Livres : entre fiction et essai, une frontière de plus en plus mince

Livres : entre fiction et essai, une frontière de plus en plus mince

Fiction or not fiction ? Ou, pour le dire en bon français, fiction ou non-fiction ? Telle est la question qui, d’année en année, se fait de plus en plus pressante. En effet, les hésitations se multiplient quand il faut répartir les ouvrages entre les palmarès romans et essais/documents. De même en va-t-il pour les libraires qui doivent dispatcher leurs livraisons sur les rayons adéquats. Ainsi de Sylvain Tesson, dont le livre, Avec les fées, est classé en roman, tout comme l’était son précédent opus, La Panthère des neiges. Une classification un rien subjective pour ces récits certes littéraires mais ne répondant pas aux codes strictement romanesques. Prenez aussi le témoignage sur l’inceste de Neige Sinno, Triste tigre (POL), étiqueté roman tout comme Son odeur après la pluie (Stock) de Cédric Sapin-Defour, chronique de son histoire d’amour avec son chien.

Un dernier exemple ? Une enfance française (Albin Michel) de l’actrice Farida Khelfa, réflexions sur ses origines estampillé roman sur le site de son éditeur. Fait amusant, publié dans la même collection « Itinéraire », Penser contre soi-même, de Nathan Devers est reconnu, lui, sur le site d’Albin Michel comme « essai littéraire ». Des répartitions, on le voit, pas vraiment intuitives, alors que le Proust, roman familial (Robert Laffont) de Laure Murat, méditation sur le pouvoir émancipateur de la littérature, lui, est classé en essai – ce qui, cela dit, n’a pas empêché les jurys Goncourt et Médicis de le sélectionner à l’automne dernier.

Mais, au fait, qui décide de la distribution ? Les éditeurs eux-mêmes, comme nous l’indique la société Tite-Livre, fournisseur de nos palmarès, ou pour les grandes maisons d’édition, leur distributeur, dont les décisions sont parfois rectifiées par l’éditeur (chez Grasset, Il n’y a pas d’Ajar de Delphine Horvilleur et Le Consentement de Vanessa Springora sont ainsi passés de la catégorie roman à celle des essais). Regardons maintenant les avantages respectifs de ces classements. Il est évident qu’en période de prix littéraires, le label “roman” constitue un atout. Par ailleurs, les lecteurs sont, on le sait, beaucoup plus friands de fictions que d’essais. Enfin, l’étiquetage romanesque peut éviter quelques ennuis judiciaires… En revanche, il est beaucoup plus facile d’intégrer le palmarès des essais/documents que celui des fictions. Ainsi, lors de la semaine du 15 au 21 janvier, Sarah Rivens pointait en pole position dans le palmarès des romans avec quelque 30 000 exemplaires vendus de Lakestone, tome I tandis qu’Emmanuel Todd, 1er du palmarès des essais, n’écoulait « que » 7 000 exemplaires de La Défaite de l’Occident. Et la 20e des meilleures ventes romanesques, Anah Huang (Twisted Love 1), affichait 2 500 exemplaires au compteur versus 1 250 pour son alter-ego des essais, Eric Larchevêque (Entreprendre pour être libre. Mon histoire et mes conseils pour passer à l’action).

Un conseil, lisez Le Troisième continent. La littérature du réel (Seuil) d’Ivan Jablonka, passionnant essai consacré à cette fluidité des genres et à l’émergence d’une nouvelle littérature, une littérature-vérité (reportages, enquêtes, journaux intimes) qui dynamite les frontières. Une littérature du réel à laquelle de nombreux éditeurs sont d’ores et déjà fort sensibles, à commencer par Adrien Bosc qui a lancé, dès 2011, les éditions du Sous-Sol, avec sa collection « Feuilleton Non-fiction » de narrative non-fiction riche en pépites telles Les Naufragés du Wager de David Grann ou encore Jours barbares de William Finnegan et en auteurs comme Maggie Nelson, Gay Talese et Deborah Levy…

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