“L’horloge de l’apocalypse” : aux origines d’un grand n’importe quoi

“L’horloge de l’apocalypse” : aux origines d’un grand n’importe quoi

A-t-on vraiment besoin d’un indicateur signalant que la fin du monde est proche, surtout si ses bases conceptuelles laissent à désirer ? Ce mardi 23 janvier, les membres du Bulletin of the Atomic Scientists (BAS) ont établi comme chaque année une nouvelle heure pour l’horloge de l’apocalypse. Ce cadran, qui symbolise l’ampleur des risques planétaires – plus on se rapproche de minuit, plus l’humanité est menacée – affiche minuit moins 90 secondes en 2024, comme en 2023. “Ne vous y trompez pas : maintenir l’horloge à 90 secondes avant minuit n’est pas une indication que le monde est stable. Il est urgent que les gouvernements et les communautés du monde entier agissent”, a toutefois assuré la présidente du “Bulletin”, Rachel Bronson. Parmi les risques, le communiqué de l’institution évoque notamment la guerre en Ukraine, le risque d’escalade au Proche-Orient, mais aussi le réarmement nucléaire de la Chine.

Contrairement aux apparences, cette horloge n’a rien de scientifique. Elle n’indique rien de précis sur notre futur, qui reste à écrire. Comment pourrait-on, d’ailleurs, modéliser le temps qui nous sépare d’une attaque nucléaire ? Ou celui qu’il reste à l’humanité avant de disparaître ? C’est tout simplement impossible. D’autant que l’horloge tient compte désormais d’une multitude de menaces : bombe atomique, pandémie, climat, intelligence artificielle… “Si on en croit ses aiguilles, nous vivons actuellement une période plus dangereuse encore pour l’humanité que lors de la crise des missiles de Cuba, en 1962. Affirmer cela est déjà contestable. Mais en plus, nous n’avons pas de détail sur la façon dont tel ou tel risque impacte l’horloge”, déplore Jacques Lecomte, docteur en psychologie, membre du Conseil scientifique de la Fondation pour la Nature et l’Homme et auteur du livre Rien n’est joué (Ed. Les Arènes).

Le retour possible de Donald Trump au pouvoir enlèverait-il une minute à l’humanité, ou bien davantage ? Cet événement aurait-il plus de poids que la guerre en Ukraine ? Comment le changement climatique, qui produira ses effets les plus délétères sur le long terme, est-il déjà pris en compte dans le calcul ? La méthodologie utilisée n’a jamais été dévoilée. Tout juste parle-t-on de procédé “sérieux” du côté du BAS. Faute d’explication claire sur la façon dont les scientifiques règlent l’horloge, celle-ci reste donc difficile à interpréter. Pis, ceux qui décident de son orientation peuvent être soupçonnés d’être partiaux dans leurs choix.

“Plonger les gens dans l’effroi”

“Ce n’est pas parce que des scientifiques se réunissent pour parler des risques qui pèsent sur notre société que leurs propos le sont”, rappelle Jacques Lecomte. Changer le nom de l’horloge et enlever le mot “apocalypse” n’aurait pas résolu le problème de méthode. Quant au fait de se rapprocher ou de s’éloigner de la fin du monde d’une année sur l’autre, ce va-et-vient a-t-il vraiment un sens ? “Depuis le départ, nous nous sommes éloignés au mieux de dix-sept minutes du point de rupture. En gros, quoi que nous fassions, le message reste le même : Alerte rouge ! C’est un peu comme la liste des espèces menacées publiée par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Peu importe la catégorie d’animaux concernée, il y a danger”, observe un scientifique.

Ces limites et incohérences n’ont pas échappé à Steven Pinker, psychologue et professeur à Harvard. Cet intellectuel parmi les plus influents au monde qualifie l’horloge de “défectueuse”. Selon lui, elle contribue surtout à “plonger les gens dans l’effroi”. Jacques Lecomte abonde : “Sur le principe, je dis oui aux alertes pertinentes, mais non au catastrophisme excessif”. A quand un compteur mesurant les bonnes nouvelles ?

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