“Médecine douce”, de Nicolas Rey : l’ordonnance d’un médecin malgré lui

“Médecine douce”, de Nicolas Rey : l’ordonnance d’un médecin malgré lui

L’incipit donne le ton : “Je m’appelle Martin Faubert et tu n’es pas en train de consulter un essai sur la sobriété heureuse ou la puissance des pensées positives qui ne demandent qu’à surgir de toi-même. Je ne suis vraiment pas d’humeur en ce moment.” Fans de Natacha Calestrémé, passez votre chemin. Le narrateur de Médecine douce est un généraliste au bout du rouleau, qui a un sens bien à lui de son métier : il fait payer ses patients au gré de son humeur, parfois rien, parfois 150 euros quand ces fâcheux viennent se plaindre de leurs enfants HPI.

Hippocrate doit se retourner dans sa tombe – et ce n’est que le début. Un jour entre dans le cabinet du docteur Faubert une certaine Aurore Rosier, dont s’éprend le toubib. Il lui prescrit des analyses et, avec la complicité d’un laborantin ami à lui, lui diagnostique… une syphilis. Aurore ne comprend pas : elle n’a jamais trompé son mari. C’est donc lui qui a été infidèle ! Le mari passe à son tour par le piège des fausses analyses, il avoue une liaison adultérine avec une étudiante et la machination fonctionne parfaitement : Aurore demande le divorce et tombe dans les bras du docteur Faubert. Sur cet argument de théâtre de boulevard, Nicolas Rey construit une intrigue diabolique, qui n’aurait pas déplu à Sacha Guitry…

Que Rey se mette dans la peau d’un médecin, voilà qui ne manque pas de sel. S’il y a bien quelqu’un à qui on ne confierait pas notre santé, c’est lui. En 2010, l’ancien cocaïnomane avait raconté dans Un léger passage à vide sa cure de désintoxication. A l’âge où d’autres courent le marathon ou pratiquent la danse hip-hop, il se faisait poser des hanches en céramique. Au moins connaît-il sur le bout des seringues le personnel médical (infirmières, addictologues, psychiatres), pour avoir passé une bonne partie de sa vie en consultation. Le docteur délirant qu’il campe ici est à se tordre de rire, notamment quand il tombe à son tour dans la cocaïne (jusqu’à quatre grammes par jour). Mais Médecine douce n’est pas qu’une farce enlevée. Rey pousse très loin le bouchon de l’immoralisme. Les rapports ambigus (bien que chastes) que Faubert entretient avec Justine, la fille d’Aurore, rappellent le film Beau-père de Bertrand Blier. A un moment, on est à deux doigts de refermer le livre. Sauf que Rey, décidément malin (dans tous les sens du terme), se moque bien de nous, et nous verrons que cette Justine avait un plan tout aussi machiavélique pour faire sortir Faubert de la vie de sa mère…

“Nicolas Rey est son pire ennemi”

On sait que Rey doit ses débuts à Franz-Olivier Giesbert qui, ayant lu Treize minutes à sa sortie en 1998, avait flashé sur ce “prince de la déglingue et de l’autodérision, fils de Francis Scott Fitzgerald et de Frédéric Beigbeder”. FOG l’avait engagé au Figaro, puis comme chroniqueur à la télévision, où l’esprit espiègle de Rey faisait mouche. L’enfant terrible des lettres, prix de Flore en l’an 2000 pour Mémoire courte, a ensuite bu la tasse, devenant un mélange de Mickey Rourke et de Peter Doherty. On ne peut au moins pas lui reprocher d’être carriériste. De temps à autre, quand on ne s’y attend plus, il rebondit. En 2014, alors en couple avec Emma Luchini, il coécrit et coréalise avec elle La Femme de Rio, un excellent film où il tient aussi le rôle principal, et pour lequel il obtient le César du meilleur court-métrage. Il aurait pu enchaîner les scénarios, il n’a pas persévéré. Sa planche de salut demeure la littérature, même si ses romans sont inégaux. L’Amour est déclaré (2012), Les Enfants qui mentent n’iront pas au paradis (2016) et Dos au mur (2018) tenaient par leur charme. Lettres à Joséphine (2019) et La Marge d’erreur (2021), trop bâclés, frôlaient la catastrophe.

A tel point qu’on avait fait l’impasse sur Crédit illimité (2022). FOG, encore lui, avait vu juste en disant : “Nicolas Rey est son pire ennemi : il se prend si peu au sérieux que la bonne critique passe volontiers à côté.” Dans un milieu où la vanité est la norme, la désinvolture de Rey est rafraîchissante. Hélas, à part son vieux camarade Beigbeder, qui chronique chacun de ses romans dans Le Figaro Magazine, toute la critique l’a lâché. Un lecteur honnête ne peut que reconnaître le talent de Rey, et saluer ses fulgurances, que n’auront jamais ses confrères plus sérieux qui publient dans des maisons plus chics qu’Au Diable Vauvert. Si nous devions vous faire une ordonnance, nous vous prescririons Médecine douce : rire avec ce grand malade de Rey fait le plus grand bien.

Médecine douce

Par Nicolas Rey.

Au Diable Vauvert 280 p., 20 €.

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