L’imparable stratégie de l’EI-K pour recruter des terroristes en Asie centrale

L’imparable stratégie de l’EI-K pour recruter des terroristes en Asie centrale

Pour comprendre l’origine de l’attentat de Moscou, ce 22 mars, dans le centre commercial russe du Crocus City Hall, qui a tué au moins 137 personnes, il faut regarder vers les confins des montagnes d’Asie centrale. En Afghanistan est présent, sur pratiquement tout le territoire, l’État islamique du Khorasan – l’ancien nom d’une zone englobant une partie de l’Afghanistan, du Pakistan, de l’Iran et de l’Asie centrale. Fondée en 2015, cette branche du groupe Etat islamique, qui a revendiqué le massacre perpétré par quatre citoyens d’origine tadjike, s’est établie en Afghanistan en 2019, après la chute du califat. Elle compterait 1 500 à 2 200 membres – tous prêts à assouvir ses ambitions internationales. Car le groupe cible non seulement le régime taliban d’Afghanistan, mais aussi la Russie, la Chine, le régime chiite d’Iran et l’Occident. Au point de représenter une menace multiforme pour les Etats régionaux comme pour les pays européens. En trois ans, la filiale afghane a ainsi commis près de 400 attentats en Afghanistan et dans la région pakistanaise de Khyber Pakhtunkhwa. Plusieurs dizaines d’autres ont visé la France, les Pays-Bas, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Autriche.

Ces incursions sur le sol européen impliquent des djihadistes originaires des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale, à l’image de Chamsiddine Faridouni, 24 ans, l’un des assaillants du Crocus City Hall, arrêté par la police russe alors qu’il prenait la fuite vers la frontière biélorusse. Dans une vidéo, où on le voit maintenu au sol par un agent du FSB, il avoue avoir agi pour 500 000 roubles (près de 5 000 euros) et avoir été contacté via Telegram par un “assistant prédicateur”. Son témoignage illustre l’une des spécificités de l’Etat islamique : téléguider des attaques terroristes depuis l’étranger.

“Bien qu’un très faible nombre de djihadistes de l’EI proviennent d’Asie centrale, ils sont très souvent impliqués dans des attaques terroristes à l’étranger”, relate le chercheur kirghiz (indépendant) Nourbek Bekmourzaev. En quelques années, les Centrasiatiques sont devenus les cibles privilégiées de la propagande de l’EI-K, que Lucas Webber décrit comme une “superpuissance médiatique”. Selon ce spécialiste, cette mouvance est capable de diffuser sa propagande dans bien plus de langues – et notamment en tadjik et ouzbek – qu’aucune autre branche de l’EI.

“Il est peu probable que le groupe s’arrête là”

Ces réseaux surfent beaucoup sur l’impopularité des gouvernements centrasiatiques autoritaires et très répressifs concernant les libertés religieuses. Ainsi, en Ouzbékistan, le port de la barbe longue est interdit, tandis qu’au Tadjikistan, les mineurs ne sont pas autorisés à participer à des activités religieuses sans accord parental. Dans ce pays, l’autocrate Emomali Rahmon, président indéboulonnable depuis 1992, a interdit en 2015 le Parti de la renaissance islamique, pourtant modéré, contribuant à radicaliser leurs partisans.

Autre facteur de radicalisation, l’émigration en Russie. Des millions de travailleurs centrasiatiques se rendent chaque année en territoire russe où, ostracisés et victimes de racisme au contact d’une population majoritairement chrétienne, ils vivent dans la pauvreté. La propagande de l’Etat islamique utilise ces discriminations pour appeler à la rébellion contre le régime de “kafir” de Poutine, ennemi de l’islam. “Et avec l’attentat à Moscou, la montée en puissance du sentiment xénophobe vis-à-vis des diasporas centrasiatiques ne fera qu’augmenter les cas de radicalisation, au bénéfice de l’EI-Khorasan”, alerte Lucas Webber.

Ces djihadistes ne sont pas faciles à détecter. Depuis le départ des Américains de l’Afghanistan en 2021, le mode opératoire de l’EI-K est plus difficile à contrer, à cause d’une carence de renseignement. L’attaque à Moscou n’en a pas moins révélé le haut degré d’entraînement de ces terroristes. Si peu d’informations sont disponibles concernant des bases logistiques de l’EI-K, la Turquie semble un lieu d’entraînement privilégié, précise Colin P. Clarke, chercheur principal au Soufan Center. “L’EI-K est désormais capable d’opérations très élaborées et il est peu probable que le groupe s’arrête là. C’est d’autant plus inquiétant pour cet été, lors des Jeux olympiques à Paris”, poursuit-il. Depuis ses montagnes afghanes, “l’émirat du Khorasan” n’a pas fini de faire parler de lui.

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