qu’il a mise enceinte, envoie à sa maman des photos de lui avec son prétendu bébé qui est en réalité celui des voisins. Un génie, je vous dis.

Que devient Ricardo ?

Sur ses performances sexuelles, Sonia Kronlund n’obtient pas beaucoup de renseignements de la part de ses victimes, excepté de la première, une Brésilienne de 1,90 mètre, c’est une des belles surprises du film, et ajoute une nouvelle facette à cette boule facétieuse de Ricardo. Je vous laisse le plaisir de découvrir la chose. Sachez quand même que Sonia Kronlund parvient à localiser Ricardo, et qu’elle devra à son tour inventer un énorme bobard pour le piéger. Un autre film pourrait commencer à partir de là. Un film judiciaire où on saurait ce que devient Ricardo une fois démasqué.

En attendant, vous pouvez revoir sur Netflix L’Art du mensonge, un film de Bill Condon, réalisé en 2019, ou sur le même sujet, toujours sur Netflix, les huit épisodes de la série Ripley, ils vous feront regretter le Plein soleil de Clément (1960) et le casting du Talentueux Monsieur Ripley (1999). Quand il y aura autant d’adaptations du livre de Patricia Highsmith que de femmes embobinées par Ricardo, on aura, je le crains, toujours pas répondu aux questions que j’ai posées au début.

Christophe Donner, écrivain.

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